mercredi 6 février 2013

The Gun Club: rétrospective







Issu de la scène punk californienne du tout début des années 80 The Gun Club est un groupe dont l'influence perdure au travers des décennies et des modes, en dépit d'un succès très confidentiel. En effet l'impact de la musique de Jeffrey Lee Pierce, décédé en 1996, contraste sévèrement avec son relatif anonymat et certains albums sont aujourd'hui encore difficiles à trouver, même en ces temps de rééditions à gogo et d'anthologies superflues... ce qui est absurde si l'on considère la répercussion artistique du Gun Club sur des groupes comme REM, Pixies, Screaming Trees, The White Stripes et de très nombreux autres contemporains. Résumé d'un parcours aussi fascinant que tordu.
    





FIRE OF LOVE
1981
Formé à Los Angeles à la fin des années 70 par Jeffrey Lee Pierce (chant et guitare), Brian Tristan alias "Kid Congo Powers" (guitare), Don Snowden (basse) et Brad Dunning (batterie), le groupe se fait d'abord connaître sous le nom The Creeping Ritual et développe rapidement un style assez unique basé sur le rockabilly. The Gun Club finit pourtant par enregistrer "Fire Of Love" avec une formation entièrement différente suite au départ de Kid Congo Powers, qui rejoint The Cramps: Ward Dotson officie en tant que guitariste tandis que la section rythmique est remplacée par Rob Ritter et Terry Graham. Malgré ces changements impromptus Pierce et sa bande livrent d'emblée un classique plein d'attitude et de sex, drugs & rock n'roll. "Fire Of Love" est un album très punk dans l'esprit mais fortement influencé par le blues et la country gothique, le tout transcendé par un chanteur possédé. Le charisme de Jeffrey Lee Pierce est tel qu'il parvient à donner une aura mystique à ses chansons et le disque reçoit logiquement les faveurs de la critique ainsi qu'un prometteur succès commercial. Le tube "Sex Beat" n'y est sans doute pas pour rien, mais "Fire Of Love" impressionne de bout en bout. On peut dire sans broncher qu'il s'agit là d'un des meilleurs débuts de l'ère post-punk.






MIAMI
1982
La destinée du groupe prend un tournant irréversible avec ce deuxième classique, décevant aux yeux de tous à sa sortie mais aujourd'hui considéré comme incontournable, voire supérieur à n'importe quel autre album du Gun Club. Jeffrey Lee Pierce et les musiciens de "Fire Of Love" emménagent à New York pour l'enregistrement de "Miami", parrainés et assistés par Debbie Harry et son mari Chris Stein (pour l'anecdote, Jeffrey Lee Pierce dirigeait le fan club de Blondie en Californie dans les années 70). La production controversée de Stein étouffe le son du groupe et met la voix de Pierce en avant dans le mix, gommant ainsi le relief et l'agressivité de "Fire Of Love" pour un résultat a priori peu convaincant. En dépit de ce manque d'impact, "Miami" continue de révéler la vision de Pierce et offre une perspective plus riche sur sa musique, au-delà du simple contexte punk. The Gun Club s'émancipe vers des horizons encore plus mystiques et hantés, le punk-blues des débuts s'effaçant légèrement au profit de compositions tournées vers les grands espaces, le folk et la country. En toute objectivité, l'absence de "muscle" de la production et le mastering douteux n'empêchent nullement d'apprécier la qualité de l'interprétation et du songwriting. Un chef d'oeuvre bancal et mal foutu, mais très séduisant.






LAS VEGAS STORY
1984
Le fiasco commercial de l'incompris "Miami" laisse des séquelles et l'excellent "Las Vegas Story" sort dans l'indifférence générale. De nombreux changements sont effectués au sein du groupe qui sort dans un premier temps le passable EP "Death Party" avec de nouveaux musiciens avant de réintégrer plusieurs membres pour ce troisième album. L'arrivée de Patricia Morrisson à la basse et surtout le retour de Kid Congo Powers à la guitare contribuent à une évolution assez radicale vers un rock plus lourd qui délaisse quelque peu le punk des débuts et le lyrisme de "Miami", sans pour autant altérer les signes d'identité du Gun Club entre accents blues, rythmes country, guitares slide, ambiances ténébreuses et bien-sûr le chant très particulier de Pierce, mi-ange mi-démon, déjà connu pour sa personnalité obscure et ses excès en tout genre. Ce disque plus immédiat, bien produit et remarquable en terme de songwriting ne rencontre hélas pas le succès de "Fire Of Love", et le groupe finit par se séparer quelques mois après sa sortie.






MOTHER JUNO
1987
Jeffrey Lee Pierce et Kid Congo Powers (également membre à cette époque des Bad Seeds de Nick Cave) décident de reformer The Gun Club, qui est cette fois complété par Nick Sanderson à la batterie et la bassiste Romi Mori, petite amie de Pierce. "Mother Juno" est une réussite à plus d'un titre: le groupe renoue avec un certain succès critique (bien que surtout en-dehors des USA, où l'album ne sortira pas avant de nombreuses années), progresse techniquement et développe un rock alternatif très convaincant, produit avec soin par Robin Guthrie des Cocteau Twins. C'est un Gun Club plus appliqué et sophistiqué que l'on retrouve sur ce quatrième LP: les relents hard rock de "Las Vegas Story" sont atténués pour obtenir un son plus raffiné, et si les chansons restent toujours aussi éloquentes dans l'expression des racines blues du groupe "Mother Juno" tourne résolument le dos au punk et aux influences country. Sans renoncer à son style très personnel, Jeffrey Lee Pierce affine considérablement son chant et continue de briller en tant que songwriter.






PASTORAL HIDE & SEEK
1990
On ne change pas une équipe qui "gagne", même si la réussite de "Mother Juno" reste strictement artistique, et c'est avec plaisir que l'on retrouve la même formation pour ce cinquième album qui aboutit la transition du groupe vers un rock léché en s'éloignant cette fois des structures blues habituelles. Pierce décide de produire le disque et assume presque tout le travail à la guitare tandis que Kid Congo Powers reste un peu plus en retrait mais contribue quelques superbes leads et solos de slide pour un résultat toujours aussi consistant en terme de qualité. C'est un rock n'roll sans doute moins abrasif et viscéral que celui de "Fire Of Love" ou "Las Vegas Story" qui nous est proposé ici, mais avec des chansons du calibre de "Humanesque", "The Straits Of Love & Hate" ou "St John's Divine" l'évolution du groupe reste captivante et négociée avec cohérence.






LUCKY JIM
1994
Plus qu'une énième évolution, cet ultime album marque les adieux poignants et fatalistes d'un groupe miné par l'absence de succès et de reconnaissance, déstabilisé par les tensions internes et les problèmes de santé de Jeffrey Lee Pierce qui paye ses nombreux excès et ses années d'addiction à l'héroïne (il succombera à peine deux ans plus tard). Quelques temps après la sortie d'un EP expérimental, "Divinity" (1991), Kid Congo Powers quitte le groupe, et Pierce finit par enregistrer lui-même toutes les guitares sur "Lucky Jim". Le résultat est un album plus personnel et plus blues que jamais centré autour des inquiétudes de Pierce, où la lassitude et les regrets se font souvent sentir. Un état d'esprit entre colère et résignation bien représenté par "A House Is Not a Home", titre faisant référence à l'histoire du groupe et au dédain enduré aux États-Unis. L'humeur est assez crépusculaire dans l'ensemble malgré de fréquents soubresauts démontrant que The Gun Club est encore capable de vibrantes envolées blues-rock et de ressusciter la ferveur des débuts. "Lucky Jim" s'impose comme un disque élégant, varié et très inspiré musicalement. C'est sans doute le plus touchant de la discographie du groupe du fait de la vulnérabilité qui s'en dégage.    






Disparu à seulement 37 ans suite à une hémorragie cérébrale, Jeffrey Lee Pierce laisse derrière lui une discographie légendaire qui compte également deux albums solos ainsi qu'une multitude de compilations, de raretés et d'enregistrements live. On retient surtout l'intégralité des six LPs studio du Gun Club présentés ici, tous différents et tous brillants, chacun à leur manière, démontrant une étonnante ambition artistique souvent éclipsée par l'image ultra-décadente de Pierce et son caractère pour le moins ambigu. Son autobiographie "Go Tell The Mountain" (parue peu après la sortie de "Lucky Jim") n'aide pas beaucoup plus à définir le personnage, qui se montre sous un jour peu flatteur, rancunier envers les membres de son groupe et amer vis-à-vis de sa carrière. Si les nombreuses anecdotes sur la personne sont souvent peu ragoûtantes, l'artiste reste en revanche intouchable et admiré à juste titre par un nombre aujourd'hui incalculable de musiciens et de fans. Un recommandable documentaire intitulé "Ghost On The Highway" dressant le portrait de Pierce est par ailleurs disponible, de loin préférable à l'autobiographie mentionnée plus haut.





       

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