vendredi 29 mars 2013

Phosphoresent: "Muchacho"








Avant de creuser un peu plus en détail pour voir ce que ce disque a dans le ventre autant prévenir que "Muchacho" propose un genre de folk assez roots dans l’esprit qui continue de passionner les américains et laisse souvent les européens de marbre, d’où un probable décalage entre les excellentes critiques d’outre-atlantique et celles moins enthousiastes du vieux continent. Le style d’écriture de Matthew Houck combine ballades à l’ancienne et ragtimes de saloon avec de longs plans-séquences s’ouvrant sur les plaines désertes, comme dans un décor de western des années 50. L’image est à peine exagérée, car pour parachever le tableau le songwriter use et abuse souvent de choeurs champêtres et de falsettos genre "cri du loup au fond des bois". A priori, nous voilà mal barrés, mais comme sur le remarqué "Here’s To Taking It Easy" de 2010 l’approche désuète de Houck est souvent transcendée par des moments de lévitation et de grâce qui font oublier tous les préjugés.

On comprend très vite à l’écoute de "Muchacho" que l’homme se cachant derrière le pseudo Phosphorescent est passé par certains troubles sentimentaux et des doutes personnels. Sans surprise, quelques recherches sur la genèse du disque indiquent que son titre a été inspiré par une longue virée solitaire en terres mexicaines (d’où quelques effluves "mariachi") pour tenter d’oublier une ex, calmer le jeu et les excès, et se recentrer un peu. Notre lonesome cowboy se lance donc dans un disque-cinoche du samedi soir, un peu à la manière de l’émission des années 80 "La Dernière Séance" avec Eddy Mitchell, et ce dès le premier titre en forme de générique d’ouverture, pas très engageant d’ailleurs, jusqu’aux crédits de fin. En termes de scénario et d’ambiance, on est cependant beaucoup plus proche du western existentiel post-indiens et bandits "Paris Texas" de Wim Wenders que d’un préhistorique "Rio Bravo" avec John Wayne.

Les délicats arrangements électro du single "Song For Zula" constituent la première bonne surprise du disque, soutenant une très belle narrative que n’aurait pas renié Bruce Springsteen entre de légères percussions synthétiques et une élégante texture mélodique à base de pedal-steel et de cordes aériennes. Juste derrière, "Ride On / Right On" émancipe cette approche vers un country-rock bâtard mélangé à un groove presque disco. Ça ne devrait pas fonctionner, mais la production de [b]John Agnello[/b] (déjà responsable du "Smoke Ring For My Halo" de Kurt Vile il y a deux ans) est encore une fois parfaitement mesurée. Le disque se fait ensuite plus traditionnellement folk ou folk-rock et un peu longuet par endroits, surtout aux premières écoutes, mais jamais uniforme comme peuvent souvent l’être des disques de troubadours scotchés à leur guitare acoustique. C’est d’ailleurs très certainement l’une des plus intéressantes productions de ce début d’année, mise au service d’un songwriting un peu complaisant ici et là mais solide dans l’ensemble.

De nombreux passages comme les envolées cuivrées de "A Charm / A Blade" et la voix en général assez nasillarde de Houck renvoient au Bob Dylan de la fin des années 70, référence la plus évidente tout au long de "Muchacho" jusque dans la manière de privilégier les textes et le lyrisme sans s’astreindre à un formatage pop. Voilà qui colle bien avec la sensation initiale de se plonger dans un film, dont le moment le plus prenant reste la montée vers le final de l'épique "The Quotidian Beasts" et sa jouissive cascade de notes de piano. On peut regretter que le disque n’atteigne pas plus souvent une telle intensité, mais le tout est concluant. Ce "Muchacho" est un digne compagnon pour une nuit solitaire passée à méditer avec la télé allumée et à vider distraitement quelques fonds de bouteille, comme un road-movie qu'on mate du coin de l'oeil. Le scénario? Pas extraordinaire, mais la photo est belle et l’acteur principal est convaincant dans son rôle d'antihéros un peu paumé. Un disque attachant et plutôt cool.




samedi 23 mars 2013

Jim James: "Regions Of Light And Sound Of God"








Sur le papier, le titre du nouvel album de Jim James n’est pas des plus emballants. Les quêtes spirituelles de toute sorte ont beau s’imposer comme de grandes sources d’inspiration, elles ne conduisent pas toujours à de très bons disques. Ou du moins pas plus que d’autres sujets de chansons hors du domaine de l’extase mystique comme par exemple s’ennuyer à la campagne, prendre des cuites ou se faire larguer. Ajoutons à cela certains risques: méditations prétentieuses, messages subliminaux foireux, références bibliques téléphonées… Grâce à Dieu ce n’est pas le cas ici. "Regions of Light and Sound of God" est bel et bien un disque cérébral, plein d’esprit et de questions existentielles, mais la lourdeur du titre n’annonce heureusement pas un voyage religieux ampoulé et barbant. On peut d’ailleurs en faire une lecture assez libre.

Tout commence par un "State Of The Art" dense et contrôlé, captivant et expertement développé qui part de trois fois rien, un petit riff tout simple au piano. Le morceau prend de sacrées proportions mais s’achève à peine cinq minutes plus tard, juste au point de rupture où un beau crescendo peut par mégarde basculer dans l’hymne à rallonge. "I really mean it: the power is going out!", et puis plus rien. Cette fois-ci Jim James s’abstient, ce qui n’est pas toujours le cas chez ce songwriter aventureux capable d’étirer et de triturer une idée basique jusqu’à l’infini. Quinze ans après "The Tennesse Fire" on reste assez impressionné par le talent brut de ce chanteur barbu à la drôle de dégaine, ce fin mélodiste reconnu pour les caméléonismes de son groupe My Morning Jacket: country-soul un jour, shoegaze le lendemain, prog-pop le surlendemain, même s’il a parfois tendance à court-circuiter la cohérence et la bonne tenue de ses albums avec de surprenantes décisions. Hélas, on ne dira pas que cet album fait exception, et c’est d’autant plus regrettable que "Regions of Light and Sound of God" montre une retenue et une sobriété inhabituelles.

Les effluves funk et soul de "State Of The Art (A.E.I.O.U)" se font encore plus intenses sur un "Know 'Til Now" langoureux et long en bouche. Un peu plus tard, "Of The Mother Again" et surtout "Actress" culminent avec brio cette approche musicale. James parvient encore une fois à puiser dans l’essence d’un style sans se laisser aller à des singeries bas de gamme. On l’avait déjà remarqué lors de ses nombreuses relectures du répertoire de Neil Young et on ne change pas d’avis: le mec a du goût, une vision bien à lui et une belle ambition. Dans l’ensemble l’album renoue avec les tendances "art-pop" des dernières sorties de My Morning Jacket, sans les guitares parfois rugueuses du groupe.

C’est en partie pour cette raison qu’on ne pige pas la parenthèse folk en plein milieu de "Regions Of Light And Sound Of God" qui donne l’impression d’une régression vers un "default mode" pour James: "A New Life" est un très joli hommage à George Harrison mais reste étrangement déconnecté de tout ce qui précède en terme d’ambition et de style, tandis que le tout aussi esthétique instrumental "Exploding" n’apporte rien à l’ensemble si ce n’est une baisse de tension au moment précis où l’on attend que l’auteur donne du mordant et une ligne directrice plus évidente à ce premier album solo. Pour ne rien arranger le final est un peu laborieux même si l’on distingue toujours de solides lignes mélodiques, et c’est dans ces derniers mètres qu’on sent Jim James un peu éreinté. Il est considérablement moins en voix qu’à l’accoutumée et étrangement distant. On ne sait pas si le manque d’emphase dans son chant et dans certaines parties instrumentales est voulu ou accidentel, mais on soupçonne le songwriter de s’être un peu emmêlé les pinceaux en jouant et produisant tout lui-même à l’exception de la batterie et des cordes.

Sorti du contexte de My Morning Jacket, Jim James a fait mieux avec le disque des Monsters Of Folk en 2009 en compagnie de Conor Oberst et M. Ward. Mais en dépit des inégalités et quitte à choisir, on préfère garder cet artiste tel qu'il est: erratique mais capable de pondre régulièrement des joyaux comme "The Bear", "Xmas Curtain" ou "Gideon" entre autres. Le barbu ne tient pas en place, continue de tenter des trucs un peu improbables et c'est tant mieux. Comme il le dit si bien lui-même sur le quelque peu cynique mais superbe "Actress": "I believe in the concept of you". On se permet de retourner ces mots à Jim James sans aucune ironie.






samedi 2 mars 2013

Reprise #4: "Waterloo Sunset"







Issue d'un projet d'émission avorté pour la chaîne VH1 ("The Jon Brion Show"), cette jolie reprise du classique des Kinks enregistrée en 2000 est restée totalement inconnue jusqu'au 17 janvier dernier lorsque le réalisateur et producteur Paul Thomas Anderson s'est décidé à la mettre en ligne avec l'ensemble de la session de 40 minutes du programme. Un véritable trésor pour les fans du défunt Elliott Smith.

Le multi-instrumentaliste Jon Brion assiste brillamment le troubadour sur plusieurs de ses chansons ("Son Of Sam", "Independance Day" et "Happiness", entre autres), et l'on a également droit à des reprises de John Lennon ("Jealous Guy") et Big Star ("Nightime"). Vraiment bizarre, et dommage, que cette émission de qualité n'ait jamais vu le jour.


La version originale des Kinks:





mercredi 27 février 2013

15 hymnes "slacker" des années 90







Comme le titre de ce post l'indique voici une petite liste destinée à faire l'éloge de la paresse, du je-m'en-foutisme et des branleurs de tout poil qui dans le cadre de la culture pop et rock ont connu un essor sans précédent dans les années 90, plus précisément en marge du mouvement grunge. Je répète souvent le mot "slacker" ici donc pourquoi pas définir le terme au travers de quelques titres?








15. STOVE (The Lemonheads, 1990)
"I know I shouldn't think about it anymore/what's the point you say". "Stove" n'atteint pas des sommets de paresse dans l'absolu, mais Evan Dando reste l'un des plus adorables slackers des années 90 comme le prouve cette chanson sentimentale dédiée à son four. Oui, à son four.







14. GIMME INDIE ROCK (Sebadoh, 1992)
Là encore, on ne peut pas parler de je-m'en-foutisme extrême mais musicalement "Gimme Indie Rock" est à 100% dans l'esprit slacker. Lou Barlow est un slacker vindicatif qui exprime son mépris pour les poseurs du show-business, fait l'apologie de la fumette et s'en prend à son ex-collègue J Mascis. Comme quoi tout n'est pas toujours rose entre glandeurs.







13. I WILL SURVIVE (Cake, 1996)
Cake n'est pas un groupe slacker à proprement parler et de surcroît la discographie des américains est plus que passable. Néanmoins, cette reprise pouilleuse du grand classique disco "I Will Survive" est remarquable en tout point et donne une belle perspective sur l'évolution post-slacker du rock indé des 90's.







12. KINDA STONED (Swell, 1993)
"Time and pills, let's waste a year..." Difficile de penser à un groupe plus fondamentalement slacker que Swell. Mis à part la conclusion de ce titre sur les mots "everybody's kinda stoned" répétés de façon léthargique par David Freel on apprécie particulièrement les blancs inattendus au milieu de la chanson, comme si le groupe oubliait sa partition... "what?"








11. LIE DOWN FOREVER (Godstar, 1993)
Le titre de cette chanson laisse déjà entendre que les australiens de Godstar ne sont pas des foudres de guerre, mais une simple écoute suffit à donner une flemme monumentale. Un morceau qui passe mieux à proximité d'un sofa ou d'une surface plane, moelleuse si possible.







10. TRAINS ACROSS THE SEA (Silver Jews, 1994)
"Half-hours on Earth, what are they worth? I don't know". David Berman rêvasse à voix haute. On apprend qu'il a bu 50 000 bières en 27 ans, juste comme ça. On ne va pas le déranger, il a l'air peinard dans sa piaule.







9. AM 180 (Grandaddy, 1998)
Le détachement dans la voix de Jason Lytle et la lourdeur cradingue de la guitare contribuent à donner à ce titre une esthétique slacker-pop du meilleur effet. Le mot "whatever" est utilisé comme une sorte de vague promesse ("whatever together"), l'idéal étant de ne "rien faire" et Lytle nous informe même au passage qu'il n'a pas mis les pieds en ville depuis "des années".







8. GOOD ENOUGH (Mudhoney, 1991)
Au début des années 90 si l'on donnait 10 000 dollars à Mudhoney pour enregistrer une chanson le groupe se débrouillait pour n'en dépenser que 500 et gardait le reste comme argent de poche. C'était sans doute "good enough" pour eux.







7. THE CONCEPT (Teenage Fanclub, 1991)
À leurs débuts les écossais de Teenage Fanclub étaient d'authentiques slackers, plus sensibles et romantiques que certains de leurs confrères américains mais tout aussi nonchalants et oisifs. "The Concept" illustre très bien le "slacker lifestyle".







6. NOT YOU AGAIN (Dinosaur Jr, 1991)
"I've got no advice 'bout anything, just fuck it up yourself". J Mascis est un slacker en puissance et l'auteur de nombreux morceaux qui pourraient être inclus dans cette liste. Puisqu'il fallait choisir, les paroles de cette chanson m'ont semblé particulièrement représentatives de la torpeur du bonhomme.







5. BACKWATER (Meat Puppets, 1994)
"Just stand there looking backwards half-unconscious from the pain". Les Meat Puppets ont énormément contribué à définir l'attitude slacker dans les années 80. Le tube "Backwater" n'est peut-être pas leur titre le plus branleur mais il reste quand même de très haut niveau en terme d'indifférence désabusée.







4. RANGE LIFE (Pavement, 1994)
"Dreamin' dream dream dream..." Laisser Pavement en-dehors des débats aurait été un affront tant le groupe symbolise la philosophie slacker sur ses premiers albums. Non pas à cause d'un  manque d'ambition mais plutôt par l'attitude désinvolte et parfois désordonnée qui se dégage de leur musique. "Range Life" est un magnifique plaidoyer en faveur d'une existence plus décontractée.







03. LITHIUM (Nirvana, 1991)
Kurt Cobain était un slacker névrosé mais un véritable emblème pour toute une génération de lève-tards débraillés. "Lithium" mérite cette troisième place rien que pour l'immortelle ligne "sunday morning is everyday for all I care", le slogan slacker par excellence.







2. SLACK MOTHERFUCKER (Superchunk, 1991)
Hymne anti-slacker ou ironie? Difficile de le dire à la lecture des paroles de "Slack Motherfucker". D'une façon ou d'une autre, ce titre est un grand moment de consécration pour tout glandeur qui se respecte.

"You haven't moved from that spot all night since you asked for a light
You little smoke stack
You've wasted my time
I'd like to see you try and give it back
I'm working
But I'm not working for you!
Slack Motherfucker!
Relax, sit down
I'll kick that stool right out from under you
Well, then, I see you sitting outside
Well, I can do the same thing too
I'm working
But I'm not working for you!
No!
Slack Motherfucker!
I'm working
But I'm not working for you!
Slack Motherfucker
You Motherfucker!!"







1. LOSER (Beck, 1994)
L'hymne slacker définitif des années 90 est paradoxalement l'oeuvre d'un carriériste calculateur affamé de succès et de reconnaissance artistique. En tout cas c'est l'artiste le moins slacker du lot. On ne l'aurait jamais deviné en 1994, et c'est tout ce qui compte.




mardi 26 février 2013

Eels: "Wonderful, Glorious"







Lorsque j'ai commencé ce blog il y a quelques mois je n'avais pas l'intention de suivre l'agenda des sorties d'aussi près mais je remarque que les chroniques de nouveaux disques s'accumulent ces dernières semaines, signe que ce début d'année tient toutes ses promesses. "Wonderful, Glorious" fait partie des albums que j'attendais de pied ferme, ne serait-ce que pour la consistance de la discographie de Mark Everett, alias "E". Inutile de tourner autour du pot: cette nouvelle livraison est à la hauteur de son talent, toujours impeccable côté songwriting mais plus ambitieuse, sophistiquée et travaillée dans son ensemble que n'importe quel disque du triptyque "Hombre Lobo"/"End Times"/"Tomorrow Morning" (2009-2010), qui se révèle rétrospectivement encore plus spontané, personnel et expérimental qu'on ne le pensait.

Enregistré dans le nouveau studio d'Everett, ce dixième album propose une approche plus démocratique dans l'écriture de Eels, avec une contribution importante des membres actuels du groupe qui se fait entendre ici et là dans la diversité et la richesse des arrangements. En-dehors de ces considérations on ne sait pas trop dans quelle mesure E considère "Wonderful, Glorious" comme une (r)évolution artistique car pour l'essentiel, et de façon assez paradoxale, l'album reste profondément "eelsien" tant dans le fond que dans la forme. Dès les premières mesures de "Bombs Away" le scintillement familier d'un célesta vient alléger de lourdes percussions et nous donne la bienvenue en rappelant furieusement le style particulier de vieux classiques du groupe tels que "Novocaine For The Soul" ou "Flyswatter". À partir de là, les titres s'enchainent sans réelle surprise si ce n'est l'évident enthousiasme du songwriter et de ses musiciens pour cette nouvelle collection de chansons, soignées et abouties jusque dans les moindres détails. On est peut-être devant le disque le plus millimétré de Eels en terme de production, bien que cela se traduise surtout par la densité des compositions et de subtiles contrastes ou changements d'humeur, parfois au sein d'une même chanson. N'allez pas croire que l'auteur abandonne le bon goût qui le caractérise pour une approche putassière: E est et a toujours été un impressionniste à la personnalité rayonnante capable de s'accommoder du minimum syndical sans perdre ne serait-ce qu'un soupçon d'éloquence, et "Wonderful, Glorious" s'attèle avec panache à illustrer ses états d'âme plutôt qu'à magnifier leur impact de façon grossière ou ultra-stylisée (comme quoi on n'a pas forcément besoin de Danger Mouse ou Nigel Godrich pour conserver une santé artistique).  

Cette orfèvrerie pop identifiable entre mille juxtaposée aux éternelles ruminations et au ton rauque du chanteur ont beau renvoyer à tout moment à diverses étapes et albums des premières années du groupe (principalement la période pré-"Blinking Lights"), la musique tombe rarement dans le convenu, la redite ou le recyclage inutile de vieilles idées. Il y a de toute évidence une humilité et une honnêteté au coeur de ces chansons qui rendent le processus de mise en forme un peu secondaire, comme chez Wilco par exemple, même si la créativité, la cohésion et l'entente du groupe mentionnées précédemment ont pour effet d'apporter une dynamique et une lumière inattendues au disque. La noirceur inhérente aux chansons d'Everett s'en trouve quelque peu gommée même lorsqu'il se laisse aller à un certain fatalisme comme sur le crescendo viscéral de "The Turnaround" ou la country pop perplexe et désabusée de "On The Ropes" ("I'm not knocked out but I'm on the ropes"). Presque partout ailleurs le sarcasme est de mise et c'est un E prêt à mordre et à en découdre qui toise l'adversité avec humour et irrévérence un peu à la manière du dog faced boy de son inusable "Souljacker" (2001). "It's looking good, I dug my way out/I'm changing up what the story's about" grogne-t-il sur l'excellent "New Alphabet", la preuve qu'il a encore deux ou trois choses à dire, des comptes à régler et toujours une étonnante capacité à approfondir son propre terrain musical sans aller chercher midi à quatorze heures. C'est suffisamment rare pour être remarqué, et donc encensé comme il se doit.



lundi 25 février 2013

The Limiñanas: "I'm Dead"







Si ce n'est déjà chose faite n'hésitez pas à jeter une oreille sur le dernier Limiñanas, "Crystal Anis", l'un de mes albums préférés de 2012. Voici le nouveau clip du groupe illustrant la version instrumentale du titre "I'm Dead", enregistrée avec Pascal Comelade. C'est l'occasion de saluer le beau travail de Jean-Luc Moly à la réalisation, et aussi de faire un peu d'auto-promo puisque j'ai élaboré les passages chorégraphiés avec l'aide des talentueux élèves du Centre de Dansa de Catalunya (Barcelone).

Histoire de faire honneur au très louable parcours des perpignanais, je ne résiste pas à la tentation d'ajouter le fabuleux single du même nom de 2010, également sorti sur Hozac Records, une petite sucrerie garage-pop absolument irrésistible:





jeudi 14 février 2013

My Bloody Valentine: "m b v"







Quoi de plus légitime que d'honorer la St Valentin avec quelques réflexions sur le nouveau disque du groupe de Kevin Shields? Le raz-de-marée critique et populaire provoqué par le retour de My Bloody Valentine a pris une telle ampleur ces derniers jours qu'il semble désormais criminel d'ignorer l'importance historique des anglais. Et dire qu'il y a quelques jours encore l'annonce de ce retour ne récoltait qu'un enthousiasme très relatif... Que s'est-il passé entre-temps et que peut bien receler ce disque de si extraordinaire?

Les vingt-deux ans de silence séparant "Loveless" de "mbv" ont certes grandement contribué à façonner la légende de My Bloody Valentine et à mettre le petit monde sensible des amateurs de pop indé sous pression. L'irruption de l'album sur internet la nuit du samedi 4 février a déclenché une excitation bien compréhensible (oui, je fais aussi partie des très nombreux ringards à s'être empressés de télécharger le truc dès sa mise en ligne, en vain), mais cela n'explique pas entièrement l'accueil dithyrambique de la part de certains médias et le soudain "coming out" d'une telle armée de fans extrémistes (pas de liens, il suffit de se promener sur le gratin des webzines musicaux pour s'en rendre compte).

Loin de moi l'envie de jouer les pisse-froids mais sans me plonger dans une étude ultra-détaillée de "mbv" le contenu du disque n'est pas plus enthousiasmant que celui de "Loveless", et si la vision de Kevin Shields reste unique et souvent fascinante on retrouve également les inégalités et autres complaisances auxquelles le groupe nous avait habitué sur ses deux premiers albums. Évidemment, cela n'enlève rien au caractère "révolutionnaire" de la discographie du groupe, et il faut reconnaître qu'après s'être farci pendant vingt ans des influences "shoegaze" plus ou moins hasardeuses à toutes les sauces une simple écoute de ce nouvel album réaffirme Shields comme un visionnaire qui ne se contente pas de régurgiter une formule toute faite (espérons que les M83 et autres starlettes du genre prendront note et sauront réévaluer leur approche).

En 2013, My Bloody Valentine n'est donc pas une disgrâce ou un anachronisme: c'est déjà une réussite, mais cela ne semble pas satisfaire l'avidité du hipster de base et nous devons nous confronter à une idée reçue qui voudrait nous faire croire que la révolution continue, que Shields est revenu pour tout faire péter. Pire, les deux derniers titres de l'album sont fréquemment désignés comme le point culminant de "mbv", une porte ouverte sur l'avenir et le début d'une nouvelle ère... On parle bien de l'instrumental vaguement tribal "Nothing Is" de 3 minutes et des poussières et de "Wonder 2", morceau expérimental particulièrement noisy et bordélique qui reste noisy et bordélique à l'oreille même après des dizaines d'écoutes. Pour avoir chéri et écouté religieusement les débordements les plus extrêmes de groupes comme le Velvet Underground, les Stooges, Hüsker Dü ou Dinosaur Jr -pour ne citer que ceux-là- j'ai quand même du mal à donner un tel crédit à ces deux titres, et ce malgré toute ma bonne volonté. Et je me demande pourquoi personne n'a crié au génie lorsque Shields a composé et enregistré le titre "More Light" avec JMascis en 2000 pour l'album solo du même nom:







Suis-je en train de parler de l'album ou de l'effet qu'il produit sur un certain public? Voici ma petite théorie, qui vaut ce qu'elle vaut: en-dehors de ses indéniables charmes (la noise-pop tordue et majestueuse de "She Found Now", "Only Tomorrow" et "Who Sees You", les envoûtants détours new-wave de "New You" et "In Another Way"), cet album tant attendu propose essentiellement un son authentique et une conviction artistique inébranlable à une époque où les normes de production tendent vers un perfectionnisme cache-misère, un recours parfois outrancier à la technologie, une mise en forme toujours plus sophistiquée et uniforme. Tout le monde "sonne" un peu pareil de nos jours et l'on distingue de moins en moins un groupe d'un autre entre tous ces Foals-Klaxons-Friendly Fires-Bloc Party, un phénomène qui ne date pas d'hier mais qui tend à s'accentuer. Pour toute une génération habituée à entendre du shoegaze et de la saturation en haute définition, le son analogue et provocateur de "mbv" est une véritable claque. Pour les plus vieux ou les plus érudits c'est une sorte de madeleine de Proust, un parfum rassurant, un disque barré mais organique qui remet les contours flous et une certaine idée du romantisme au goût du jour. Est-ce que "mbv" sonne rétro ou est-ce que "Loveless" a subitement pris un coup de jeune? Optons pour la deuxième réponse. Les fans et critiques transis qui encensent actuellement My Bloody Valentine semblent souvent plus amoureux du concept que de la musique.

Non, My Bloody Valentine n'a pas réinventé l'eau chaude avec cet album, mais c'est justement le refus de livrer un produit fini selon les critères esthétiques modernes qui rend ces morceaux si singuliers dans le contexte actuel et qui permet au groupe de surclasser tous ses imitateurs, comme on a pu l'observer avec la fascination pour d'autres disques mythiques aux productions sous-développées tels que le "Machina II" des Smashing Pumpkins. D'un côté, les suiveurs à l'apparence cartoonesque et de l'autre, les originaux. Les purs et durs.

Malgré le côté parfois irritant du personnage, on ne peut que se réjouir du choix de Kevin Shields d'avoir sorti "mbv" en autonome et d'être resté intransigeant jusqu'au bout. Vous me direz que Radiohead ceci et machin-chose cela, mais Shields ne nous vend pas une réinvention bidon ou une version 2.0 du son de My Bloody Valentine et il s'en sort avec la satisfaction de donner une suite cohérente aux lointains "Isn't Anything" et "Loveless". Il n'est évidemment (et heureusement) pas le seul musicien à poursuivre un idéal de cette sorte, mais ce retour tant anticipé donne une répercussion inhabituelle à sa démarche. Si les gens s'intéressent à une oeuvre aussi radicale et que l'industrie du disque s'en trouve un tant soit peu bouleversée, tant mieux après tout (ok, je rêve). En fin de compte, l'engouement actuel pour ce groupe tient plus à sa personnalité et à ce qu'il représente - une continuité passé-présent crédible et le respect d'une vision - qu'à la qualité de son nouvel album, pas dégueu au demeurant. Maintenant, on attend l'album des La's.