vendredi 29 mars 2013

Phosphoresent: "Muchacho"








Avant de creuser un peu plus en détail pour voir ce que ce disque a dans le ventre autant prévenir que "Muchacho" propose un genre de folk assez roots dans l’esprit qui continue de passionner les américains et laisse souvent les européens de marbre, d’où un probable décalage entre les excellentes critiques d’outre-atlantique et celles moins enthousiastes du vieux continent. Le style d’écriture de Matthew Houck combine ballades à l’ancienne et ragtimes de saloon avec de longs plans-séquences s’ouvrant sur les plaines désertes, comme dans un décor de western des années 50. L’image est à peine exagérée, car pour parachever le tableau le songwriter use et abuse souvent de choeurs champêtres et de falsettos genre "cri du loup au fond des bois". A priori, nous voilà mal barrés, mais comme sur le remarqué "Here’s To Taking It Easy" de 2010 l’approche désuète de Houck est souvent transcendée par des moments de lévitation et de grâce qui font oublier tous les préjugés.

On comprend très vite à l’écoute de "Muchacho" que l’homme se cachant derrière le pseudo Phosphorescent est passé par certains troubles sentimentaux et des doutes personnels. Sans surprise, quelques recherches sur la genèse du disque indiquent que son titre a été inspiré par une longue virée solitaire en terres mexicaines (d’où quelques effluves "mariachi") pour tenter d’oublier une ex, calmer le jeu et les excès, et se recentrer un peu. Notre lonesome cowboy se lance donc dans un disque-cinoche du samedi soir, un peu à la manière de l’émission des années 80 "La Dernière Séance" avec Eddy Mitchell, et ce dès le premier titre en forme de générique d’ouverture, pas très engageant d’ailleurs, jusqu’aux crédits de fin. En termes de scénario et d’ambiance, on est cependant beaucoup plus proche du western existentiel post-indiens et bandits "Paris Texas" de Wim Wenders que d’un préhistorique "Rio Bravo" avec John Wayne.

Les délicats arrangements électro du single "Song For Zula" constituent la première bonne surprise du disque, soutenant une très belle narrative que n’aurait pas renié Bruce Springsteen entre de légères percussions synthétiques et une élégante texture mélodique à base de pedal-steel et de cordes aériennes. Juste derrière, "Ride On / Right On" émancipe cette approche vers un country-rock bâtard mélangé à un groove presque disco. Ça ne devrait pas fonctionner, mais la production de [b]John Agnello[/b] (déjà responsable du "Smoke Ring For My Halo" de Kurt Vile il y a deux ans) est encore une fois parfaitement mesurée. Le disque se fait ensuite plus traditionnellement folk ou folk-rock et un peu longuet par endroits, surtout aux premières écoutes, mais jamais uniforme comme peuvent souvent l’être des disques de troubadours scotchés à leur guitare acoustique. C’est d’ailleurs très certainement l’une des plus intéressantes productions de ce début d’année, mise au service d’un songwriting un peu complaisant ici et là mais solide dans l’ensemble.

De nombreux passages comme les envolées cuivrées de "A Charm / A Blade" et la voix en général assez nasillarde de Houck renvoient au Bob Dylan de la fin des années 70, référence la plus évidente tout au long de "Muchacho" jusque dans la manière de privilégier les textes et le lyrisme sans s’astreindre à un formatage pop. Voilà qui colle bien avec la sensation initiale de se plonger dans un film, dont le moment le plus prenant reste la montée vers le final de l'épique "The Quotidian Beasts" et sa jouissive cascade de notes de piano. On peut regretter que le disque n’atteigne pas plus souvent une telle intensité, mais le tout est concluant. Ce "Muchacho" est un digne compagnon pour une nuit solitaire passée à méditer avec la télé allumée et à vider distraitement quelques fonds de bouteille, comme un road-movie qu'on mate du coin de l'oeil. Le scénario? Pas extraordinaire, mais la photo est belle et l’acteur principal est convaincant dans son rôle d'antihéros un peu paumé. Un disque attachant et plutôt cool.




samedi 23 mars 2013

Jim James: "Regions Of Light And Sound Of God"








Sur le papier, le titre du nouvel album de Jim James n’est pas des plus emballants. Les quêtes spirituelles de toute sorte ont beau s’imposer comme de grandes sources d’inspiration, elles ne conduisent pas toujours à de très bons disques. Ou du moins pas plus que d’autres sujets de chansons hors du domaine de l’extase mystique comme par exemple s’ennuyer à la campagne, prendre des cuites ou se faire larguer. Ajoutons à cela certains risques: méditations prétentieuses, messages subliminaux foireux, références bibliques téléphonées… Grâce à Dieu ce n’est pas le cas ici. "Regions of Light and Sound of God" est bel et bien un disque cérébral, plein d’esprit et de questions existentielles, mais la lourdeur du titre n’annonce heureusement pas un voyage religieux ampoulé et barbant. On peut d’ailleurs en faire une lecture assez libre.

Tout commence par un "State Of The Art" dense et contrôlé, captivant et expertement développé qui part de trois fois rien, un petit riff tout simple au piano. Le morceau prend de sacrées proportions mais s’achève à peine cinq minutes plus tard, juste au point de rupture où un beau crescendo peut par mégarde basculer dans l’hymne à rallonge. "I really mean it: the power is going out!", et puis plus rien. Cette fois-ci Jim James s’abstient, ce qui n’est pas toujours le cas chez ce songwriter aventureux capable d’étirer et de triturer une idée basique jusqu’à l’infini. Quinze ans après "The Tennesse Fire" on reste assez impressionné par le talent brut de ce chanteur barbu à la drôle de dégaine, ce fin mélodiste reconnu pour les caméléonismes de son groupe My Morning Jacket: country-soul un jour, shoegaze le lendemain, prog-pop le surlendemain, même s’il a parfois tendance à court-circuiter la cohérence et la bonne tenue de ses albums avec de surprenantes décisions. Hélas, on ne dira pas que cet album fait exception, et c’est d’autant plus regrettable que "Regions of Light and Sound of God" montre une retenue et une sobriété inhabituelles.

Les effluves funk et soul de "State Of The Art (A.E.I.O.U)" se font encore plus intenses sur un "Know 'Til Now" langoureux et long en bouche. Un peu plus tard, "Of The Mother Again" et surtout "Actress" culminent avec brio cette approche musicale. James parvient encore une fois à puiser dans l’essence d’un style sans se laisser aller à des singeries bas de gamme. On l’avait déjà remarqué lors de ses nombreuses relectures du répertoire de Neil Young et on ne change pas d’avis: le mec a du goût, une vision bien à lui et une belle ambition. Dans l’ensemble l’album renoue avec les tendances "art-pop" des dernières sorties de My Morning Jacket, sans les guitares parfois rugueuses du groupe.

C’est en partie pour cette raison qu’on ne pige pas la parenthèse folk en plein milieu de "Regions Of Light And Sound Of God" qui donne l’impression d’une régression vers un "default mode" pour James: "A New Life" est un très joli hommage à George Harrison mais reste étrangement déconnecté de tout ce qui précède en terme d’ambition et de style, tandis que le tout aussi esthétique instrumental "Exploding" n’apporte rien à l’ensemble si ce n’est une baisse de tension au moment précis où l’on attend que l’auteur donne du mordant et une ligne directrice plus évidente à ce premier album solo. Pour ne rien arranger le final est un peu laborieux même si l’on distingue toujours de solides lignes mélodiques, et c’est dans ces derniers mètres qu’on sent Jim James un peu éreinté. Il est considérablement moins en voix qu’à l’accoutumée et étrangement distant. On ne sait pas si le manque d’emphase dans son chant et dans certaines parties instrumentales est voulu ou accidentel, mais on soupçonne le songwriter de s’être un peu emmêlé les pinceaux en jouant et produisant tout lui-même à l’exception de la batterie et des cordes.

Sorti du contexte de My Morning Jacket, Jim James a fait mieux avec le disque des Monsters Of Folk en 2009 en compagnie de Conor Oberst et M. Ward. Mais en dépit des inégalités et quitte à choisir, on préfère garder cet artiste tel qu'il est: erratique mais capable de pondre régulièrement des joyaux comme "The Bear", "Xmas Curtain" ou "Gideon" entre autres. Le barbu ne tient pas en place, continue de tenter des trucs un peu improbables et c'est tant mieux. Comme il le dit si bien lui-même sur le quelque peu cynique mais superbe "Actress": "I believe in the concept of you". On se permet de retourner ces mots à Jim James sans aucune ironie.






samedi 2 mars 2013

Reprise #4: "Waterloo Sunset"







Issue d'un projet d'émission avorté pour la chaîne VH1 ("The Jon Brion Show"), cette jolie reprise du classique des Kinks enregistrée en 2000 est restée totalement inconnue jusqu'au 17 janvier dernier lorsque le réalisateur et producteur Paul Thomas Anderson s'est décidé à la mettre en ligne avec l'ensemble de la session de 40 minutes du programme. Un véritable trésor pour les fans du défunt Elliott Smith.

Le multi-instrumentaliste Jon Brion assiste brillamment le troubadour sur plusieurs de ses chansons ("Son Of Sam", "Independance Day" et "Happiness", entre autres), et l'on a également droit à des reprises de John Lennon ("Jealous Guy") et Big Star ("Nightime"). Vraiment bizarre, et dommage, que cette émission de qualité n'ait jamais vu le jour.


La version originale des Kinks: