mercredi 27 février 2013

15 hymnes "slacker" des années 90







Comme le titre de ce post l'indique voici une petite liste destinée à faire l'éloge de la paresse, du je-m'en-foutisme et des branleurs de tout poil qui dans le cadre de la culture pop et rock ont connu un essor sans précédent dans les années 90, plus précisément en marge du mouvement grunge. Je répète souvent le mot "slacker" ici donc pourquoi pas définir le terme au travers de quelques titres?








15. STOVE (The Lemonheads, 1990)
"I know I shouldn't think about it anymore/what's the point you say". "Stove" n'atteint pas des sommets de paresse dans l'absolu, mais Evan Dando reste l'un des plus adorables slackers des années 90 comme le prouve cette chanson sentimentale dédiée à son four. Oui, à son four.







14. GIMME INDIE ROCK (Sebadoh, 1992)
Là encore, on ne peut pas parler de je-m'en-foutisme extrême mais musicalement "Gimme Indie Rock" est à 100% dans l'esprit slacker. Lou Barlow est un slacker vindicatif qui exprime son mépris pour les poseurs du show-business, fait l'apologie de la fumette et s'en prend à son ex-collègue J Mascis. Comme quoi tout n'est pas toujours rose entre glandeurs.







13. I WILL SURVIVE (Cake, 1996)
Cake n'est pas un groupe slacker à proprement parler et de surcroît la discographie des américains est plus que passable. Néanmoins, cette reprise pouilleuse du grand classique disco "I Will Survive" est remarquable en tout point et donne une belle perspective sur l'évolution post-slacker du rock indé des 90's.







12. KINDA STONED (Swell, 1993)
"Time and pills, let's waste a year..." Difficile de penser à un groupe plus fondamentalement slacker que Swell. Mis à part la conclusion de ce titre sur les mots "everybody's kinda stoned" répétés de façon léthargique par David Freel on apprécie particulièrement les blancs inattendus au milieu de la chanson, comme si le groupe oubliait sa partition... "what?"








11. LIE DOWN FOREVER (Godstar, 1993)
Le titre de cette chanson laisse déjà entendre que les australiens de Godstar ne sont pas des foudres de guerre, mais une simple écoute suffit à donner une flemme monumentale. Un morceau qui passe mieux à proximité d'un sofa ou d'une surface plane, moelleuse si possible.







10. TRAINS ACROSS THE SEA (Silver Jews, 1994)
"Half-hours on Earth, what are they worth? I don't know". David Berman rêvasse à voix haute. On apprend qu'il a bu 50 000 bières en 27 ans, juste comme ça. On ne va pas le déranger, il a l'air peinard dans sa piaule.







9. AM 180 (Grandaddy, 1998)
Le détachement dans la voix de Jason Lytle et la lourdeur cradingue de la guitare contribuent à donner à ce titre une esthétique slacker-pop du meilleur effet. Le mot "whatever" est utilisé comme une sorte de vague promesse ("whatever together"), l'idéal étant de ne "rien faire" et Lytle nous informe même au passage qu'il n'a pas mis les pieds en ville depuis "des années".







8. GOOD ENOUGH (Mudhoney, 1991)
Au début des années 90 si l'on donnait 10 000 dollars à Mudhoney pour enregistrer une chanson le groupe se débrouillait pour n'en dépenser que 500 et gardait le reste comme argent de poche. C'était sans doute "good enough" pour eux.







7. THE CONCEPT (Teenage Fanclub, 1991)
À leurs débuts les écossais de Teenage Fanclub étaient d'authentiques slackers, plus sensibles et romantiques que certains de leurs confrères américains mais tout aussi nonchalants et oisifs. "The Concept" illustre très bien le "slacker lifestyle".







6. NOT YOU AGAIN (Dinosaur Jr, 1991)
"I've got no advice 'bout anything, just fuck it up yourself". J Mascis est un slacker en puissance et l'auteur de nombreux morceaux qui pourraient être inclus dans cette liste. Puisqu'il fallait choisir, les paroles de cette chanson m'ont semblé particulièrement représentatives de la torpeur du bonhomme.







5. BACKWATER (Meat Puppets, 1994)
"Just stand there looking backwards half-unconscious from the pain". Les Meat Puppets ont énormément contribué à définir l'attitude slacker dans les années 80. Le tube "Backwater" n'est peut-être pas leur titre le plus branleur mais il reste quand même de très haut niveau en terme d'indifférence désabusée.







4. RANGE LIFE (Pavement, 1994)
"Dreamin' dream dream dream..." Laisser Pavement en-dehors des débats aurait été un affront tant le groupe symbolise la philosophie slacker sur ses premiers albums. Non pas à cause d'un  manque d'ambition mais plutôt par l'attitude désinvolte et parfois désordonnée qui se dégage de leur musique. "Range Life" est un magnifique plaidoyer en faveur d'une existence plus décontractée.







03. LITHIUM (Nirvana, 1991)
Kurt Cobain était un slacker névrosé mais un véritable emblème pour toute une génération de lève-tards débraillés. "Lithium" mérite cette troisième place rien que pour l'immortelle ligne "sunday morning is everyday for all I care", le slogan slacker par excellence.







2. SLACK MOTHERFUCKER (Superchunk, 1991)
Hymne anti-slacker ou ironie? Difficile de le dire à la lecture des paroles de "Slack Motherfucker". D'une façon ou d'une autre, ce titre est un grand moment de consécration pour tout glandeur qui se respecte.

"You haven't moved from that spot all night since you asked for a light
You little smoke stack
You've wasted my time
I'd like to see you try and give it back
I'm working
But I'm not working for you!
Slack Motherfucker!
Relax, sit down
I'll kick that stool right out from under you
Well, then, I see you sitting outside
Well, I can do the same thing too
I'm working
But I'm not working for you!
No!
Slack Motherfucker!
I'm working
But I'm not working for you!
Slack Motherfucker
You Motherfucker!!"







1. LOSER (Beck, 1994)
L'hymne slacker définitif des années 90 est paradoxalement l'oeuvre d'un carriériste calculateur affamé de succès et de reconnaissance artistique. En tout cas c'est l'artiste le moins slacker du lot. On ne l'aurait jamais deviné en 1994, et c'est tout ce qui compte.




mardi 26 février 2013

Eels: "Wonderful, Glorious"







Lorsque j'ai commencé ce blog il y a quelques mois je n'avais pas l'intention de suivre l'agenda des sorties d'aussi près mais je remarque que les chroniques de nouveaux disques s'accumulent ces dernières semaines, signe que ce début d'année tient toutes ses promesses. "Wonderful, Glorious" fait partie des albums que j'attendais de pied ferme, ne serait-ce que pour la consistance de la discographie de Mark Everett, alias "E". Inutile de tourner autour du pot: cette nouvelle livraison est à la hauteur de son talent, toujours impeccable côté songwriting mais plus ambitieuse, sophistiquée et travaillée dans son ensemble que n'importe quel disque du triptyque "Hombre Lobo"/"End Times"/"Tomorrow Morning" (2009-2010), qui se révèle rétrospectivement encore plus spontané, personnel et expérimental qu'on ne le pensait.

Enregistré dans le nouveau studio d'Everett, ce dixième album propose une approche plus démocratique dans l'écriture de Eels, avec une contribution importante des membres actuels du groupe qui se fait entendre ici et là dans la diversité et la richesse des arrangements. En-dehors de ces considérations on ne sait pas trop dans quelle mesure E considère "Wonderful, Glorious" comme une (r)évolution artistique car pour l'essentiel, et de façon assez paradoxale, l'album reste profondément "eelsien" tant dans le fond que dans la forme. Dès les premières mesures de "Bombs Away" le scintillement familier d'un célesta vient alléger de lourdes percussions et nous donne la bienvenue en rappelant furieusement le style particulier de vieux classiques du groupe tels que "Novocaine For The Soul" ou "Flyswatter". À partir de là, les titres s'enchainent sans réelle surprise si ce n'est l'évident enthousiasme du songwriter et de ses musiciens pour cette nouvelle collection de chansons, soignées et abouties jusque dans les moindres détails. On est peut-être devant le disque le plus millimétré de Eels en terme de production, bien que cela se traduise surtout par la densité des compositions et de subtiles contrastes ou changements d'humeur, parfois au sein d'une même chanson. N'allez pas croire que l'auteur abandonne le bon goût qui le caractérise pour une approche putassière: E est et a toujours été un impressionniste à la personnalité rayonnante capable de s'accommoder du minimum syndical sans perdre ne serait-ce qu'un soupçon d'éloquence, et "Wonderful, Glorious" s'attèle avec panache à illustrer ses états d'âme plutôt qu'à magnifier leur impact de façon grossière ou ultra-stylisée (comme quoi on n'a pas forcément besoin de Danger Mouse ou Nigel Godrich pour conserver une santé artistique).  

Cette orfèvrerie pop identifiable entre mille juxtaposée aux éternelles ruminations et au ton rauque du chanteur ont beau renvoyer à tout moment à diverses étapes et albums des premières années du groupe (principalement la période pré-"Blinking Lights"), la musique tombe rarement dans le convenu, la redite ou le recyclage inutile de vieilles idées. Il y a de toute évidence une humilité et une honnêteté au coeur de ces chansons qui rendent le processus de mise en forme un peu secondaire, comme chez Wilco par exemple, même si la créativité, la cohésion et l'entente du groupe mentionnées précédemment ont pour effet d'apporter une dynamique et une lumière inattendues au disque. La noirceur inhérente aux chansons d'Everett s'en trouve quelque peu gommée même lorsqu'il se laisse aller à un certain fatalisme comme sur le crescendo viscéral de "The Turnaround" ou la country pop perplexe et désabusée de "On The Ropes" ("I'm not knocked out but I'm on the ropes"). Presque partout ailleurs le sarcasme est de mise et c'est un E prêt à mordre et à en découdre qui toise l'adversité avec humour et irrévérence un peu à la manière du dog faced boy de son inusable "Souljacker" (2001). "It's looking good, I dug my way out/I'm changing up what the story's about" grogne-t-il sur l'excellent "New Alphabet", la preuve qu'il a encore deux ou trois choses à dire, des comptes à régler et toujours une étonnante capacité à approfondir son propre terrain musical sans aller chercher midi à quatorze heures. C'est suffisamment rare pour être remarqué, et donc encensé comme il se doit.



lundi 25 février 2013

The Limiñanas: "I'm Dead"







Si ce n'est déjà chose faite n'hésitez pas à jeter une oreille sur le dernier Limiñanas, "Crystal Anis", l'un de mes albums préférés de 2012. Voici le nouveau clip du groupe illustrant la version instrumentale du titre "I'm Dead", enregistrée avec Pascal Comelade. C'est l'occasion de saluer le beau travail de Jean-Luc Moly à la réalisation, et aussi de faire un peu d'auto-promo puisque j'ai élaboré les passages chorégraphiés avec l'aide des talentueux élèves du Centre de Dansa de Catalunya (Barcelone).

Histoire de faire honneur au très louable parcours des perpignanais, je ne résiste pas à la tentation d'ajouter le fabuleux single du même nom de 2010, également sorti sur Hozac Records, une petite sucrerie garage-pop absolument irrésistible:





jeudi 14 février 2013

My Bloody Valentine: "m b v"







Quoi de plus légitime que d'honorer la St Valentin avec quelques réflexions sur le nouveau disque du groupe de Kevin Shields? Le raz-de-marée critique et populaire provoqué par le retour de My Bloody Valentine a pris une telle ampleur ces derniers jours qu'il semble désormais criminel d'ignorer l'importance historique des anglais. Et dire qu'il y a quelques jours encore l'annonce de ce retour ne récoltait qu'un enthousiasme très relatif... Que s'est-il passé entre-temps et que peut bien receler ce disque de si extraordinaire?

Les vingt-deux ans de silence séparant "Loveless" de "mbv" ont certes grandement contribué à façonner la légende de My Bloody Valentine et à mettre le petit monde sensible des amateurs de pop indé sous pression. L'irruption de l'album sur internet la nuit du samedi 4 février a déclenché une excitation bien compréhensible (oui, je fais aussi partie des très nombreux ringards à s'être empressés de télécharger le truc dès sa mise en ligne, en vain), mais cela n'explique pas entièrement l'accueil dithyrambique de la part de certains médias et le soudain "coming out" d'une telle armée de fans extrémistes (pas de liens, il suffit de se promener sur le gratin des webzines musicaux pour s'en rendre compte).

Loin de moi l'envie de jouer les pisse-froids mais sans me plonger dans une étude ultra-détaillée de "mbv" le contenu du disque n'est pas plus enthousiasmant que celui de "Loveless", et si la vision de Kevin Shields reste unique et souvent fascinante on retrouve également les inégalités et autres complaisances auxquelles le groupe nous avait habitué sur ses deux premiers albums. Évidemment, cela n'enlève rien au caractère "révolutionnaire" de la discographie du groupe, et il faut reconnaître qu'après s'être farci pendant vingt ans des influences "shoegaze" plus ou moins hasardeuses à toutes les sauces une simple écoute de ce nouvel album réaffirme Shields comme un visionnaire qui ne se contente pas de régurgiter une formule toute faite (espérons que les M83 et autres starlettes du genre prendront note et sauront réévaluer leur approche).

En 2013, My Bloody Valentine n'est donc pas une disgrâce ou un anachronisme: c'est déjà une réussite, mais cela ne semble pas satisfaire l'avidité du hipster de base et nous devons nous confronter à une idée reçue qui voudrait nous faire croire que la révolution continue, que Shields est revenu pour tout faire péter. Pire, les deux derniers titres de l'album sont fréquemment désignés comme le point culminant de "mbv", une porte ouverte sur l'avenir et le début d'une nouvelle ère... On parle bien de l'instrumental vaguement tribal "Nothing Is" de 3 minutes et des poussières et de "Wonder 2", morceau expérimental particulièrement noisy et bordélique qui reste noisy et bordélique à l'oreille même après des dizaines d'écoutes. Pour avoir chéri et écouté religieusement les débordements les plus extrêmes de groupes comme le Velvet Underground, les Stooges, Hüsker Dü ou Dinosaur Jr -pour ne citer que ceux-là- j'ai quand même du mal à donner un tel crédit à ces deux titres, et ce malgré toute ma bonne volonté. Et je me demande pourquoi personne n'a crié au génie lorsque Shields a composé et enregistré le titre "More Light" avec JMascis en 2000 pour l'album solo du même nom:







Suis-je en train de parler de l'album ou de l'effet qu'il produit sur un certain public? Voici ma petite théorie, qui vaut ce qu'elle vaut: en-dehors de ses indéniables charmes (la noise-pop tordue et majestueuse de "She Found Now", "Only Tomorrow" et "Who Sees You", les envoûtants détours new-wave de "New You" et "In Another Way"), cet album tant attendu propose essentiellement un son authentique et une conviction artistique inébranlable à une époque où les normes de production tendent vers un perfectionnisme cache-misère, un recours parfois outrancier à la technologie, une mise en forme toujours plus sophistiquée et uniforme. Tout le monde "sonne" un peu pareil de nos jours et l'on distingue de moins en moins un groupe d'un autre entre tous ces Foals-Klaxons-Friendly Fires-Bloc Party, un phénomène qui ne date pas d'hier mais qui tend à s'accentuer. Pour toute une génération habituée à entendre du shoegaze et de la saturation en haute définition, le son analogue et provocateur de "mbv" est une véritable claque. Pour les plus vieux ou les plus érudits c'est une sorte de madeleine de Proust, un parfum rassurant, un disque barré mais organique qui remet les contours flous et une certaine idée du romantisme au goût du jour. Est-ce que "mbv" sonne rétro ou est-ce que "Loveless" a subitement pris un coup de jeune? Optons pour la deuxième réponse. Les fans et critiques transis qui encensent actuellement My Bloody Valentine semblent souvent plus amoureux du concept que de la musique.

Non, My Bloody Valentine n'a pas réinventé l'eau chaude avec cet album, mais c'est justement le refus de livrer un produit fini selon les critères esthétiques modernes qui rend ces morceaux si singuliers dans le contexte actuel et qui permet au groupe de surclasser tous ses imitateurs, comme on a pu l'observer avec la fascination pour d'autres disques mythiques aux productions sous-développées tels que le "Machina II" des Smashing Pumpkins. D'un côté, les suiveurs à l'apparence cartoonesque et de l'autre, les originaux. Les purs et durs.

Malgré le côté parfois irritant du personnage, on ne peut que se réjouir du choix de Kevin Shields d'avoir sorti "mbv" en autonome et d'être resté intransigeant jusqu'au bout. Vous me direz que Radiohead ceci et machin-chose cela, mais Shields ne nous vend pas une réinvention bidon ou une version 2.0 du son de My Bloody Valentine et il s'en sort avec la satisfaction de donner une suite cohérente aux lointains "Isn't Anything" et "Loveless". Il n'est évidemment (et heureusement) pas le seul musicien à poursuivre un idéal de cette sorte, mais ce retour tant anticipé donne une répercussion inhabituelle à sa démarche. Si les gens s'intéressent à une oeuvre aussi radicale et que l'industrie du disque s'en trouve un tant soit peu bouleversée, tant mieux après tout (ok, je rêve). En fin de compte, l'engouement actuel pour ce groupe tient plus à sa personnalité et à ce qu'il représente - une continuité passé-présent crédible et le respect d'une vision - qu'à la qualité de son nouvel album, pas dégueu au demeurant. Maintenant, on attend l'album des La's.





mardi 12 février 2013

Tom Morgan: "Orange Syringe"







Après un mémorable concert, il y a presque trois ans, Tom Morgan et la charmante Alison Galloway m'avaient confié qu'un nouvel album de Smudge était en cours de préparation. Depuis lors le groupe a continué à se produire sur scène assez régulièrement, mais on attend toujours le successeur tant espéré de "Real McCoy, Wrong Sinatra" (1998). C'est en partie pour cette raison que le premier album solo de Tom Morgan est aussi bienvenu qu'énigmatique.

Morgan et sa bande n'ont pas obtenu le succès que leur savoureuse power pop aurait mérité dans les années 90, mais comme le laisse deviner le titre de leur imparable best of ("This Smudge is True", sorti en 2010) on se doute que la dévotion des fans à l'égard de ces australiens attachants et sincères n'a pas bougé d'un iota malgré les années. Le charme de leur discographie entière non plus, puisqu'à l'instar d'autres modestes artisans du rock indé de cette époque comme Pavement ou les Lemonheads la musique a gardé toute son authenticité et son caractère spontané, direct, proche des gens. Peu d'artifices, un instinct pop inné et une dimension humaine que l'on retrouve immédiatement sur ce nouvel album.





Première satisfaction à l'écoute d'"Orange Syringe" et premier indice pour résoudre l'énigmatique choix de Morgan de sortir ce disque: à deux ou trois exceptions près aucune chanson n'aurait véritablement sa place dans le petit univers sucré de Smudge. Cet authentique album solo couvre un terrain nouveau et plus personnel pour Morgan, même s'il a déjà flirté avec de nombreux styles au travers de ses multiples projets (Sneeze et The Givegoods, entre autres). On retrouve le songwriter en pleine méditation et dans une humeur équivoque, parfois morose, faisant néanmoins toujours gala de son humour second degré, de son habileté avec les mots et de son talent pour aboutir d'innocentes mélodies qui se révèlent de plus en plus accrocheuses au fil des écoutes. Les influences convergent souvent vers le mélange de country, folk et rock communément dénommé "americana", avec quelques touches de pop/rock lo-fi ici et là, et le tout pourrait être comparé au classique "American Water" des Silver Jews pour la poésie déglinguée qui s'en dégage et un souci du détail qui en fait un disque à double fond, plus complexe et travaillé qu'une simple écoute ne suggère. "Best Thing For Baby", l'une des meilleures chansons de l'album, représente bien l'attention portée au développement des compositions avec ses guitares subtiles rappelant les ornements délicats des premiers albums de My Morning Jacket.  

Tom Morgan n'a pas le registre vocal et la richesse d'interprétation de son vieil acolyte Evan Dando, qui en plus d'écrire avec Morgan a repris et sublimé nombre de ses chansons avec les Lemonheads ("Down About It", "The Outdoor Type", "Baby's Home" - ces deux dernières auraient pu figurer ici), mais sa voix de "guy next door" est aussi moelleuse que le sofa du salon et toujours aussi chaleureuse, voire étrangement touchante dans ses limitations (l'acoustique "Mess With The Bull" est aussi dépouillé que captivant, et typiquement morganien: "Don't ask me about my history, I won't recall the facts/Don't loan me anymore money cause you won't see dollar one back"). Encore une fois, c'est la proximité qui fait le charme de cet artiste et l'on aurait tort de s'en tenir au manque de glamour, de production tapageuse ou de grosses ficelles, car l'unique ambition d'"Orange Syringe" réside dans la qualité intrinsèque des chansons, de la pop douce amère de "Virtuoso" et "Fatherland" à la mélancolie d'"Awkward Living" et "Final Final The One The One". En ce sens c'est un très digne disque de singer-songwriter qui nous est offert, aussi intemporel, honnête et agréablement nonchalant que tout ce que nous a proposé Tom Morgan jusqu'à présent. Vu le parcours discret mais fort consistant de l'australien, c'est déjà beaucoup.  





vendredi 8 février 2013

Unknown Mortal Orchestra: "II"







Unknown Mortal Orchestra est essentiellement le projet d'un seul homme, le néo-zélandais Ruben Nielsen, qui vient de livrer ce deuxième album après avoir récolté un suivi assez important ces derniers temps parmi les adeptes de pop indé. Son mélange un peu foutraque de pop lo-fi vaguement rétro couplée à des influences psychédéliques et des rythmes funk avait déjà attiré l'attention il y a deux ans avec un premier disque sympathique, sans plus, à l'image du populaire single "Ffunny Ffrends". L'ensemble faisait son petit effet mais n'était dans le fond pas d'une originalité folle: on le sait, le psychédélisme est (re)devenu furieusement tendance ces dernières années. Chaque saison apporte son lot de petites sensations indés "sous influence", et l'on frôle parfois l'overdose.






Derrière son aspect anodin et "bien de son temps" le premier disque d'Unknown Mortal Orchestra avait tout de même la bonne idée de proposer de la mélodie à foison et de rester léger et concis. Malgré l'esbroufe apparente, quelques chansons réussies nous ramenaient même directement dans le sillage d'illustres songwriters atypiques et touche-à-tout tels que Wayne Coyne des Flaming Lips ou Beck pour l'utilisation de rythmes funk ou hip hop samplés. Lou Barlow, fan déclaré, aura sans doute observé et apprécié certaines ressemblances avec les collages lo-fi de son ancien groupe The Folk Implosion.

Ruben Nielsen aurait pu se contenter d'exploiter le filon, mais en terme d'ambition "II" ne s'inscrit pas du tout dans la continuité du premier album. Les très accueillantes premières mesures de "From The Sun" évoquent davantage une ritournelle des Beatles que la pop déjantée des artistes cités plus haut, et même si le morceau se développe ensuite selon les principes du disque précédent - entre rythmes funk, overdubs de guitare et tout le tralala - il est évident que l'on part dans une direction plus délicate où l'écriture prend le pas sur l'exubérance des arrangements. Les titres suivants ne font que confirmer ce pressentiment: le mélodique single "Swim and Sleep (Like a Shark)" est de facture encore plus classique, tandis que "So Good At Being In Trouble" lorgne tendrement du côté de la soul avec un mélange de subtilité et de révérence. Jusqu'ici il est évident que la musique s'adresse à un public moins adolescent, Nielsen délaissant les grooves dansants et les basses saturées pour mieux mettre en avant ses aptitudes de songwriter et les nuances qui vont avec. Il révèle également tous ses talents de guitariste, l'une des grandes forces de ce disque, et sait se montrer à l'aise et inspiré dans à peu près tous les registres.

Les accents rétro-funk de "One at a Time" laissent place à une deuxième moitié d'album plus instrumentale où les morceaux se font plus longs et plus indulgents. "The Opposite Of Afternoon" traine un peu mais reste agréable, dans la lignée des premiers titres, puis les jams surf rock/garage de "No Need For a Leader" débouchent péniblement après plus de cinq minutes sur un "Monki" interminable. C'est dans ces méandres moins satisfaisants que l'on retrouve les fameuses influences psychédéliques et que l'on s'éloigne dangereusement du parti-pris initial. Ce n'est pas catastrophique, loin de là, mais la production minimaliste et le son alambiqué, un peu "étouffé" d'Unknown Mortal Orchestra ont du mal à convaincre sur la longueur, surtout quand les mélodies se font moins évidentes. Heureusement qu'un "Faded In The Morning" aux riffs bien torchés vient à la rescousse et que le final de l'album retrouve la concision et la fraicheur qui sied si bien à la musique de Ruben Nielsen. Au final "II" s'impose comme un disque personnel et ambitieux qui nous présente Unknown Mortal Orchestra sous un jour différent, pas encore débarrassé de certains tics indés un peu trop voyants mais bien plus éclectique et sensible qu'on ne l'aurait cru. Une réussite.



mercredi 6 février 2013

The Gun Club: rétrospective







Issu de la scène punk californienne du tout début des années 80 The Gun Club est un groupe dont l'influence perdure au travers des décennies et des modes, en dépit d'un succès très confidentiel. En effet l'impact de la musique de Jeffrey Lee Pierce, décédé en 1996, contraste sévèrement avec son relatif anonymat et certains albums sont aujourd'hui encore difficiles à trouver, même en ces temps de rééditions à gogo et d'anthologies superflues... ce qui est absurde si l'on considère la répercussion artistique du Gun Club sur des groupes comme REM, Pixies, Screaming Trees, The White Stripes et de très nombreux autres contemporains. Résumé d'un parcours aussi fascinant que tordu.
    





FIRE OF LOVE
1981
Formé à Los Angeles à la fin des années 70 par Jeffrey Lee Pierce (chant et guitare), Brian Tristan alias "Kid Congo Powers" (guitare), Don Snowden (basse) et Brad Dunning (batterie), le groupe se fait d'abord connaître sous le nom The Creeping Ritual et développe rapidement un style assez unique basé sur le rockabilly. The Gun Club finit pourtant par enregistrer "Fire Of Love" avec une formation entièrement différente suite au départ de Kid Congo Powers, qui rejoint The Cramps: Ward Dotson officie en tant que guitariste tandis que la section rythmique est remplacée par Rob Ritter et Terry Graham. Malgré ces changements impromptus Pierce et sa bande livrent d'emblée un classique plein d'attitude et de sex, drugs & rock n'roll. "Fire Of Love" est un album très punk dans l'esprit mais fortement influencé par le blues et la country gothique, le tout transcendé par un chanteur possédé. Le charisme de Jeffrey Lee Pierce est tel qu'il parvient à donner une aura mystique à ses chansons et le disque reçoit logiquement les faveurs de la critique ainsi qu'un prometteur succès commercial. Le tube "Sex Beat" n'y est sans doute pas pour rien, mais "Fire Of Love" impressionne de bout en bout. On peut dire sans broncher qu'il s'agit là d'un des meilleurs débuts de l'ère post-punk.






MIAMI
1982
La destinée du groupe prend un tournant irréversible avec ce deuxième classique, décevant aux yeux de tous à sa sortie mais aujourd'hui considéré comme incontournable, voire supérieur à n'importe quel autre album du Gun Club. Jeffrey Lee Pierce et les musiciens de "Fire Of Love" emménagent à New York pour l'enregistrement de "Miami", parrainés et assistés par Debbie Harry et son mari Chris Stein (pour l'anecdote, Jeffrey Lee Pierce dirigeait le fan club de Blondie en Californie dans les années 70). La production controversée de Stein étouffe le son du groupe et met la voix de Pierce en avant dans le mix, gommant ainsi le relief et l'agressivité de "Fire Of Love" pour un résultat a priori peu convaincant. En dépit de ce manque d'impact, "Miami" continue de révéler la vision de Pierce et offre une perspective plus riche sur sa musique, au-delà du simple contexte punk. The Gun Club s'émancipe vers des horizons encore plus mystiques et hantés, le punk-blues des débuts s'effaçant légèrement au profit de compositions tournées vers les grands espaces, le folk et la country. En toute objectivité, l'absence de "muscle" de la production et le mastering douteux n'empêchent nullement d'apprécier la qualité de l'interprétation et du songwriting. Un chef d'oeuvre bancal et mal foutu, mais très séduisant.






LAS VEGAS STORY
1984
Le fiasco commercial de l'incompris "Miami" laisse des séquelles et l'excellent "Las Vegas Story" sort dans l'indifférence générale. De nombreux changements sont effectués au sein du groupe qui sort dans un premier temps le passable EP "Death Party" avec de nouveaux musiciens avant de réintégrer plusieurs membres pour ce troisième album. L'arrivée de Patricia Morrisson à la basse et surtout le retour de Kid Congo Powers à la guitare contribuent à une évolution assez radicale vers un rock plus lourd qui délaisse quelque peu le punk des débuts et le lyrisme de "Miami", sans pour autant altérer les signes d'identité du Gun Club entre accents blues, rythmes country, guitares slide, ambiances ténébreuses et bien-sûr le chant très particulier de Pierce, mi-ange mi-démon, déjà connu pour sa personnalité obscure et ses excès en tout genre. Ce disque plus immédiat, bien produit et remarquable en terme de songwriting ne rencontre hélas pas le succès de "Fire Of Love", et le groupe finit par se séparer quelques mois après sa sortie.






MOTHER JUNO
1987
Jeffrey Lee Pierce et Kid Congo Powers (également membre à cette époque des Bad Seeds de Nick Cave) décident de reformer The Gun Club, qui est cette fois complété par Nick Sanderson à la batterie et la bassiste Romi Mori, petite amie de Pierce. "Mother Juno" est une réussite à plus d'un titre: le groupe renoue avec un certain succès critique (bien que surtout en-dehors des USA, où l'album ne sortira pas avant de nombreuses années), progresse techniquement et développe un rock alternatif très convaincant, produit avec soin par Robin Guthrie des Cocteau Twins. C'est un Gun Club plus appliqué et sophistiqué que l'on retrouve sur ce quatrième LP: les relents hard rock de "Las Vegas Story" sont atténués pour obtenir un son plus raffiné, et si les chansons restent toujours aussi éloquentes dans l'expression des racines blues du groupe "Mother Juno" tourne résolument le dos au punk et aux influences country. Sans renoncer à son style très personnel, Jeffrey Lee Pierce affine considérablement son chant et continue de briller en tant que songwriter.






PASTORAL HIDE & SEEK
1990
On ne change pas une équipe qui "gagne", même si la réussite de "Mother Juno" reste strictement artistique, et c'est avec plaisir que l'on retrouve la même formation pour ce cinquième album qui aboutit la transition du groupe vers un rock léché en s'éloignant cette fois des structures blues habituelles. Pierce décide de produire le disque et assume presque tout le travail à la guitare tandis que Kid Congo Powers reste un peu plus en retrait mais contribue quelques superbes leads et solos de slide pour un résultat toujours aussi consistant en terme de qualité. C'est un rock n'roll sans doute moins abrasif et viscéral que celui de "Fire Of Love" ou "Las Vegas Story" qui nous est proposé ici, mais avec des chansons du calibre de "Humanesque", "The Straits Of Love & Hate" ou "St John's Divine" l'évolution du groupe reste captivante et négociée avec cohérence.






LUCKY JIM
1994
Plus qu'une énième évolution, cet ultime album marque les adieux poignants et fatalistes d'un groupe miné par l'absence de succès et de reconnaissance, déstabilisé par les tensions internes et les problèmes de santé de Jeffrey Lee Pierce qui paye ses nombreux excès et ses années d'addiction à l'héroïne (il succombera à peine deux ans plus tard). Quelques temps après la sortie d'un EP expérimental, "Divinity" (1991), Kid Congo Powers quitte le groupe, et Pierce finit par enregistrer lui-même toutes les guitares sur "Lucky Jim". Le résultat est un album plus personnel et plus blues que jamais centré autour des inquiétudes de Pierce, où la lassitude et les regrets se font souvent sentir. Un état d'esprit entre colère et résignation bien représenté par "A House Is Not a Home", titre faisant référence à l'histoire du groupe et au dédain enduré aux États-Unis. L'humeur est assez crépusculaire dans l'ensemble malgré de fréquents soubresauts démontrant que The Gun Club est encore capable de vibrantes envolées blues-rock et de ressusciter la ferveur des débuts. "Lucky Jim" s'impose comme un disque élégant, varié et très inspiré musicalement. C'est sans doute le plus touchant de la discographie du groupe du fait de la vulnérabilité qui s'en dégage.    






Disparu à seulement 37 ans suite à une hémorragie cérébrale, Jeffrey Lee Pierce laisse derrière lui une discographie légendaire qui compte également deux albums solos ainsi qu'une multitude de compilations, de raretés et d'enregistrements live. On retient surtout l'intégralité des six LPs studio du Gun Club présentés ici, tous différents et tous brillants, chacun à leur manière, démontrant une étonnante ambition artistique souvent éclipsée par l'image ultra-décadente de Pierce et son caractère pour le moins ambigu. Son autobiographie "Go Tell The Mountain" (parue peu après la sortie de "Lucky Jim") n'aide pas beaucoup plus à définir le personnage, qui se montre sous un jour peu flatteur, rancunier envers les membres de son groupe et amer vis-à-vis de sa carrière. Si les nombreuses anecdotes sur la personne sont souvent peu ragoûtantes, l'artiste reste en revanche intouchable et admiré à juste titre par un nombre aujourd'hui incalculable de musiciens et de fans. Un recommandable documentaire intitulé "Ghost On The Highway" dressant le portrait de Pierce est par ailleurs disponible, de loin préférable à l'autobiographie mentionnée plus haut.