vendredi 29 mars 2013

Phosphoresent: "Muchacho"








Avant de creuser un peu plus en détail pour voir ce que ce disque a dans le ventre autant prévenir que "Muchacho" propose un genre de folk assez roots dans l’esprit qui continue de passionner les américains et laisse souvent les européens de marbre, d’où un probable décalage entre les excellentes critiques d’outre-atlantique et celles moins enthousiastes du vieux continent. Le style d’écriture de Matthew Houck combine ballades à l’ancienne et ragtimes de saloon avec de longs plans-séquences s’ouvrant sur les plaines désertes, comme dans un décor de western des années 50. L’image est à peine exagérée, car pour parachever le tableau le songwriter use et abuse souvent de choeurs champêtres et de falsettos genre "cri du loup au fond des bois". A priori, nous voilà mal barrés, mais comme sur le remarqué "Here’s To Taking It Easy" de 2010 l’approche désuète de Houck est souvent transcendée par des moments de lévitation et de grâce qui font oublier tous les préjugés.

On comprend très vite à l’écoute de "Muchacho" que l’homme se cachant derrière le pseudo Phosphorescent est passé par certains troubles sentimentaux et des doutes personnels. Sans surprise, quelques recherches sur la genèse du disque indiquent que son titre a été inspiré par une longue virée solitaire en terres mexicaines (d’où quelques effluves "mariachi") pour tenter d’oublier une ex, calmer le jeu et les excès, et se recentrer un peu. Notre lonesome cowboy se lance donc dans un disque-cinoche du samedi soir, un peu à la manière de l’émission des années 80 "La Dernière Séance" avec Eddy Mitchell, et ce dès le premier titre en forme de générique d’ouverture, pas très engageant d’ailleurs, jusqu’aux crédits de fin. En termes de scénario et d’ambiance, on est cependant beaucoup plus proche du western existentiel post-indiens et bandits "Paris Texas" de Wim Wenders que d’un préhistorique "Rio Bravo" avec John Wayne.

Les délicats arrangements électro du single "Song For Zula" constituent la première bonne surprise du disque, soutenant une très belle narrative que n’aurait pas renié Bruce Springsteen entre de légères percussions synthétiques et une élégante texture mélodique à base de pedal-steel et de cordes aériennes. Juste derrière, "Ride On / Right On" émancipe cette approche vers un country-rock bâtard mélangé à un groove presque disco. Ça ne devrait pas fonctionner, mais la production de [b]John Agnello[/b] (déjà responsable du "Smoke Ring For My Halo" de Kurt Vile il y a deux ans) est encore une fois parfaitement mesurée. Le disque se fait ensuite plus traditionnellement folk ou folk-rock et un peu longuet par endroits, surtout aux premières écoutes, mais jamais uniforme comme peuvent souvent l’être des disques de troubadours scotchés à leur guitare acoustique. C’est d’ailleurs très certainement l’une des plus intéressantes productions de ce début d’année, mise au service d’un songwriting un peu complaisant ici et là mais solide dans l’ensemble.

De nombreux passages comme les envolées cuivrées de "A Charm / A Blade" et la voix en général assez nasillarde de Houck renvoient au Bob Dylan de la fin des années 70, référence la plus évidente tout au long de "Muchacho" jusque dans la manière de privilégier les textes et le lyrisme sans s’astreindre à un formatage pop. Voilà qui colle bien avec la sensation initiale de se plonger dans un film, dont le moment le plus prenant reste la montée vers le final de l'épique "The Quotidian Beasts" et sa jouissive cascade de notes de piano. On peut regretter que le disque n’atteigne pas plus souvent une telle intensité, mais le tout est concluant. Ce "Muchacho" est un digne compagnon pour une nuit solitaire passée à méditer avec la télé allumée et à vider distraitement quelques fonds de bouteille, comme un road-movie qu'on mate du coin de l'oeil. Le scénario? Pas extraordinaire, mais la photo est belle et l’acteur principal est convaincant dans son rôle d'antihéros un peu paumé. Un disque attachant et plutôt cool.




samedi 23 mars 2013

Jim James: "Regions Of Light And Sound Of God"








Sur le papier, le titre du nouvel album de Jim James n’est pas des plus emballants. Les quêtes spirituelles de toute sorte ont beau s’imposer comme de grandes sources d’inspiration, elles ne conduisent pas toujours à de très bons disques. Ou du moins pas plus que d’autres sujets de chansons hors du domaine de l’extase mystique comme par exemple s’ennuyer à la campagne, prendre des cuites ou se faire larguer. Ajoutons à cela certains risques: méditations prétentieuses, messages subliminaux foireux, références bibliques téléphonées… Grâce à Dieu ce n’est pas le cas ici. "Regions of Light and Sound of God" est bel et bien un disque cérébral, plein d’esprit et de questions existentielles, mais la lourdeur du titre n’annonce heureusement pas un voyage religieux ampoulé et barbant. On peut d’ailleurs en faire une lecture assez libre.

Tout commence par un "State Of The Art" dense et contrôlé, captivant et expertement développé qui part de trois fois rien, un petit riff tout simple au piano. Le morceau prend de sacrées proportions mais s’achève à peine cinq minutes plus tard, juste au point de rupture où un beau crescendo peut par mégarde basculer dans l’hymne à rallonge. "I really mean it: the power is going out!", et puis plus rien. Cette fois-ci Jim James s’abstient, ce qui n’est pas toujours le cas chez ce songwriter aventureux capable d’étirer et de triturer une idée basique jusqu’à l’infini. Quinze ans après "The Tennesse Fire" on reste assez impressionné par le talent brut de ce chanteur barbu à la drôle de dégaine, ce fin mélodiste reconnu pour les caméléonismes de son groupe My Morning Jacket: country-soul un jour, shoegaze le lendemain, prog-pop le surlendemain, même s’il a parfois tendance à court-circuiter la cohérence et la bonne tenue de ses albums avec de surprenantes décisions. Hélas, on ne dira pas que cet album fait exception, et c’est d’autant plus regrettable que "Regions of Light and Sound of God" montre une retenue et une sobriété inhabituelles.

Les effluves funk et soul de "State Of The Art (A.E.I.O.U)" se font encore plus intenses sur un "Know 'Til Now" langoureux et long en bouche. Un peu plus tard, "Of The Mother Again" et surtout "Actress" culminent avec brio cette approche musicale. James parvient encore une fois à puiser dans l’essence d’un style sans se laisser aller à des singeries bas de gamme. On l’avait déjà remarqué lors de ses nombreuses relectures du répertoire de Neil Young et on ne change pas d’avis: le mec a du goût, une vision bien à lui et une belle ambition. Dans l’ensemble l’album renoue avec les tendances "art-pop" des dernières sorties de My Morning Jacket, sans les guitares parfois rugueuses du groupe.

C’est en partie pour cette raison qu’on ne pige pas la parenthèse folk en plein milieu de "Regions Of Light And Sound Of God" qui donne l’impression d’une régression vers un "default mode" pour James: "A New Life" est un très joli hommage à George Harrison mais reste étrangement déconnecté de tout ce qui précède en terme d’ambition et de style, tandis que le tout aussi esthétique instrumental "Exploding" n’apporte rien à l’ensemble si ce n’est une baisse de tension au moment précis où l’on attend que l’auteur donne du mordant et une ligne directrice plus évidente à ce premier album solo. Pour ne rien arranger le final est un peu laborieux même si l’on distingue toujours de solides lignes mélodiques, et c’est dans ces derniers mètres qu’on sent Jim James un peu éreinté. Il est considérablement moins en voix qu’à l’accoutumée et étrangement distant. On ne sait pas si le manque d’emphase dans son chant et dans certaines parties instrumentales est voulu ou accidentel, mais on soupçonne le songwriter de s’être un peu emmêlé les pinceaux en jouant et produisant tout lui-même à l’exception de la batterie et des cordes.

Sorti du contexte de My Morning Jacket, Jim James a fait mieux avec le disque des Monsters Of Folk en 2009 en compagnie de Conor Oberst et M. Ward. Mais en dépit des inégalités et quitte à choisir, on préfère garder cet artiste tel qu'il est: erratique mais capable de pondre régulièrement des joyaux comme "The Bear", "Xmas Curtain" ou "Gideon" entre autres. Le barbu ne tient pas en place, continue de tenter des trucs un peu improbables et c'est tant mieux. Comme il le dit si bien lui-même sur le quelque peu cynique mais superbe "Actress": "I believe in the concept of you". On se permet de retourner ces mots à Jim James sans aucune ironie.






samedi 2 mars 2013

Reprise #4: "Waterloo Sunset"







Issue d'un projet d'émission avorté pour la chaîne VH1 ("The Jon Brion Show"), cette jolie reprise du classique des Kinks enregistrée en 2000 est restée totalement inconnue jusqu'au 17 janvier dernier lorsque le réalisateur et producteur Paul Thomas Anderson s'est décidé à la mettre en ligne avec l'ensemble de la session de 40 minutes du programme. Un véritable trésor pour les fans du défunt Elliott Smith.

Le multi-instrumentaliste Jon Brion assiste brillamment le troubadour sur plusieurs de ses chansons ("Son Of Sam", "Independance Day" et "Happiness", entre autres), et l'on a également droit à des reprises de John Lennon ("Jealous Guy") et Big Star ("Nightime"). Vraiment bizarre, et dommage, que cette émission de qualité n'ait jamais vu le jour.


La version originale des Kinks:





mercredi 27 février 2013

15 hymnes "slacker" des années 90







Comme le titre de ce post l'indique voici une petite liste destinée à faire l'éloge de la paresse, du je-m'en-foutisme et des branleurs de tout poil qui dans le cadre de la culture pop et rock ont connu un essor sans précédent dans les années 90, plus précisément en marge du mouvement grunge. Je répète souvent le mot "slacker" ici donc pourquoi pas définir le terme au travers de quelques titres?








15. STOVE (The Lemonheads, 1990)
"I know I shouldn't think about it anymore/what's the point you say". "Stove" n'atteint pas des sommets de paresse dans l'absolu, mais Evan Dando reste l'un des plus adorables slackers des années 90 comme le prouve cette chanson sentimentale dédiée à son four. Oui, à son four.







14. GIMME INDIE ROCK (Sebadoh, 1992)
Là encore, on ne peut pas parler de je-m'en-foutisme extrême mais musicalement "Gimme Indie Rock" est à 100% dans l'esprit slacker. Lou Barlow est un slacker vindicatif qui exprime son mépris pour les poseurs du show-business, fait l'apologie de la fumette et s'en prend à son ex-collègue J Mascis. Comme quoi tout n'est pas toujours rose entre glandeurs.







13. I WILL SURVIVE (Cake, 1996)
Cake n'est pas un groupe slacker à proprement parler et de surcroît la discographie des américains est plus que passable. Néanmoins, cette reprise pouilleuse du grand classique disco "I Will Survive" est remarquable en tout point et donne une belle perspective sur l'évolution post-slacker du rock indé des 90's.







12. KINDA STONED (Swell, 1993)
"Time and pills, let's waste a year..." Difficile de penser à un groupe plus fondamentalement slacker que Swell. Mis à part la conclusion de ce titre sur les mots "everybody's kinda stoned" répétés de façon léthargique par David Freel on apprécie particulièrement les blancs inattendus au milieu de la chanson, comme si le groupe oubliait sa partition... "what?"








11. LIE DOWN FOREVER (Godstar, 1993)
Le titre de cette chanson laisse déjà entendre que les australiens de Godstar ne sont pas des foudres de guerre, mais une simple écoute suffit à donner une flemme monumentale. Un morceau qui passe mieux à proximité d'un sofa ou d'une surface plane, moelleuse si possible.







10. TRAINS ACROSS THE SEA (Silver Jews, 1994)
"Half-hours on Earth, what are they worth? I don't know". David Berman rêvasse à voix haute. On apprend qu'il a bu 50 000 bières en 27 ans, juste comme ça. On ne va pas le déranger, il a l'air peinard dans sa piaule.







9. AM 180 (Grandaddy, 1998)
Le détachement dans la voix de Jason Lytle et la lourdeur cradingue de la guitare contribuent à donner à ce titre une esthétique slacker-pop du meilleur effet. Le mot "whatever" est utilisé comme une sorte de vague promesse ("whatever together"), l'idéal étant de ne "rien faire" et Lytle nous informe même au passage qu'il n'a pas mis les pieds en ville depuis "des années".







8. GOOD ENOUGH (Mudhoney, 1991)
Au début des années 90 si l'on donnait 10 000 dollars à Mudhoney pour enregistrer une chanson le groupe se débrouillait pour n'en dépenser que 500 et gardait le reste comme argent de poche. C'était sans doute "good enough" pour eux.







7. THE CONCEPT (Teenage Fanclub, 1991)
À leurs débuts les écossais de Teenage Fanclub étaient d'authentiques slackers, plus sensibles et romantiques que certains de leurs confrères américains mais tout aussi nonchalants et oisifs. "The Concept" illustre très bien le "slacker lifestyle".







6. NOT YOU AGAIN (Dinosaur Jr, 1991)
"I've got no advice 'bout anything, just fuck it up yourself". J Mascis est un slacker en puissance et l'auteur de nombreux morceaux qui pourraient être inclus dans cette liste. Puisqu'il fallait choisir, les paroles de cette chanson m'ont semblé particulièrement représentatives de la torpeur du bonhomme.







5. BACKWATER (Meat Puppets, 1994)
"Just stand there looking backwards half-unconscious from the pain". Les Meat Puppets ont énormément contribué à définir l'attitude slacker dans les années 80. Le tube "Backwater" n'est peut-être pas leur titre le plus branleur mais il reste quand même de très haut niveau en terme d'indifférence désabusée.







4. RANGE LIFE (Pavement, 1994)
"Dreamin' dream dream dream..." Laisser Pavement en-dehors des débats aurait été un affront tant le groupe symbolise la philosophie slacker sur ses premiers albums. Non pas à cause d'un  manque d'ambition mais plutôt par l'attitude désinvolte et parfois désordonnée qui se dégage de leur musique. "Range Life" est un magnifique plaidoyer en faveur d'une existence plus décontractée.







03. LITHIUM (Nirvana, 1991)
Kurt Cobain était un slacker névrosé mais un véritable emblème pour toute une génération de lève-tards débraillés. "Lithium" mérite cette troisième place rien que pour l'immortelle ligne "sunday morning is everyday for all I care", le slogan slacker par excellence.







2. SLACK MOTHERFUCKER (Superchunk, 1991)
Hymne anti-slacker ou ironie? Difficile de le dire à la lecture des paroles de "Slack Motherfucker". D'une façon ou d'une autre, ce titre est un grand moment de consécration pour tout glandeur qui se respecte.

"You haven't moved from that spot all night since you asked for a light
You little smoke stack
You've wasted my time
I'd like to see you try and give it back
I'm working
But I'm not working for you!
Slack Motherfucker!
Relax, sit down
I'll kick that stool right out from under you
Well, then, I see you sitting outside
Well, I can do the same thing too
I'm working
But I'm not working for you!
No!
Slack Motherfucker!
I'm working
But I'm not working for you!
Slack Motherfucker
You Motherfucker!!"







1. LOSER (Beck, 1994)
L'hymne slacker définitif des années 90 est paradoxalement l'oeuvre d'un carriériste calculateur affamé de succès et de reconnaissance artistique. En tout cas c'est l'artiste le moins slacker du lot. On ne l'aurait jamais deviné en 1994, et c'est tout ce qui compte.




mardi 26 février 2013

Eels: "Wonderful, Glorious"







Lorsque j'ai commencé ce blog il y a quelques mois je n'avais pas l'intention de suivre l'agenda des sorties d'aussi près mais je remarque que les chroniques de nouveaux disques s'accumulent ces dernières semaines, signe que ce début d'année tient toutes ses promesses. "Wonderful, Glorious" fait partie des albums que j'attendais de pied ferme, ne serait-ce que pour la consistance de la discographie de Mark Everett, alias "E". Inutile de tourner autour du pot: cette nouvelle livraison est à la hauteur de son talent, toujours impeccable côté songwriting mais plus ambitieuse, sophistiquée et travaillée dans son ensemble que n'importe quel disque du triptyque "Hombre Lobo"/"End Times"/"Tomorrow Morning" (2009-2010), qui se révèle rétrospectivement encore plus spontané, personnel et expérimental qu'on ne le pensait.

Enregistré dans le nouveau studio d'Everett, ce dixième album propose une approche plus démocratique dans l'écriture de Eels, avec une contribution importante des membres actuels du groupe qui se fait entendre ici et là dans la diversité et la richesse des arrangements. En-dehors de ces considérations on ne sait pas trop dans quelle mesure E considère "Wonderful, Glorious" comme une (r)évolution artistique car pour l'essentiel, et de façon assez paradoxale, l'album reste profondément "eelsien" tant dans le fond que dans la forme. Dès les premières mesures de "Bombs Away" le scintillement familier d'un célesta vient alléger de lourdes percussions et nous donne la bienvenue en rappelant furieusement le style particulier de vieux classiques du groupe tels que "Novocaine For The Soul" ou "Flyswatter". À partir de là, les titres s'enchainent sans réelle surprise si ce n'est l'évident enthousiasme du songwriter et de ses musiciens pour cette nouvelle collection de chansons, soignées et abouties jusque dans les moindres détails. On est peut-être devant le disque le plus millimétré de Eels en terme de production, bien que cela se traduise surtout par la densité des compositions et de subtiles contrastes ou changements d'humeur, parfois au sein d'une même chanson. N'allez pas croire que l'auteur abandonne le bon goût qui le caractérise pour une approche putassière: E est et a toujours été un impressionniste à la personnalité rayonnante capable de s'accommoder du minimum syndical sans perdre ne serait-ce qu'un soupçon d'éloquence, et "Wonderful, Glorious" s'attèle avec panache à illustrer ses états d'âme plutôt qu'à magnifier leur impact de façon grossière ou ultra-stylisée (comme quoi on n'a pas forcément besoin de Danger Mouse ou Nigel Godrich pour conserver une santé artistique).  

Cette orfèvrerie pop identifiable entre mille juxtaposée aux éternelles ruminations et au ton rauque du chanteur ont beau renvoyer à tout moment à diverses étapes et albums des premières années du groupe (principalement la période pré-"Blinking Lights"), la musique tombe rarement dans le convenu, la redite ou le recyclage inutile de vieilles idées. Il y a de toute évidence une humilité et une honnêteté au coeur de ces chansons qui rendent le processus de mise en forme un peu secondaire, comme chez Wilco par exemple, même si la créativité, la cohésion et l'entente du groupe mentionnées précédemment ont pour effet d'apporter une dynamique et une lumière inattendues au disque. La noirceur inhérente aux chansons d'Everett s'en trouve quelque peu gommée même lorsqu'il se laisse aller à un certain fatalisme comme sur le crescendo viscéral de "The Turnaround" ou la country pop perplexe et désabusée de "On The Ropes" ("I'm not knocked out but I'm on the ropes"). Presque partout ailleurs le sarcasme est de mise et c'est un E prêt à mordre et à en découdre qui toise l'adversité avec humour et irrévérence un peu à la manière du dog faced boy de son inusable "Souljacker" (2001). "It's looking good, I dug my way out/I'm changing up what the story's about" grogne-t-il sur l'excellent "New Alphabet", la preuve qu'il a encore deux ou trois choses à dire, des comptes à régler et toujours une étonnante capacité à approfondir son propre terrain musical sans aller chercher midi à quatorze heures. C'est suffisamment rare pour être remarqué, et donc encensé comme il se doit.



lundi 25 février 2013

The Limiñanas: "I'm Dead"







Si ce n'est déjà chose faite n'hésitez pas à jeter une oreille sur le dernier Limiñanas, "Crystal Anis", l'un de mes albums préférés de 2012. Voici le nouveau clip du groupe illustrant la version instrumentale du titre "I'm Dead", enregistrée avec Pascal Comelade. C'est l'occasion de saluer le beau travail de Jean-Luc Moly à la réalisation, et aussi de faire un peu d'auto-promo puisque j'ai élaboré les passages chorégraphiés avec l'aide des talentueux élèves du Centre de Dansa de Catalunya (Barcelone).

Histoire de faire honneur au très louable parcours des perpignanais, je ne résiste pas à la tentation d'ajouter le fabuleux single du même nom de 2010, également sorti sur Hozac Records, une petite sucrerie garage-pop absolument irrésistible:





jeudi 14 février 2013

My Bloody Valentine: "m b v"







Quoi de plus légitime que d'honorer la St Valentin avec quelques réflexions sur le nouveau disque du groupe de Kevin Shields? Le raz-de-marée critique et populaire provoqué par le retour de My Bloody Valentine a pris une telle ampleur ces derniers jours qu'il semble désormais criminel d'ignorer l'importance historique des anglais. Et dire qu'il y a quelques jours encore l'annonce de ce retour ne récoltait qu'un enthousiasme très relatif... Que s'est-il passé entre-temps et que peut bien receler ce disque de si extraordinaire?

Les vingt-deux ans de silence séparant "Loveless" de "mbv" ont certes grandement contribué à façonner la légende de My Bloody Valentine et à mettre le petit monde sensible des amateurs de pop indé sous pression. L'irruption de l'album sur internet la nuit du samedi 4 février a déclenché une excitation bien compréhensible (oui, je fais aussi partie des très nombreux ringards à s'être empressés de télécharger le truc dès sa mise en ligne, en vain), mais cela n'explique pas entièrement l'accueil dithyrambique de la part de certains médias et le soudain "coming out" d'une telle armée de fans extrémistes (pas de liens, il suffit de se promener sur le gratin des webzines musicaux pour s'en rendre compte).

Loin de moi l'envie de jouer les pisse-froids mais sans me plonger dans une étude ultra-détaillée de "mbv" le contenu du disque n'est pas plus enthousiasmant que celui de "Loveless", et si la vision de Kevin Shields reste unique et souvent fascinante on retrouve également les inégalités et autres complaisances auxquelles le groupe nous avait habitué sur ses deux premiers albums. Évidemment, cela n'enlève rien au caractère "révolutionnaire" de la discographie du groupe, et il faut reconnaître qu'après s'être farci pendant vingt ans des influences "shoegaze" plus ou moins hasardeuses à toutes les sauces une simple écoute de ce nouvel album réaffirme Shields comme un visionnaire qui ne se contente pas de régurgiter une formule toute faite (espérons que les M83 et autres starlettes du genre prendront note et sauront réévaluer leur approche).

En 2013, My Bloody Valentine n'est donc pas une disgrâce ou un anachronisme: c'est déjà une réussite, mais cela ne semble pas satisfaire l'avidité du hipster de base et nous devons nous confronter à une idée reçue qui voudrait nous faire croire que la révolution continue, que Shields est revenu pour tout faire péter. Pire, les deux derniers titres de l'album sont fréquemment désignés comme le point culminant de "mbv", une porte ouverte sur l'avenir et le début d'une nouvelle ère... On parle bien de l'instrumental vaguement tribal "Nothing Is" de 3 minutes et des poussières et de "Wonder 2", morceau expérimental particulièrement noisy et bordélique qui reste noisy et bordélique à l'oreille même après des dizaines d'écoutes. Pour avoir chéri et écouté religieusement les débordements les plus extrêmes de groupes comme le Velvet Underground, les Stooges, Hüsker Dü ou Dinosaur Jr -pour ne citer que ceux-là- j'ai quand même du mal à donner un tel crédit à ces deux titres, et ce malgré toute ma bonne volonté. Et je me demande pourquoi personne n'a crié au génie lorsque Shields a composé et enregistré le titre "More Light" avec JMascis en 2000 pour l'album solo du même nom:







Suis-je en train de parler de l'album ou de l'effet qu'il produit sur un certain public? Voici ma petite théorie, qui vaut ce qu'elle vaut: en-dehors de ses indéniables charmes (la noise-pop tordue et majestueuse de "She Found Now", "Only Tomorrow" et "Who Sees You", les envoûtants détours new-wave de "New You" et "In Another Way"), cet album tant attendu propose essentiellement un son authentique et une conviction artistique inébranlable à une époque où les normes de production tendent vers un perfectionnisme cache-misère, un recours parfois outrancier à la technologie, une mise en forme toujours plus sophistiquée et uniforme. Tout le monde "sonne" un peu pareil de nos jours et l'on distingue de moins en moins un groupe d'un autre entre tous ces Foals-Klaxons-Friendly Fires-Bloc Party, un phénomène qui ne date pas d'hier mais qui tend à s'accentuer. Pour toute une génération habituée à entendre du shoegaze et de la saturation en haute définition, le son analogue et provocateur de "mbv" est une véritable claque. Pour les plus vieux ou les plus érudits c'est une sorte de madeleine de Proust, un parfum rassurant, un disque barré mais organique qui remet les contours flous et une certaine idée du romantisme au goût du jour. Est-ce que "mbv" sonne rétro ou est-ce que "Loveless" a subitement pris un coup de jeune? Optons pour la deuxième réponse. Les fans et critiques transis qui encensent actuellement My Bloody Valentine semblent souvent plus amoureux du concept que de la musique.

Non, My Bloody Valentine n'a pas réinventé l'eau chaude avec cet album, mais c'est justement le refus de livrer un produit fini selon les critères esthétiques modernes qui rend ces morceaux si singuliers dans le contexte actuel et qui permet au groupe de surclasser tous ses imitateurs, comme on a pu l'observer avec la fascination pour d'autres disques mythiques aux productions sous-développées tels que le "Machina II" des Smashing Pumpkins. D'un côté, les suiveurs à l'apparence cartoonesque et de l'autre, les originaux. Les purs et durs.

Malgré le côté parfois irritant du personnage, on ne peut que se réjouir du choix de Kevin Shields d'avoir sorti "mbv" en autonome et d'être resté intransigeant jusqu'au bout. Vous me direz que Radiohead ceci et machin-chose cela, mais Shields ne nous vend pas une réinvention bidon ou une version 2.0 du son de My Bloody Valentine et il s'en sort avec la satisfaction de donner une suite cohérente aux lointains "Isn't Anything" et "Loveless". Il n'est évidemment (et heureusement) pas le seul musicien à poursuivre un idéal de cette sorte, mais ce retour tant anticipé donne une répercussion inhabituelle à sa démarche. Si les gens s'intéressent à une oeuvre aussi radicale et que l'industrie du disque s'en trouve un tant soit peu bouleversée, tant mieux après tout (ok, je rêve). En fin de compte, l'engouement actuel pour ce groupe tient plus à sa personnalité et à ce qu'il représente - une continuité passé-présent crédible et le respect d'une vision - qu'à la qualité de son nouvel album, pas dégueu au demeurant. Maintenant, on attend l'album des La's.





mardi 12 février 2013

Tom Morgan: "Orange Syringe"







Après un mémorable concert, il y a presque trois ans, Tom Morgan et la charmante Alison Galloway m'avaient confié qu'un nouvel album de Smudge était en cours de préparation. Depuis lors le groupe a continué à se produire sur scène assez régulièrement, mais on attend toujours le successeur tant espéré de "Real McCoy, Wrong Sinatra" (1998). C'est en partie pour cette raison que le premier album solo de Tom Morgan est aussi bienvenu qu'énigmatique.

Morgan et sa bande n'ont pas obtenu le succès que leur savoureuse power pop aurait mérité dans les années 90, mais comme le laisse deviner le titre de leur imparable best of ("This Smudge is True", sorti en 2010) on se doute que la dévotion des fans à l'égard de ces australiens attachants et sincères n'a pas bougé d'un iota malgré les années. Le charme de leur discographie entière non plus, puisqu'à l'instar d'autres modestes artisans du rock indé de cette époque comme Pavement ou les Lemonheads la musique a gardé toute son authenticité et son caractère spontané, direct, proche des gens. Peu d'artifices, un instinct pop inné et une dimension humaine que l'on retrouve immédiatement sur ce nouvel album.





Première satisfaction à l'écoute d'"Orange Syringe" et premier indice pour résoudre l'énigmatique choix de Morgan de sortir ce disque: à deux ou trois exceptions près aucune chanson n'aurait véritablement sa place dans le petit univers sucré de Smudge. Cet authentique album solo couvre un terrain nouveau et plus personnel pour Morgan, même s'il a déjà flirté avec de nombreux styles au travers de ses multiples projets (Sneeze et The Givegoods, entre autres). On retrouve le songwriter en pleine méditation et dans une humeur équivoque, parfois morose, faisant néanmoins toujours gala de son humour second degré, de son habileté avec les mots et de son talent pour aboutir d'innocentes mélodies qui se révèlent de plus en plus accrocheuses au fil des écoutes. Les influences convergent souvent vers le mélange de country, folk et rock communément dénommé "americana", avec quelques touches de pop/rock lo-fi ici et là, et le tout pourrait être comparé au classique "American Water" des Silver Jews pour la poésie déglinguée qui s'en dégage et un souci du détail qui en fait un disque à double fond, plus complexe et travaillé qu'une simple écoute ne suggère. "Best Thing For Baby", l'une des meilleures chansons de l'album, représente bien l'attention portée au développement des compositions avec ses guitares subtiles rappelant les ornements délicats des premiers albums de My Morning Jacket.  

Tom Morgan n'a pas le registre vocal et la richesse d'interprétation de son vieil acolyte Evan Dando, qui en plus d'écrire avec Morgan a repris et sublimé nombre de ses chansons avec les Lemonheads ("Down About It", "The Outdoor Type", "Baby's Home" - ces deux dernières auraient pu figurer ici), mais sa voix de "guy next door" est aussi moelleuse que le sofa du salon et toujours aussi chaleureuse, voire étrangement touchante dans ses limitations (l'acoustique "Mess With The Bull" est aussi dépouillé que captivant, et typiquement morganien: "Don't ask me about my history, I won't recall the facts/Don't loan me anymore money cause you won't see dollar one back"). Encore une fois, c'est la proximité qui fait le charme de cet artiste et l'on aurait tort de s'en tenir au manque de glamour, de production tapageuse ou de grosses ficelles, car l'unique ambition d'"Orange Syringe" réside dans la qualité intrinsèque des chansons, de la pop douce amère de "Virtuoso" et "Fatherland" à la mélancolie d'"Awkward Living" et "Final Final The One The One". En ce sens c'est un très digne disque de singer-songwriter qui nous est offert, aussi intemporel, honnête et agréablement nonchalant que tout ce que nous a proposé Tom Morgan jusqu'à présent. Vu le parcours discret mais fort consistant de l'australien, c'est déjà beaucoup.  





vendredi 8 février 2013

Unknown Mortal Orchestra: "II"







Unknown Mortal Orchestra est essentiellement le projet d'un seul homme, le néo-zélandais Ruben Nielsen, qui vient de livrer ce deuxième album après avoir récolté un suivi assez important ces derniers temps parmi les adeptes de pop indé. Son mélange un peu foutraque de pop lo-fi vaguement rétro couplée à des influences psychédéliques et des rythmes funk avait déjà attiré l'attention il y a deux ans avec un premier disque sympathique, sans plus, à l'image du populaire single "Ffunny Ffrends". L'ensemble faisait son petit effet mais n'était dans le fond pas d'une originalité folle: on le sait, le psychédélisme est (re)devenu furieusement tendance ces dernières années. Chaque saison apporte son lot de petites sensations indés "sous influence", et l'on frôle parfois l'overdose.






Derrière son aspect anodin et "bien de son temps" le premier disque d'Unknown Mortal Orchestra avait tout de même la bonne idée de proposer de la mélodie à foison et de rester léger et concis. Malgré l'esbroufe apparente, quelques chansons réussies nous ramenaient même directement dans le sillage d'illustres songwriters atypiques et touche-à-tout tels que Wayne Coyne des Flaming Lips ou Beck pour l'utilisation de rythmes funk ou hip hop samplés. Lou Barlow, fan déclaré, aura sans doute observé et apprécié certaines ressemblances avec les collages lo-fi de son ancien groupe The Folk Implosion.

Ruben Nielsen aurait pu se contenter d'exploiter le filon, mais en terme d'ambition "II" ne s'inscrit pas du tout dans la continuité du premier album. Les très accueillantes premières mesures de "From The Sun" évoquent davantage une ritournelle des Beatles que la pop déjantée des artistes cités plus haut, et même si le morceau se développe ensuite selon les principes du disque précédent - entre rythmes funk, overdubs de guitare et tout le tralala - il est évident que l'on part dans une direction plus délicate où l'écriture prend le pas sur l'exubérance des arrangements. Les titres suivants ne font que confirmer ce pressentiment: le mélodique single "Swim and Sleep (Like a Shark)" est de facture encore plus classique, tandis que "So Good At Being In Trouble" lorgne tendrement du côté de la soul avec un mélange de subtilité et de révérence. Jusqu'ici il est évident que la musique s'adresse à un public moins adolescent, Nielsen délaissant les grooves dansants et les basses saturées pour mieux mettre en avant ses aptitudes de songwriter et les nuances qui vont avec. Il révèle également tous ses talents de guitariste, l'une des grandes forces de ce disque, et sait se montrer à l'aise et inspiré dans à peu près tous les registres.

Les accents rétro-funk de "One at a Time" laissent place à une deuxième moitié d'album plus instrumentale où les morceaux se font plus longs et plus indulgents. "The Opposite Of Afternoon" traine un peu mais reste agréable, dans la lignée des premiers titres, puis les jams surf rock/garage de "No Need For a Leader" débouchent péniblement après plus de cinq minutes sur un "Monki" interminable. C'est dans ces méandres moins satisfaisants que l'on retrouve les fameuses influences psychédéliques et que l'on s'éloigne dangereusement du parti-pris initial. Ce n'est pas catastrophique, loin de là, mais la production minimaliste et le son alambiqué, un peu "étouffé" d'Unknown Mortal Orchestra ont du mal à convaincre sur la longueur, surtout quand les mélodies se font moins évidentes. Heureusement qu'un "Faded In The Morning" aux riffs bien torchés vient à la rescousse et que le final de l'album retrouve la concision et la fraicheur qui sied si bien à la musique de Ruben Nielsen. Au final "II" s'impose comme un disque personnel et ambitieux qui nous présente Unknown Mortal Orchestra sous un jour différent, pas encore débarrassé de certains tics indés un peu trop voyants mais bien plus éclectique et sensible qu'on ne l'aurait cru. Une réussite.



mercredi 6 février 2013

The Gun Club: rétrospective







Issu de la scène punk californienne du tout début des années 80 The Gun Club est un groupe dont l'influence perdure au travers des décennies et des modes, en dépit d'un succès très confidentiel. En effet l'impact de la musique de Jeffrey Lee Pierce, décédé en 1996, contraste sévèrement avec son relatif anonymat et certains albums sont aujourd'hui encore difficiles à trouver, même en ces temps de rééditions à gogo et d'anthologies superflues... ce qui est absurde si l'on considère la répercussion artistique du Gun Club sur des groupes comme REM, Pixies, Screaming Trees, The White Stripes et de très nombreux autres contemporains. Résumé d'un parcours aussi fascinant que tordu.
    





FIRE OF LOVE
1981
Formé à Los Angeles à la fin des années 70 par Jeffrey Lee Pierce (chant et guitare), Brian Tristan alias "Kid Congo Powers" (guitare), Don Snowden (basse) et Brad Dunning (batterie), le groupe se fait d'abord connaître sous le nom The Creeping Ritual et développe rapidement un style assez unique basé sur le rockabilly. The Gun Club finit pourtant par enregistrer "Fire Of Love" avec une formation entièrement différente suite au départ de Kid Congo Powers, qui rejoint The Cramps: Ward Dotson officie en tant que guitariste tandis que la section rythmique est remplacée par Rob Ritter et Terry Graham. Malgré ces changements impromptus Pierce et sa bande livrent d'emblée un classique plein d'attitude et de sex, drugs & rock n'roll. "Fire Of Love" est un album très punk dans l'esprit mais fortement influencé par le blues et la country gothique, le tout transcendé par un chanteur possédé. Le charisme de Jeffrey Lee Pierce est tel qu'il parvient à donner une aura mystique à ses chansons et le disque reçoit logiquement les faveurs de la critique ainsi qu'un prometteur succès commercial. Le tube "Sex Beat" n'y est sans doute pas pour rien, mais "Fire Of Love" impressionne de bout en bout. On peut dire sans broncher qu'il s'agit là d'un des meilleurs débuts de l'ère post-punk.






MIAMI
1982
La destinée du groupe prend un tournant irréversible avec ce deuxième classique, décevant aux yeux de tous à sa sortie mais aujourd'hui considéré comme incontournable, voire supérieur à n'importe quel autre album du Gun Club. Jeffrey Lee Pierce et les musiciens de "Fire Of Love" emménagent à New York pour l'enregistrement de "Miami", parrainés et assistés par Debbie Harry et son mari Chris Stein (pour l'anecdote, Jeffrey Lee Pierce dirigeait le fan club de Blondie en Californie dans les années 70). La production controversée de Stein étouffe le son du groupe et met la voix de Pierce en avant dans le mix, gommant ainsi le relief et l'agressivité de "Fire Of Love" pour un résultat a priori peu convaincant. En dépit de ce manque d'impact, "Miami" continue de révéler la vision de Pierce et offre une perspective plus riche sur sa musique, au-delà du simple contexte punk. The Gun Club s'émancipe vers des horizons encore plus mystiques et hantés, le punk-blues des débuts s'effaçant légèrement au profit de compositions tournées vers les grands espaces, le folk et la country. En toute objectivité, l'absence de "muscle" de la production et le mastering douteux n'empêchent nullement d'apprécier la qualité de l'interprétation et du songwriting. Un chef d'oeuvre bancal et mal foutu, mais très séduisant.






LAS VEGAS STORY
1984
Le fiasco commercial de l'incompris "Miami" laisse des séquelles et l'excellent "Las Vegas Story" sort dans l'indifférence générale. De nombreux changements sont effectués au sein du groupe qui sort dans un premier temps le passable EP "Death Party" avec de nouveaux musiciens avant de réintégrer plusieurs membres pour ce troisième album. L'arrivée de Patricia Morrisson à la basse et surtout le retour de Kid Congo Powers à la guitare contribuent à une évolution assez radicale vers un rock plus lourd qui délaisse quelque peu le punk des débuts et le lyrisme de "Miami", sans pour autant altérer les signes d'identité du Gun Club entre accents blues, rythmes country, guitares slide, ambiances ténébreuses et bien-sûr le chant très particulier de Pierce, mi-ange mi-démon, déjà connu pour sa personnalité obscure et ses excès en tout genre. Ce disque plus immédiat, bien produit et remarquable en terme de songwriting ne rencontre hélas pas le succès de "Fire Of Love", et le groupe finit par se séparer quelques mois après sa sortie.






MOTHER JUNO
1987
Jeffrey Lee Pierce et Kid Congo Powers (également membre à cette époque des Bad Seeds de Nick Cave) décident de reformer The Gun Club, qui est cette fois complété par Nick Sanderson à la batterie et la bassiste Romi Mori, petite amie de Pierce. "Mother Juno" est une réussite à plus d'un titre: le groupe renoue avec un certain succès critique (bien que surtout en-dehors des USA, où l'album ne sortira pas avant de nombreuses années), progresse techniquement et développe un rock alternatif très convaincant, produit avec soin par Robin Guthrie des Cocteau Twins. C'est un Gun Club plus appliqué et sophistiqué que l'on retrouve sur ce quatrième LP: les relents hard rock de "Las Vegas Story" sont atténués pour obtenir un son plus raffiné, et si les chansons restent toujours aussi éloquentes dans l'expression des racines blues du groupe "Mother Juno" tourne résolument le dos au punk et aux influences country. Sans renoncer à son style très personnel, Jeffrey Lee Pierce affine considérablement son chant et continue de briller en tant que songwriter.






PASTORAL HIDE & SEEK
1990
On ne change pas une équipe qui "gagne", même si la réussite de "Mother Juno" reste strictement artistique, et c'est avec plaisir que l'on retrouve la même formation pour ce cinquième album qui aboutit la transition du groupe vers un rock léché en s'éloignant cette fois des structures blues habituelles. Pierce décide de produire le disque et assume presque tout le travail à la guitare tandis que Kid Congo Powers reste un peu plus en retrait mais contribue quelques superbes leads et solos de slide pour un résultat toujours aussi consistant en terme de qualité. C'est un rock n'roll sans doute moins abrasif et viscéral que celui de "Fire Of Love" ou "Las Vegas Story" qui nous est proposé ici, mais avec des chansons du calibre de "Humanesque", "The Straits Of Love & Hate" ou "St John's Divine" l'évolution du groupe reste captivante et négociée avec cohérence.






LUCKY JIM
1994
Plus qu'une énième évolution, cet ultime album marque les adieux poignants et fatalistes d'un groupe miné par l'absence de succès et de reconnaissance, déstabilisé par les tensions internes et les problèmes de santé de Jeffrey Lee Pierce qui paye ses nombreux excès et ses années d'addiction à l'héroïne (il succombera à peine deux ans plus tard). Quelques temps après la sortie d'un EP expérimental, "Divinity" (1991), Kid Congo Powers quitte le groupe, et Pierce finit par enregistrer lui-même toutes les guitares sur "Lucky Jim". Le résultat est un album plus personnel et plus blues que jamais centré autour des inquiétudes de Pierce, où la lassitude et les regrets se font souvent sentir. Un état d'esprit entre colère et résignation bien représenté par "A House Is Not a Home", titre faisant référence à l'histoire du groupe et au dédain enduré aux États-Unis. L'humeur est assez crépusculaire dans l'ensemble malgré de fréquents soubresauts démontrant que The Gun Club est encore capable de vibrantes envolées blues-rock et de ressusciter la ferveur des débuts. "Lucky Jim" s'impose comme un disque élégant, varié et très inspiré musicalement. C'est sans doute le plus touchant de la discographie du groupe du fait de la vulnérabilité qui s'en dégage.    






Disparu à seulement 37 ans suite à une hémorragie cérébrale, Jeffrey Lee Pierce laisse derrière lui une discographie légendaire qui compte également deux albums solos ainsi qu'une multitude de compilations, de raretés et d'enregistrements live. On retient surtout l'intégralité des six LPs studio du Gun Club présentés ici, tous différents et tous brillants, chacun à leur manière, démontrant une étonnante ambition artistique souvent éclipsée par l'image ultra-décadente de Pierce et son caractère pour le moins ambigu. Son autobiographie "Go Tell The Mountain" (parue peu après la sortie de "Lucky Jim") n'aide pas beaucoup plus à définir le personnage, qui se montre sous un jour peu flatteur, rancunier envers les membres de son groupe et amer vis-à-vis de sa carrière. Si les nombreuses anecdotes sur la personne sont souvent peu ragoûtantes, l'artiste reste en revanche intouchable et admiré à juste titre par un nombre aujourd'hui incalculable de musiciens et de fans. Un recommandable documentaire intitulé "Ghost On The Highway" dressant le portrait de Pierce est par ailleurs disponible, de loin préférable à l'autobiographie mentionnée plus haut.





       

lundi 28 janvier 2013

Reprise #3: "Severed Lips"








En attendant la sortie de l'album solo de Tom Morgan, le 4 février, et un éventuel retour discographique d'Evan Dando (restons patients), c'est une petite joie de constater que les deux musiciens se sont retrouvés en Australie comme au bon vieux temps de la genèse des albums "It's a Shame About Ray" (1991) et "Come On Feel" (1993). De façon tout à fait hasardeuse je m'avancerais même à dire que ce retour aux sources du leader des Lemonheads s'inscrit dans la continuité des récentes tournées avec Juliana Hatfield et de ses retrouvailles sporadiques avec d'anciens membres du groupe tels que Ben Deily et Johm Strohm... N'y aurait-il pas derrière tout cela une volonté de sa part de puiser de l'inspiration dans sa propre histoire musicale en vue d'un nouveau disque des Lemonheads? L'hypothèse me semble crédible, même en tenant compte de la personnalité imprévisible de l'artiste.

C'est d'ailleurs un autre ex-Lemonheads, Bill Gibson, qui nous propose cette reprise de "Severed Lips" filmée un peu à l'arrache le 18 janvier dernier. Tom Morgan, assis dans l'ombre avec sa guitare, accompagne discrètement cette version dépouillée et semi-improvisée d'une des toutes premières chansons de Dinosaur Jr, très populaire parmi les fans du groupe. Il s'agit d'une ode romantique timide et désespérée, une remarquable "break-up song" qui reste sans doute l'une des compositions les plus délicates et sensibles dans le répertoire de JMascis. Dando est un interprète idéal pour mettre en valeur ce petit classique, comme toujours très à l'aise et particulièrement captivant dans l'intimité, rendant ainsi un hommage de plus à l'un des groupes les plus marquants de sa génération en compagnie d'un vieil ami.

Pour rester dans la grande famille des groupes et artistes intimement liés au parcours des Lemonheads, n'hésitez pas à écouter la fabuleuse reprise de "Severed Lips" des Blake Babies, une superbe version studio où la sensibilité de Juliana Hatfield fait des merveilles.


La version originale de Dinosaur Jr:






Severed Lips (J. Mascis) 


I wanna help you. 
I sense you're riding pretty low 
I got the feeling 
When your hair hits the ceiling 
And there's something babe 
You oughta know 
I won't cry if you won't buy 
But if were both kinda stumbling 
Maybe I'll say "Hi" 
That's my best 
I never try that much 
'Cos I'm scared of feeling that healing touch 
You gotta get through my maze, and passively test 
'Cos I'm choosing one love to 
Tattoo across my chest 

You know, the time has come 
I ain't gonna fester no more 
Let the world be free of my disease 
I never knew a rubber doll 
Would be so hard to please 
Now I'm reachin out 
One last burst before I retract 
No one will know until I finally let go 
Of the one thing I ain't gonna never get back 

I wanna help you 
Baby, can't you see? 
You're better than my pillow 
'Cos you don't stain so easily, oh no 
You know it's hard just to finally let go 
And leave all the pictures behind 
Hope I brought you some happiness 
I believe I just had to get on 
It just wasn't the world I was hoping to find... 


vendredi 18 janvier 2013

Bonjour Machines: "EP"







Le premier EP des israéliens Bonjour Machines est une belle petite découverte en ce début d'année, un véritable uppercut tout en énergie punk old-school et mélodies dissonantes. Le groupe se démarque du tout venant emo et post-hardcore grâce à un son sec et percutant fort convaincant qui évite les surenchères pas toujours très heureuses des productions actuelles. Le chant désarticulé d'Ilai Ashdot peut surprendre ou rebuter dans un premier temps, sa voix d'écorché vif se situant à mi-chemin entre les vociférations de Johnny Rotten et le fameux "scream" de Kurt Cobain, mais cette approche finit par payer et devenir le principal signe d'identité d'un groupe qui ne laisse pas indifférent. Prometteur, et téléchargeable gratuitement ou pour une modique somme ici.



jeudi 17 janvier 2013

Christopher Owens: "Lysandre"







Les "singer-songwriters" ont toujours fait partie du panorama musical sans que l'appellation veuille dire grand chose (mis à part "auteur-interprète", bien entendu). Dans l'inconscient collectif, le terme ne désigne rien de concret si ce n'est le vague concept d'"artiste solo", avec toutes les idées reçues et faux semblants que cela implique. Lou Reed est-il devenu un authentique singer-songwriter quand il a quitté le Velvet Underground? Peut-on considérer Dylan comme le prototype de la catégorie juste parce qu'il portait sa guitare en bandoulière et se fringuait à sa guise tandis que Lennon et McCartney jouaient encore en uniforme?... 

Voici donc "Lysandre", premier album solo et début officiel de la phase "singer-songwriter" de l'ex-leader de Girls, excellent groupe séparé en juin 2012 après deux albums et un EP largement salués comme le travail d'altruistes du rock alternatif. Comme le veut le cliché, le penchant rock de Girls disparaît presque entièrement et laisse la part belle au côté plus intimiste d'Owens, plus fantaisiste et libre que jamais du reste, mais cet album est à peu près aussi légitime dans son évolution que l'était le "Transformer" de Lou Reed suite au "Loaded" du Velvet Underground. Deux façons distinctes d'être brillant tout en restant soi-même, ou comment survivre artistiquement à un groupe déjà très versatile sans tourner en rond. Rien de bien compliqué pour un singer-songwriter aguerri, en principe, mais on ne compte plus les échecs cuisants ou les fausses réinventions. Parfois le statut de "singer-songwriter" s'avère lourd à porter (en plus de la guitare en bandoulière).

Plus qu'une rupture ou une réinvention, "Lysandre" s'impose comme une évolution naturelle à défaut d'établir une direction claire pour les futures créations de son auteur. C'est aussi la confirmation de ce qu'on soupçonnait de plus en plus: Owens régnait presque sans partage sur son ex-groupe, qui n'a jamais réussi à se consolider autour de membres permanents en-dehors de son acolyte JR White. Si l'on était inconsolable lorsque Girls s'est séparé, il y a peut-être de quoi se réjouir aujourd'hui en réalisant qu'un "vrai" singer-songwriter tenait la baraque à lui tout seul. Mais revenons-en au disque. Owens est du genre à surprendre tout en restant cohérent, et ses choix sont ici à la fois farfelus et exécutés avec intelligence, comme ce leitmotiv musical joué à la flûte en introduction, à la manière d'un ménestrel, puis repris à outrance tout au long de l'album et interprété par différents instruments selon les variantes stylistiques des chansons. On a beau se faire à l'idée, chaque nouvelle intervention du thème est aussi saugrenue qu'évidente et nous replace dans la narrative du disque. En effet, "Lysandre" propose une histoire continue que l'on pourra qualifier d'autobiographique, comme à peu près tout ce que nous a chanté Owens jusqu'à présent. C'est en tout cas l'inévitable impression que nous laisse la sensibilité à fleur de peau du chanteur.

Le développement de ce conte moderne semble retracer les débuts de Girls et une histoire d'amour en parallèle, mais cette approche ne se fait aucunement pesante puisque les dix titres et deux ou trois interludes ne dépassent pas la demi-heure. D'un point de vue musical on reste fermement dans un éventail d'influences légères entre pop et folk, une touche latine sur "Riviera Rock" en prime. Le caractère sincère et désuet de l'ensemble fait souvent penser aux confessions romantiques d'un jeune Leonard Cohen ou à Jonathan Richman, autre grand sentimental, tandis que le groove et les cuivres de titres comme "New York City" et "Here We Go Again" sont indéniablement dans la lignée du "Rock n' Roll Heart" de Lou Reed, la causticité en moins. Autant s'arrêter là dans le jeu des références, car Owens se montre comme à son habitude particulièrement dégourdi et malin à l'heure d'intégrer une multitude d'éléments éclectiques et disparates dans ses compositions. Retenons simplement que le tout baigne dans une humeur douce-amère qui tourne le dos aux tendances maniaco-dépressives du dernier disque de Girls "Father, Son, Holy Ghost": pas de "Vomit", et encore moins de "Die" en vue.  

"What if I'm just a bad songwriter and everything I say has been said before?" se demande-t-il sur "Love is in the Ear of the Listener", le genre de jolie petite ritournelle typiquement Owensienne qui ferait passer n'importe quel autre interprète pour un comique, volontaire ou non. Le charme de "Lysandre" réside justement en grande partie dans cet équilibre fragile et dans la capacité de son auteur à convier en toute franchise les émotions les plus simples sans craindre le ridicule, une mise à nue déjà mille fois observée du temps de Girls mais qui continue de porter ses fruits. Cette petite demi-heure de musique s'avère peut-être un poil trop succinte et semble peu consistante suite au plus robuste "Father, Son, Holy Ghost" (même l'EP "Broken Dreams Club" de 2010 est plus long) mais cette critique paraît bien futile devant la vitalité de l'artiste et de ses chansons. Pour un premier album solo l'assurance d'Owens est bluffante et "Lysandre" est un vrai plaisir pour les oreilles, arrangé avec goût et élégamment produit. Autrement dit c'est le travail d'un singer-songwriter dans le sens noble du terme, l'un des meilleurs du moment, ou du moins l'un des plus candides et originaux.


      



lundi 14 janvier 2013

Tube oublié #3: "Everything Flows"







Ce petit hommage à "Everything Flows", tube plus mineur que réellement oublié, est d'abord l'occasion de signaler qu'un nouvel album de Teenage Fanclub est à prévoir pour 2013, année décidément riche en promesses musicales. Puisque nous reviendrons bientôt sur la musique et la carrière du groupe, inutile de s'étendre trop longtemps sur une analyse de ce tout premier single sorti en 1990 peu avant l'explosion du grunge et tout à fait dans la tendance indé de l'époque, entre démesure noisy à la My Bloody Valentine et évidence mélodique préfigurant l'épopée britpop des années 90.

Les écossais se sont peu à peu fait connaître pour la finesse de leur power pop, influencée en grande partie par Big Star, mais leur premier album ne laissait pas forcément deviner cette évolution: en effet, "Everything Flows" est le titre le plus accessible sur "A Catholic Education", disque dont le ton pessimiste et les relents métal et grunge sont assez loin de l'idée qu'on peut se faire de Teenage Fanclub aujourd'hui. Pas d'harmonies délicates, peu de refrains mémorables et un son uniformément lourd et crade rappelant davantage la scène indé américaine de l'époque que le rock alternatif sautillant des Stone Roses, Happy Mondays ou Primal Scream.

Autant dire qu'"Everything Flows" est un véritable rayon de soleil sur ce disque, un tour de force qui mérite encore largement sa place sur n'importe quel best of du groupe (ou des années 90 d'ailleurs, je ne crois pas exagérer). Le thème est bâti autour d'une somptueuse suite d'accords répétée inlassablement tout au long des 5 minutes de la chanson, qui finit bien évidemment par prendre des dimensions épiques. Pour l'essentiel, c'est un impeccable exercice de roue libre qui trahit l'influence de Neil Young et nous renvoie donc directement à son disciple grunge JMascis, autre grand spécialiste des envolées de ce genre (il a d'ailleurs repris "Everything Flows" de nombreuses fois avec un évident savoir-faire).

Ce premier single est étrangement isolé dans la discographie des écossais qui ne sont ensuite plus jamais revenu vers ce type de composition, même s'ils ont encore flirté avec le son grunge le temps d'un second album, le classique "Bandwagonesque", marquant par ailleurs le début de l'influence des Byrds et de Big Star sur leur musique. Aujourd'hui encore certains groupes tentent de pondre des petits chefs d'oeuvre de cet acabit album après album, en vain. Teenage Fanclub en a réussi un du premier coup et s'en est allé vers d'autres horizons, ce qui ne fait qu'ajouter au charme de ce morceau d'anthologie.


samedi 5 janvier 2013

What the Beck are you doing?







Attention: ceci n'est pas une chronique. Beck nous a certes présenté il y a quelques semaines un recueil de nouvelles chansons plus de quatre ans après son dernier disque, le très digne "Modern Guilt", sous la forme d'un album livret très élégant. L'objet propose un "artwork" soigné ainsi que les paroles et partitions complètes de chaque chanson, mais pas de musique... ou si vous préférez, aucun moyen d'écouter les chansons interprétées et jouées par Beck. Pas de téléchargement ou de "vrai" album à venir, et c'est là tout le concept: profitez de cette occasion inespérée pour donner vie vous-même à ces nouvelles oeuvres, et vous aurez même droit à un petit quart d'heure de gloire si vous postez votre démo sur le web.

Vous ne savez pas lire la musique et n'avez jamais joué d'un instrument? "Dommage pour vous" semble dire un Beck hautain à ses fans... oui, Beck Hansen, l'apôtre des losers. De quoi s'agacer s'il décide de commercialiser ses propres versions à l'avenir, car jusqu'à aujourd'hui les musiciens sortaient d'abord un disque et seulement ensuite un livre de partitions pour les mordus ou les musiciens en herbe. Aurait-on affaire à un petit malin tentant d'inverser ce schéma tout en passant pour un esprit novateur?...

Qu'une chose soit claire: j'ai toujours adoré la musique de Beck, depuis ses débuts lo-fi foutraques jusqu'aux développements plus prétentieux de ces dix dernières années, et les histoires de scientologie autour du personnage m'ont toujours laissé de marbre. Cela ne nous... regarde pas, comme dirait l'autre. Idem pour les ambitions de plus en plus avant-gardistes de l'artiste, qui a enchaîné une décennie spontanée et vivante avec une deuxième décennie plus calculée et taciturne, mais pas dépourvue d'intérêt. Peut-être avait-il en tête de continuer à surprendre?... En tout cas, le doute persiste.

Quoi qu'il en soit, et à première vue, le site songreader.net semble confirmer qu'une multitude de pèlerins est déjà venue se jeter aux pieds de l'idole à l'aube de sa troisième décennie de créativité, nouvelle étape de sublimation artistique. Oui, beaucoup de gens ont relevé le noble défi lancé par Beck, et étant moi-même un musicien raté, artiste warholien et star du rock dans une vie parallèle j'ai écouté avec une certaine curiosité l'ensemble des contributions apportées à ce jour, histoire d'entendre les nouvelles chansons mais aussi dans le but secret de me marrer un peu. Comme prévu, il y a vraiment beaucoup de daube, quelques trucs qui font pitié, des pertes de temps, et même des grecs. Autant dire que les quelques dizaines de candidats font souvent figure d'âmes perdues venues chercher un échantillon de gloire au rabais sur un programme télé de seconde zone (on dirait une vieille chanson de Beck, tiens).

Parmi cette masse informe de liens Soundcloud et de vidéos anecdotiques sur YouTube, il y a tout de même des versions qui valent le coup. Si comme moi vous avez encore un semblant de curiosité pour l'oeuvre de Beck n'hésitez pas à jeter une oreille sur le stream intégral de "Song Reader" interprété par le compétent mais très mièvre Portland Cello Project. Dans l'ensemble, on peut dire que "Song Reader" s'appuie sur le penchant folk de Beck et les compositions rappellent essentiellement la période "Mutations" et sa cousine dépressive "Sea Change".

La chanson la plus reprise sur le site "songreader" est de loin "Old Shangaï", dont même les versions les plus douteuses laissent un arrière-goût agréable (avec un minimum d'imagination, évidemment). Plusieurs autres titres bien écrits laissent penser que Beck aurait pu se contenter de sortir un album dans le plus simple appareil, c'est-à-dire en interprétant lui-même, Johnny Cash-style, ce qui semble être une jolie collection de chansons: "Don't Act Like Your Heart Isn't Hard", "Saint Dude", "Do We? We Do", "Just Noise", "Please Leave a Light On When You Go" ou encore "Title Of This Song", indices que toute flamme n'est pas morte chez ce songwriter. Bien au contraire.



Petite sélection de versions intéressantes qui rendent la "désincarnation" de Beck plus que frustrante: