mardi 26 février 2013

Eels: "Wonderful, Glorious"







Lorsque j'ai commencé ce blog il y a quelques mois je n'avais pas l'intention de suivre l'agenda des sorties d'aussi près mais je remarque que les chroniques de nouveaux disques s'accumulent ces dernières semaines, signe que ce début d'année tient toutes ses promesses. "Wonderful, Glorious" fait partie des albums que j'attendais de pied ferme, ne serait-ce que pour la consistance de la discographie de Mark Everett, alias "E". Inutile de tourner autour du pot: cette nouvelle livraison est à la hauteur de son talent, toujours impeccable côté songwriting mais plus ambitieuse, sophistiquée et travaillée dans son ensemble que n'importe quel disque du triptyque "Hombre Lobo"/"End Times"/"Tomorrow Morning" (2009-2010), qui se révèle rétrospectivement encore plus spontané, personnel et expérimental qu'on ne le pensait.

Enregistré dans le nouveau studio d'Everett, ce dixième album propose une approche plus démocratique dans l'écriture de Eels, avec une contribution importante des membres actuels du groupe qui se fait entendre ici et là dans la diversité et la richesse des arrangements. En-dehors de ces considérations on ne sait pas trop dans quelle mesure E considère "Wonderful, Glorious" comme une (r)évolution artistique car pour l'essentiel, et de façon assez paradoxale, l'album reste profondément "eelsien" tant dans le fond que dans la forme. Dès les premières mesures de "Bombs Away" le scintillement familier d'un célesta vient alléger de lourdes percussions et nous donne la bienvenue en rappelant furieusement le style particulier de vieux classiques du groupe tels que "Novocaine For The Soul" ou "Flyswatter". À partir de là, les titres s'enchainent sans réelle surprise si ce n'est l'évident enthousiasme du songwriter et de ses musiciens pour cette nouvelle collection de chansons, soignées et abouties jusque dans les moindres détails. On est peut-être devant le disque le plus millimétré de Eels en terme de production, bien que cela se traduise surtout par la densité des compositions et de subtiles contrastes ou changements d'humeur, parfois au sein d'une même chanson. N'allez pas croire que l'auteur abandonne le bon goût qui le caractérise pour une approche putassière: E est et a toujours été un impressionniste à la personnalité rayonnante capable de s'accommoder du minimum syndical sans perdre ne serait-ce qu'un soupçon d'éloquence, et "Wonderful, Glorious" s'attèle avec panache à illustrer ses états d'âme plutôt qu'à magnifier leur impact de façon grossière ou ultra-stylisée (comme quoi on n'a pas forcément besoin de Danger Mouse ou Nigel Godrich pour conserver une santé artistique).  

Cette orfèvrerie pop identifiable entre mille juxtaposée aux éternelles ruminations et au ton rauque du chanteur ont beau renvoyer à tout moment à diverses étapes et albums des premières années du groupe (principalement la période pré-"Blinking Lights"), la musique tombe rarement dans le convenu, la redite ou le recyclage inutile de vieilles idées. Il y a de toute évidence une humilité et une honnêteté au coeur de ces chansons qui rendent le processus de mise en forme un peu secondaire, comme chez Wilco par exemple, même si la créativité, la cohésion et l'entente du groupe mentionnées précédemment ont pour effet d'apporter une dynamique et une lumière inattendues au disque. La noirceur inhérente aux chansons d'Everett s'en trouve quelque peu gommée même lorsqu'il se laisse aller à un certain fatalisme comme sur le crescendo viscéral de "The Turnaround" ou la country pop perplexe et désabusée de "On The Ropes" ("I'm not knocked out but I'm on the ropes"). Presque partout ailleurs le sarcasme est de mise et c'est un E prêt à mordre et à en découdre qui toise l'adversité avec humour et irrévérence un peu à la manière du dog faced boy de son inusable "Souljacker" (2001). "It's looking good, I dug my way out/I'm changing up what the story's about" grogne-t-il sur l'excellent "New Alphabet", la preuve qu'il a encore deux ou trois choses à dire, des comptes à régler et toujours une étonnante capacité à approfondir son propre terrain musical sans aller chercher midi à quatorze heures. C'est suffisamment rare pour être remarqué, et donc encensé comme il se doit.



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