dimanche 30 décembre 2012

Best of 2012







Ladies and gentlemen, 2012 touche à sa fin et il est temps de vous proposer le top Maelstrom de l'année tout en vous souhaitant un agréable réveillon et une excellente nouvelle année. J'aurais bien voulu épiloguer sur le bel apport musical de ces douze derniers mois mais une deuxième bouteille de Veuve Clicquot ouverte prématurément en aura décidé autrement (pas de souci, il nous reste du Vranken et du Cava catalan à foison). Voici donc mes albums préférés du cru 2012, une quinzaine de disques voués à la postérité et donc chaudement recommandés.





15. THE LIMIÑANAS CRYSTAL ANIS




"Crystal Anis" consolide l'identité des Limiñanas après des débuts remarqués, et le charme fou de titres en technicolor tels que "Salvation" ou "Belmondo" justifie tout l'intérêt que l'on peut porter à ce groupe perpignanais déjà culte outre-Atlantique. Un étonnant brassage d'influences éclectiques exécuté avec une certaine dose d'humour et de personnalité, entre garage rock et second degré pop évoquant le Gainsbourg de la fin des années 60. De l'alternatif frenchy excentrique et cultivé comme on aimerait en entendre plus souvent.





14. TY SEGALL TWINS



Voilà un p'tit gars qui rocke comme on aime, tout débraillé et avec un sens de la mélodie facile, apparemment ravi que ses disques soient tous sous-produits et bordéliques. Le prochain sonnera sans doute pareil et rien que cette année il y en a eu trois, ce "Twins" angélique et son jumeau diabolique, "Slaughterhouse", ainsi que "Hair" sorti sur Drag City. L'influence de Jay Reatard peut paraître évidente mais il serait plus judicieux de parler d'influences communes. On trouve aussi des parallèles avec les premiers disques des White Stripes ou des Vines et un côté Beatle de poche qui serait presque irritant si le morveux n'était pas aussi fichtrement doué. Le genre de petite tuerie à écouter à plein volume.      





13. THE SOFT PACK STRAPPED




En 2010 les Muslims avaient troqué leur nom controversé mais plutôt cool pour The Soft Pack, et leur premier/deuxième album (un vrai bordel du coup) illustrait bien ce changement vers une apparence plus polie: le garage rock vicelard et plein d'attitude des débuts est devenu sympathique et bien produit, plus proche de la gentillesse des Modern Lovers que du cynisme des Stooges. Un disque suffisamment bon pour ne pas trop décevoir mais qui nous présentait un groupe en-dessous de son potentiel. "Strapped" confirme que l'on ne retrouvera probablement jamais ces adorables petites teignes de Muslims mais cette fois on ne s'en plaindra pas puisqu'ils réussissent à altérer leur son et varier leurs influences de façon très convaincante. Les californiens ont de toute évidence bossé d'arrache-pied pour intégrer des éléments plus 70's, voire post-punk à leur musique, et si Matt Lamkin n'est pas la petite frappe subversive qu'on pensait tenir il y a quelques années (une espèce décidément en voie de disparition dans le rock), la coolitude de son style vocal et sa capacité à pondre de bons petits tubes demeurent intactes.





12. BOB DYLAN TEMPEST



Placer Dylan dans ce genre de classement est une manoeuvre toujours délicate. Le simple fait de juxtaposer son nom à ceux de petits jeunots en début de carrière, aussi talentueux soient-ils, paraît à la fois dénué de sens et un peu cruel pour lui. Ça fait bien vingt ans que le mec n'arrive plus vraiment à chanter, qu'il persiste comme une vieille mule à nous resservir un rhythm and blues dérivatif pas toujours très inspiré, et "Tempest" ne fait rien pour changer la donne. Pourtant il y a bel et bien un charme particulier qui se dégage de la période "troisième âge" de Dylan, [insérez ici une belle métaphore sur la vieillesse et l'expérience]. Pas le temps de disserter sur la richesse des textes et les qualités de son groupe mais on retrouve un Bob en très grande forme ("it's soon after midnight/and the day has just begun") et aucune panne d'essence musicale n'est à signaler jusque vers la fin de l'album, un enchainement un peu balourd de titres fleuves de 8,10 et 14 minutes (ça marchait il y a 45 ans avec "Sad Eyed Lady Of The Lowlands" ou même en 1998 avec "Highlands" mais là...). Pour le reste rien à redire, Dylan tient son rang de songwriter de haut vol avec un charisme et une profondeur qui n'appartiennent qu'à lui, même déconfit. S'il avait su conserver l'intensité des premiers titres au lieu de se retrancher dans des rêveries littéraires pas désagréables mais peu captivantes, "Tempest" serait aux premières places de ce top. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le bonhomme est coriace.            





11. TIM ROGERS ROGERS SINGS ROGERSTEIN



Cet album solo du leader de l'excellentissime groupe de rock You Am I n'a rien d'inaccessible mais il est évident que sa nature introvertie et mélancolique, plus roots musicalement parlant (on oscille entre folk et blues) prend une saveur particulière si l'on sait apprécier la versatilité de l'auteur. Inspiré par des beuveries nocturnes avec son pote Rogerstein, Tim Rogers nous offre une tournée supplémentaire pour nous parler de tout ça à sa manière sur un disque remarquable qui n'est pas sans rappeler la période où les Stones fricotaient avec la country sensible de Gram Parsons. Un type qui gagne à être connu.





10. FIELD MUSIC PLUMB



La musique des frères Brewis ne sera peut-être pas du goût de tout le monde mais "Plumb" représente une certaine idée de l'avant-gardisme pop dans toute sa splendeur. La preuve irréfutable que l'on peut intellectualiser sans emmerder et émouvoir avec retenue, sans nécessairement utiliser des harmonies vocales en permanence (l'influence Beach Boys a bon dos mais elle nous a quand même valu une génération entière de chanteurs abominablement chiants). Les anglais de Field Music ont mûri et savent enfin recycler de vieux schémas pop de façon brillante en évitant de se complaire dans le bizarre ou la démonstration technique - cet album est presque un exercice de style en la matière - et si "Plumb" prend du galon avec les écoutes il n'en demeure pas moins immédiat, presque trop concis même (plusieurs titres mélodiquement imparables sont avortés au bout d'une ou deux minutes), avec en prime une très belle narrative qui relie le tout sans tomber dans un concept encombrant. Je n'ai pas entendu de plus beaux arrangements en 2012.





9. GAZ COOMBES HERE COME THE BOMBS



L'absence de Supergrass dans le panorama musical actuel fait partie de ces petites disgrâces que tout amateur de bonne pop indé made in England se doit de surmonter avec dignité. C'est dire si les "bombs" de Mr. Coombes auront eu un effet revigorant sur les fans du groupe cette année, d'autant plus que le disque évite l'auto-parodie et propose beaucoup plus qu'une simple tentative de resservir du Supergrass en mode solo. Un album passé un peu inaperçu mais plein de caractère, à la fois familier de par l'identité de son auteur et rafraichissant si l'on considère les différentes directions prises, pop, rock ou electro, avec toujours la même vitalité et un imperturbable savoir-faire.





8. TINDERSTICKS THE SOMETHING RAIN



Les Tindersticks, c'est la classe. Classe dans le sens "raffiné", mais aussi dans le sens "pudique". Les illustres vétérans anglais vivent et enregistrent pépères au fin fond de la pampa en Creuse (dans mon Limousin natal) et balancent de superbes disques en toute discrétion. "The Something Rain" séduit au détour d'influences jazz, de narratives complexes et de développements mélodiques subtils, avec comme toujours la voix élégante de Stuart Staples en point d'orgue (sauf sur le premier titre marathon, excellent au demeurant). De la musique adulte, même si l'expression est un peu moche, ou si vous préférez un disque de pop ambiante qui n'insulte pas l'intelligence.      





7. BEST COAST THE ONLY PLACE




Le deuxième album du groupe de Bethany Cosentino fait partie des invités surprise de ce top, "The Only Place" ne m'ayant laissé à première écoute qu'une impression plutôt agréable, sans plus, avant de s'imposer peu à peu comme l'un des grands plaisirs pop de l'année. Un disque tout en rondeurs (comme celles de la charmante Bethany), moins rock n'roll que son prédécesseur mais tout aussi savoureux grâce à ses mélodies douce-amères superbement produites par un Jon Brion décidément très habile. Oubliez les tendances ramoniennes de "Crazy For You", le petit chef d'oeuvre limite lo-fi d'il y a deux ans, et émerveillez-vous devant cette évolution aussi inattendue que réussie vers une écriture plus dense et ambitieuse. Avec deux albums aussi bien foutus sous le coude le futur est prometteur pour Best Coast. Il faut souligner que la demoiselle s'affirme comme une chanteuse exceptionnelle sur cet album, peut-être moins fine que Cat Power ou la grande concurrente hype de l'année, Sharon Van Etten, mais bien plus éloquente dans sa manière de balancer un refrain et surtout bien plus excitante.





6. DINOSAUR JR. I BET ON SKY



Déjà chroniqué dans ces colonnes, "I Bet On Sky" démontre une fois de plus que l'âge n'est pas forcément une fatalité pour un groupe de rock, à condition bien-sûr de ne pas prendre son public pour des cons et de ne pas essayer de "faire son jeune" quand on a une gueule de revenant. Le fait que Dinosaur Jr n'ait jamais été un groupe glamour joue sans doute en sa faveur à l'heure actuelle mais c'est surtout musicalement que les vétérans donnent la fessée à la concurrence, qu'elle soit encore imberbe (Cloud Nothings) ou rafistolée au botox (Soundgarden). JMascis et ses acolytes assument leurs années sans abandonner les principes qui ont fait d'eux des légendes du grunge et livrent un album à la fois décontracté et très pro, plus ouvertement pop qu'à l'accoutumée mais avec juste ce qu'il faut de sauvagerie à la six-cordes et de jams endiablés pour se réaffirmer comme un groupe bien vivant. Ce n'est pas leur meilleur disque depuis la reformation de 2006 mais il n'en faut pas plus pour leur assurer une digne place dans ce classement.





5. THE SMASHING PUMPKINS OCEANIA



Il y a plein de choses à dire sur ce monstre marin, mais l'entreprise est épineuse sans une connaissance approfondie de l'histoire des Pumpkins (que je n'ai pas malgré mes cours de rattrapage). J'avais un peu suivi les débuts du groupe mais lorsque "Mellon Collie" a explosé le phénomène m'a complètement échappé en-dehors de ses excellents singles, préoccupé que j'étais par de vieux trucs des 60's ou le punk, mon seul vrai rapport avec le mainstream passant par Oasis et la britpop. Ça ne m'a pas empêché de bien kiffer "Adore" trois ans plus tard mais c'est déjà une autre histoire, et ensuite toute chance de nouer une relation passionnelle avec le groupe a disparu quand "Machina" est sorti, décevant à mes yeux, en tout cas à l'époque. Ce qui fait que je n'ai eu aucun complexe à l'heure d'aborder "Oceania" comme un authentique album des Smashing Pumpkins, me sentant peu concerné par les histoires de line-up et le parcours chaotique des dix dernières années. "Oceania" renoue avec le versant pop dévastateur du groupe, et s'il n'y a pas de "tube" à proprement parler l'ensemble est d'une envergure et d'une qualité mélodique qui casse bien des culs sur la scène actuelle. Corgan, en excellente voix, fait aussi des choix intelligents en terme de production et l'album reste aérien de bout en bout grâce à des textures très fines et détaillées qui donnent envie de revenir vers "Oceania" encore et encore. Petit bémol pour "Quasar" qui démarre l'album d'une façon un peu gauche pas très représentative du reste, mais sinon c'est un album qui envoûte autant sinon plus qu'"Adore", et personnellement je ne peux pas faire de plus beau compliment à ce disque.            





4. TAME IMPALA LONERISM



Ancré dans la vieille tradition psychédélique, "Lonerism" pourrait être injustement critiqué pour sa tendance à recycler le penchant expérimental des Beatles et les classiques de la scène hippie californienne des années 60-70. Des remarques qui n'ont pourtant pas été faites à l'époque d'"Innerspeaker", le premier album naïvement rétro de Tame Impala, un peu trop porté sur du vieux riff et des jams old-school. Avec ce nouveau disque Kevin Parker démontre au contraire qu'il n'est pas seulement un élève appliqué mais un songwriter au talent considérable capable de sublimer les clichés du genre avec des mélodies et des arrangements d'une grande intelligence. Il l'a d'ailleurs également prouvé en produisant la française Melody Prochet sur le très remarqué "Melody's Echo Chamber". "Lonerism" fait ses adieux aux fans de stoner qui n'auront qu'un maigre "Elephant" à se mettre sous la dent et lance un grand bonjour aux amateurs de pop barrée et vintage. À l'heure où pas mal de groupes revendiquent leur psychédélisme à tout bout de champ sans vraiment le démontrer, ou alors de façon très superficielle (Kasabian, Noel Gallagher, c'est pour vous), les australiens de Tame Impala font figure d'authentiques héritiers.





3. JACK WHITE BLUNDERBUSS



On aimerait bien tourner la page sur le cas Jack White une fois pour toutes, pour différentes raisons que l'on n'énumèrera pas ici puisqu'il faut à nouveau se rendre à l'évidence et le féliciter pour son inspiration. Ex-White Stripes, demi-Raconteur tuant le temps chez les Dead Weather, on ne s'attendait pas forcément à une master-class avec ce premier album solo et pourtant c'est un "Blunderbuss" d'une consistance remarquable qu'il nous a offert, et le pire c'est qu'il n'a même pas l'air de forcer son talent... et pourquoi devrait-il? Tout ce qui nous a toujours séduit chez ce guitariste hors-pair et songwriter chevronné (et bête de scène pour ne rien gâcher) est représenté sur ce disque qui se paie même le luxe de surclasser "Get Behind Me Satan" et le répertoire entier des Raconteurs, pourtant pas spécialement pauvre en grands moments. Du rock n'roll à l'ancienne, certes, mais ça n'enlève rien à l'habileté impressionnante du gaillard, avec en bonus une pointe de maturité émotionnelle qui commence à prendre forme et promet de bien belles choses à venir. Ça devient pénible de devoir encenser Jack White chaque fois qu'il branche un micro mais que voulez-vous...





2. DR. JOHN LOCKED DOWN




Les vieux sont à l'honneur cette année, mais quand on parle de disques du calibre de Locked Down il est évident que ce retour des anciens dans les classements de 2012 doit plus à la qualité de leur musique qu'à l'envie de leur rendre un hommage hypocrite. Dans le cas du vénérable docteur on pourrait même lâcher des mots comme "résurrection" ou "miracle" tant cet album nous renvoie aux meilleures oeuvres du gourou de la Nouvelle Orléans (mon préféré: "In The Right Place", 1973), un orfèvre du blues et des nombreux autres styles brassés dans la capitale de la Louisiane, pot pourri festif de funk, rock, jazz et R n'B. Ses derniers albums n'étaient pas disgracieux mais il faut reconnaître que la tête pensante des Black Keys, Dan Auerbach, a su donner un tour de main beaucoup plus actuel à la musique de Dr. John, un peu dans l'esprit de ce qu'avait fait Rick Rubin pour Johnny Cash dans la fameuse série des American Recordings. La production rappelle bien-sûr les Black Keys puisqu'Auerbach joue également de la guitare sur les dix titres de l'album, mais sans jamais dénaturer l'univers du montre sacré qui en retour se montre très en forme vocalement et à l'aise comme un poisson dans l'eau dans ce nouvel environnement. Résultat: une petite bombe à la bonne humeur communicative et l'un des disques les mieux torchés de 2012. Qui l'eut cru?





1. THE WALKMEN HEAVEN




Ben voilà. Gros coup de coeur de l'année et meilleur disque de la carrière d'un groupe déjà responsable d'incroyables démonstrations de talent sur tous ses albums précédents, enfin capable d'exploiter son potentiel émotionnel sur 13 titres consécutifs sans donner des envies de suicide. "Heaven" pour les intimes. Pour les non-initiés il vaut mieux commencer par "The Rat" (2004), l'une des meilleures chansons rock des dix dernières années, l'oeuvre dérangée d'un Bono raté et ivre mort qui hurle sa frustration dans les chiottes d'un bar à putes à quatre heures du matin. Mais ça, c'était avant. Ça n'a sans doute pas plu à tout le monde mais les Walkmen se sont assagis, ont trouvé l'amour et fait des gosses puis écrit de belles chansons romantiques pour raconter tout ça. "Heaven". Sauf qu'on n'est pas des chiffes molles chez les Walkmen, parce que même dans la joie et la plénitude on sait préserver un climat incertain, un sens du doute bien légitime dans cette VDM. Du coup les plus belles déclarations se font douloureuses ("I sing myself sick about you") et tout sentiment reste aléatoire ("tell me again how you love all the men you were after", "baby it's the love you love, not me", "I left you a million times/the irony ain't lost on me"...). Mais tout cela ne vaudrait rien sans de bonnes chansons pour valider le message et c'est évidemment là que le groupe d'Hamilton Leithauser tape très fort: "We Can't Be Beat", "Heartbreaker", "Song For Leigh", "The Love You Love" et "Heaven" font toutes partie du gratin musical de l'année, et le reste est loin d'être dégueu. Entre cet aboutissement artistique et les habituelles influences velvetiennes, l'approche punk sous-jacente et le pédigrée garage new-yorkais (n'oublions pas que trois membres sont issus de Jonathan Fire*Eater, les Strokes avant l'heure), on ne va pas cracher dans la soupe. C'est rock, c'est beau, c'est touchant et ça se chante sous la douche en prenant des poses à la Elvis. Le paradis, quoi.




jeudi 27 décembre 2012

Tom Morgan, slight return






Bonnes Fêtes à tous, avec un peu de retard. Il faut dire que dans le genre "période intellectuellement morte" (et donc peu blog-friendly) Noël se pose là. On ressasse gentiment ce qu'on a vécu les mois précédents tout en se laissant aller à une certaine nostalgie.

Le top 2012 de Maelstrom ne saurait tarder mais j'aimerais d'abord porter un regard optimiste sur 2013 qui s'annonce déjà comme une année riche en plaisirs auditifs et en précieux moments de bonheur. Qu'est-ce qu'on peut s'en branler de la crise et de la fin du monde qui n'a pas eu lieu: les Meat PuppetsMudhoney, Chris Owens, Eels ou Nick Cave ont tous confirmé leurs retours imminents et sont attendus dans les semaines à venir avec de nouveaux albums.

C'est au tour de Tom Morgan de nous mettre l'eau à la bouche: le leader de Smudge dévoilera son premier album solo "Orange Syringe" le 4 février prochain, à paraître sur le label Fire Records.

Un premier single est sorti récemment:







Certains connaisseurs ont immédiatement crié au recyclage. Il s'agirait d'une vieille démo offerte gratuitement il y a quelques années par The Givegoods, l'un des multiples projets parallèles de Tom Morgan aux côtés des recommandables Sneeze et Bambino Koresh. Mais peu importe: qui dit Tom Morgan dit Smudge, et qui dit Smudge dit groupe culte australien des années 90 capable de faire ça ou ça (également lauréat d'un mérité single of the week du NME en 1994). Et qui dit Tom Morgan dit aussi co-songwriter de nombreuses perles des Lemonheads comme l'inusable "It's a Shame About Ray" (1991). On attend "Orange Syringe" avec impatience.






jeudi 20 décembre 2012

Meat Puppets, Valencia, 18/12/2012







La dernière fois que je me suis rendu à un concert dans les alentours de Valencia c'était à l'occasion du festival de Benicassim en plein été: tout n'était que poussière, transpiration et plaisirs hédonistes. Un immense bain de culture nauséabond où la musique faisait figure d'alibi pour se dévergonder et frimer sous le soleil de la Côte Dorée. Un véritable musée des horreurs une fois la nuit tombée. Rien à voir avec mon arrivée en voiture dans un centre-ville propret et désert en cette douce soirée de décembre. J'aperçois enfin un petit attroupement et un semblant d'effervescence en passant devant le Wah Wah, local à l'aspect sympathique.

À peine garé et de retour vers l'entrée du club, je tombe sur les deux frères Kirkwood en train de se faire photographier par des fans sur le trottoir. Tous deux affichent un sourire affable et une évidente décontraction. Pas de poses forcées ou de maniérismes rock n'roll mais une attitude discrète qui colle tout à fait avec l'idée qu'on peut se faire d'un groupe revenu de tout et entamant placidement sa quatrième décennie. "Oh putain" me dis-je, tout juste sorti de mes rêveries, "c'est eux". Curt, grand et corpulent tel qu'on l'a toujours vu dans les photos. Cris, plus frêle et visiblement abimé par ses nombreuses batailles.

Le Wah Wah Club est petit mais bien foutu, et surtout il s'en dégage ce charme indéfinissable qui n'appartient qu'aux salles ayant vécu par et pour la musique. On n'y vient pas pour se montrer et l'ambiance y est chaleureuse. En plus, ils passent les Ramones et les New York Dolls. L'endroit me met tout de suite à l'aise après plus de trois heures de route en solitaire et j'hésite à me poser au bar avec une bière, mais non, autant se contenter de prendre place devant la scène: le groupe local Benutizer s'est retiré quelques minutes plus tôt et tout est déjà prêt pour les Puppets. À peine le temps de compter l'assistance, une petite centaine de personnes, et le concert démarre.


Les quatre coups de tom basse annonçant "Lake Of Fire" et sa célèbre intro, jouée toutes guitares dehors à un volume qui défrise, mettent immédiatement les choses au clair. Ça va être bon, très bon même. Le son du groupe est fabuleux, à la fois crade, puissant et mélodique, loin de ce qu'on pourrait imaginer en écoutant les disques éternellement sous-produits des Meat Puppets. En moins de deux minutes la légende de ces pionniers prend toute sa signification et c'est un pan entier de l'histoire du rock alternatif américain qui nous tombe dessus. On comprend sans effort ce qui a tellement plu à Kurt Cobain, Stephen Malkmus, JMascis ou Beck et influencé des légions d'admirateurs.

Les Meat Puppets ont plus d'une corde à leur arc: le punk hardcore des débuts fut vite supplanté dès leur classique deuxième album par un rock psychédélique et ses variantes country, puis pop, puis reggae, puis métal, et en avant vers des territoires plus classic-rock à la Neil Young. Ce pot-pourri de styles est bien représenté dans le concert de ce soir, le premier de l'histoire du groupe en Espagne. Il fut un temps où les frères Kirkwood se plaisaient à aliéner leur public en changeant de genre musical en permanence, poussant même la provocation jusqu'à chanter délibérément faux. Ce soir ils se montrent plus conciliants et se fendent d'un set très plaisant et bien travaillé en forme de "greatest hits". De toute façon, ça fait belle lurette qu'ils ne tentent plus de prendre les gens à contrepied: aujourd'hui, ceux qui se déplacent pour les voir ont très bien compris leur démarche et connaissent l'excentricité des Kirkwood. D'autant plus qu'ils sont dans une forme olympique et visiblement ravis d'être là.


Cris Kirkwood

Si Cris m'avait semblé chétif et fatigué dans la rue, son aplomb sur scène change entièrement la perception du personnage. C'est un véritable animal que l'on retrouve à la basse, précis, instinctif, soignant ses interventions au chant et jouant avec un indéniable panache. Tout comme Shandon Sahm d'ailleurs, dont la monumentale prestation à la batterie façon Muppet Show donne des ailes au groupe. Un troisième Kirkwood complète le line-up à la guitare rythmique, le jeune et souriant Elmo qui n'est autre que le fils de Curt.

Curt qui s'impose bien entendu comme le maître de cérémonie de la soirée. Excellent guitariste, chanteur parfois approximatif mais plein d'esprit, le songwriter s'amuse à revisiter son répertoire en retravaillant habilement la structure des chansons. Le concert est ainsi émaillé de jams imprévisibles et jubilatoires, comme cette coda rock psyché qui envoie "Lake Of Fire" dans la stratosphère. Pas le temps de souffler puisque "Up On The Sun" et l'instrumental "I'm a Mindless Idiot" ne tardent pas à suivre, joués avec spontanéité par un groupe compact qui n'oublie jamais de swinguer quelque soit le tempo ou le genre abordé, folk hybride, country-rock, punk psychédélique ou autres mariages dont Curt a le secret. Quelques ballades folk délivrées avec pudeur nous rappellent également qu'il y a toujours eu un versant plus sensible chez les Meat Puppets, dont la musicalité est bien plus fine que leur image peu sophistiquée ne suggère. On connaissait leur talent inné pour torcher des chansons originales et souvent pleines d'humour, mais ce soir on se rend compte avec un certain bonheur que leur musique est un authentique régal en concert.




La très culte période 80's des Meat Puppets sur le label SST constitue le noyau dur de la soirée et les trois chansons reprises lors du fameux unplugged de Nirvana en présence des Kirkwood ne manquent évidemment pas à l'appel. L'album de 1984 dont elles sont tirées reçoit les faveurs du groupe, ainsi que son successeur "Up On The Sun" de 1985. On a aussi droit à une poignée de morceaux datant des années 90 (le rock plus lourd et direct de "Sam" et "Open Wide", de l'album "Forbidden Places"), et à de rares incursions dans le répertoire récent des arizoniens, qui ne semblent pas très préoccupés par la promotion de "Lollipop", sorti l'an dernier, ni décidés à tester les chansons d'un nouvel album prévu pour Mars 2013. Une belle reprise d'un standard country ("Wasted Days And Wasted Nights"), joué avec un classicisme respectueux, donne un contrepoint intéressant à la folk plus déjantée de titres comme "Comin' Down", tiré de l'album à succès "Too High Too Die" de 1994. C'est le tube grunge "Backwater" du même disque qui conclut le concert dans un déluge final de rock n'roll haut de gamme. Curt dévisage le public et éclate d'un rire mi-sadique mi-complice en nous gratifiant d'un ultime assaut assourdissant à la guitare.


C'est déjà fini. Dire que l'on ressort comblé et euphorique du Wah Wah ne résume pas tout à fait l'expérience. On vient de redécouvrir un groupe que l'on pensait pourtant connaître par coeur, et il y a fort à parier que les quelques dizaines de fans réunis pour l'occasion viennent tous de vivre une mini-épiphanie.
Je félicite Elmo, croisé quelques instants après la fin du concert, puis m'attarde un peu devant le club pour fumer une cigarette et prendre une photo souvenir de l'entrée, téléphone en main. Juste à côté de moi Cris est en train de signer un autographe au marker sur le blouson d'un mec tandis que Curt allume une clope en discutant: "Il y avait tous ces mecs avec leur téléphone portable" dit-il, l'air amusé. Je range mon portable en espérant qu'il ne m'ait pas vu. Trop tard.

C'est l'heure de reprendre la route, trois heures de plus en sens inverse durant lesquelles je me débrouille pour éviter tout programme musical à la radio, encore agréablement assourdi par la brillance des Meat Puppets. C'est Noël avant l'heure.
   



Amplified: Meat Puppets pt. 1 from Amplified on Vimeo.

jeudi 13 décembre 2012

Le bon sens de Mudhoney







C'est confirmé, les vétérans grunge de Mudhoney seront de retour en 2013 avec un nouvel album, "Vanishing Point", qui paraîtra le 2 avril prochain sur leur sempiternel label Sub Pop. Une annonce qui fait forcément plaisir si l'on est resté en phase avec cette incroyable génération de groupes américains qui a redéfini le rock dans les années 80 et 90. Après le recommandable album de Dinosaur Jr "I Bet On Sky", le charmant "Lollipop" des Meat Puppets paru l'an dernier et en attendant le premier disque de Sebadoh depuis 15 ans (leur récent EP est une merveille), c'est une véritable avalanche de bonnes nouvelles et de plaisirs retrouvés.




MUDHONEY - I'M NOW Music Video from King Of Hearts Productions on Vimeo.



Je ne parlerais pas de "résurrection", mot utilisé de façon très pompeuse et récurrente ces derniers temps pour parler du retour d'autres groupes de la même époque comme Soundgarden. Bien souvent, ce sont les groupes eux-mêmes qui décident plus ou moins de l'image qu'ils veulent donner: en cas de fin de cycle et de fatigue notoire il y a ceux qui parlent de "longue pause" de façon modeste, ceux qui sont trop cools pour dire quoi que ce soit et ceux qui annoncent leur "séparation" en grande pompe avec une mine déconfite et un certain sens du mélodrame. Mark Arm, le frontman spontané de Mudhoney, vient de s'exprimer sur le sujet dans Spin:

"Je ne comprends pas pourquoi un groupe devrait faire une grande annonce au moment de se séparer. Pourquoi faire ça à moins d'être absolument certain que tout le monde se déteste et de penser qu'il n'y a aucun moyen de rejouer ensemble ou de se fréquenter? Ça m'a toujours paru bizarre que Soundgarden ait fait cette grande déclaration à propos de la séparation du groupe. On voit bien qu'ils sont à nouveau ensemble. Ça leur a pris un moment mais vous savez, dans une situation comme ça on peut aussi bien se contenter de prendre un congé. Pas besoin d'agiter un drapeau. On ne sait pas ce que l'avenir nous réserve, pas vrai?"

Une leçon de morale assez facile à donner quand on est membre de Mudhoney, groupe qui n'a pas pondu de tube planétaire à la "Black Hole Sun" (on peut les remercier) mais qui fête humblement ses 25 ans sans avoir jamais renoncé à son désir d'aller de l'avant malgré quelques évidents passages à vide. C'était particulièrement le cas entre 1998 et 2002, une période plutôt sombre pour ce genre de rock spontané et peu sophistiqué, complètement annihilé à l'époque par l'émergence écrasante du nu-metal, du punk emo et de l'alternatif intello à la Radiohead. Pas facile de revendiquer les Stooges, Hüsker Dü ou Big Star comme influences majeures dans ce contexte, mais plutôt que de partir en boudant à coup de déclarations tapageuses les Mudhoney, Dinosaur Jr,  Pavement, Sebadoh, Lemonheads et compagnie ont simplement fait profil bas pendant quelques années, continuant leur oeuvre en silence ou se contentant de rester à l'écart des débats. Quel bonheur de retrouver cette génération dans une belle quarantaine tandis que d'autres continuent de courir après leur jeunesse.





Teaser Trailer - Mudhoney I'm Now Documentary from King Of Hearts Productions on Vimeo.


dimanche 9 décembre 2012

Willy Mason: "Carry On"







Juste au moment où les listes de fin d'année commencent à pulluler sur le web débarque de façon un peu inespérée ce troisième album de Willy Mason, pas moins de cinq ans après "If The Ocean Gets Rough", bouleversant un peu mes plans de commencer à mettre en forme mon propre classement. À ce propos on remarque une sorte de surenchère malsaine dans la blogosphère et les webzines musicaux qui pondent chaque année leur liste un peu plus tôt (les premières sont apparues mi-novembre... ), ce qui avouons-le n'est ni très élégant ni révélateur d'une grande ouverture d'esprit vis-à-vis des artistes qui sortent des disques sur le tard. Je ne sais pas si les chroniqueurs de Paste Magazine ou de Pitchfork jettent un oeil blasé sur l'agenda en disant "hmmm, Willy Mason, bof" mais même en admettant qu'ils reçoivent les albums en avance la démarche est un peu perverse. On vit vraiment dans un monde qui a le feu au cul.

Pour en revenir à Willy Mason, ses débuts précoces avec l'album "Where The Humans Eat" de 2005 avaient été remarqués grâce à la fraicheur et l'étonnante maturité qui se dégageaient de sa voix et de ses chansons, avec à la clé un petit tube folk bien sympathique, "Oxygen". À seulement 20 ans Mason a eu droit aux éloges les plus exagérés et les plus prévisibles de la part des médias, annoncé un peu partout comme le "nouveau Dylan" à une époque où le folk faisait un retour en force sur la scène indé. "If The Ocean Gets Rough" a suivi deux ans plus tard, un disque bien moins fantaisiste, le troubadour tentant certainement de s'imposer comme un songwriter "sérieux" à la hauteur de la hype. Sans être mauvais, cet album à l'atmosphère lourde et dépressive n'a pas connu le succès espéré malgré un single très réussi, "Save Myself", et les années ont commencé à défiler sans que l'on n'entende plus vraiment parler du jeune musicien, en-dehors de la sortie de quelques EPs très confidentiels et de brèves collaborations avec les Chemical Brothers et Isobel Campbell. On sait que Mason a continué à se produire sur scène mais cela n'a pas suffit à entretenir la curiosité, surtout avec un répertoire aussi léger.

Pour ma part j'ai même inconsciemment arrêté d'attendre un éventuel retour discographique, étant resté sans la moindre nouvelle de l'artiste depuis 2010 et peu disposé à faire une investigation, plus par négligence que par manque d'intérêt. La sortie de "Carry On" m'a donc pris par surprise, et après quelques écoutes je dois dire qu'on n'est pas plus avancés sur le cas Willy Mason. À 28 ans, ce n'est plus l'album d'un bambin sorti de sa province et dépassé par les évènements qui nous est présenté mais bel et bien le comeback d'un songwriter aguerri ayant volontairement pris tout son temps pour mûrir. Sur le papier cette intention est louable mais "Carry On" est un peu à l'image de son titre bateau et passe-partout, un album sans vraie personnalité qui aurait aussi bien pu sortir en 2009 comme si de rien n'était. La plupart des chansons sont de nouvelles versions de titres présents sur les EPs sortis il y a quelques années et déjà joués des centaines de fois en concert. La voix de Mason a certes pris du volume et de la finesse, mais pour l'essentiel on ne redécouvre pas son talent sous un prisme différent.

Il y a pourtant une évidente volonté de rupture dans la mise en forme: le producteur Dan Carey apporte une base rythmique entièrement synthétique et enveloppe la folk rustique de Willy Mason dans un nuage d'effets électro-pop discrets mais omniprésents. Le résultat est contre toute attente assez séduisant et donne une belle profondeur aux compositions, un contraste bienvenu entre folk terrien et ambiances travaillées. Sur les meilleurs titres, le très shoegaze "Restless Fugitive" (téléchargeable gratuitement sur willymason.net), un "Pickup Truck" folk-pop accrocheur ou le plus intime mais exquis "Into Tomorrow", on est devant l'ébauche d'une évolution intéressante mais le manque d'emphase récurrent dans l'interprétation de Mason (on a parfois envie de le secouer pour qu'il arrête de marmonner) et la présence de titres sans saveur fait retomber "Carry On" au niveau des disques précédents. C'est charmant, indéniablement bien foutu et cohérent, mais ça ne fonctionne à plein régime qu'occasionnellement. Pour terminer sur une note positive je dirais qu'en trois albums il y a déjà de quoi compiler un très agréable best-of, en espérant tout de même que l'ex-enfant prodige saura exploiter son talent avec plus de conviction dans les années qui viennent.            




Willy Mason - Restless Fugitive from Deezer UK on Vimeo.


mercredi 5 décembre 2012

Silver Jews: rétrospective







Fondés en 1989 par David Berman, Stephen Malkmus et Bob Nastanovitch, les Silver Jews ont dans un premier temps vécu dans l'ombre de Pavement, l'illustre groupe indé de Malkmus formé plus tard mais très vite arrivé à une certaine notoriété. Berman s'est peu à peu affranchi de l'image de leader de "l'autre groupe de Malkmus" en affirmant un style musical très personnel basé sur son talent de parolier.






Pour résumer, Berman, Malkmus et Nastanovitch se produisent d'abord sous le nom Ectoslavia, un groupe déconneur et peu ambitieux qui fréquente l'Université de Virginie, avant d'emménager ensemble dans un appartement de New York où le projet sera rebaptisé Silver Jews. Pavement connaît alors un succès aussi inattendu que mérité et Nastanovitch rejoint bientôt le groupe de Malkmus pour remplacer l'alcoolique Gary Young à la batterie (pour l'anecdote un autre ami batteur, Steve West, est également présent dans les deux groupes à cette période). Les Silver Jews passent à un second plan mais persévèrent sous l'impulsion et la créativité de David Berman (chant et guitare) et sortent deux EPs en 1993 sur le label Drag City, "Dime Map Of The Reef" puis "The Arizona Record", tous deux extrêmement lo-fi. Malkmus et Nastanovitch ne sont alors crédités que sous des alias pour éviter toute comparaison avec Pavement, en vain...






STARLITE WALKER
1994
C'est après de nombreux contretemps que ce premier album voit enfin le jour. "Starlite Walker" est heureusement enregistré dans de bonnes conditions et sans aucun complexe par le trio d'origine. David Berman impose son chant laconique et ses textes singuliers sur un mélange de country et de rock indé peu semblable à l'univers de Pavement si ce n'est par le charme désinvolte qui s'en dégage, sans parler de l'évidente présence de Malkmus en tant que guitariste et co-vocaliste occasionnel. Un début un peu déglingué mais captivant qui affirme la personnalité de Berman tout en conviant une certaine chaleur et un côté "disque entre potes" très sympathique.






THE NATURAL BRIDGE
1996
Sans doute encouragé par de prometteuses études littéraires, la publication remarquée de ses poèmes et la réception positive du premier album, David Berman montre davantage de confiance et d'ambition personnelle sur "The Natural Bridge". La production est paradoxalement plus acoustique et lo-fi que celle de "Starlite Walker", et les vieux compères Malkmus et Nastanovitch sont même poliment priés de quitter le groupe après des sessions peu concluantes (remplacés pour l'occasion par des membres des Radiant Storm Kings et le producteur Rian Murphy). Le résultat est un album d'une profondeur surprenante, où l'humour de Berman se fait plus cynique et ses chansons plus sombres. Musicalement la country prend nettement le pas sur les influences rock mais "The Natural Bridge" est indéniablement l'oeuvre d'un songwriter décidé à donner une dimension supérieure à sa musique, ce qu'il parvient à faire avec des textes très riches et des atmosphères travaillées. "How To Rent a Room", "Black And Brown Blues" ou encore l'étonnante incursion post-punk "The Frontier Index" font partie des moments forts d'un disque moins accessible mais certainement plus abouti que son prédécesseur.






AMERICAN WATER
1998
Assez logiquement considéré comme le meilleur album du groupe, "American Water" représente une symbiose parfaite entre la nonchalance de "Starlite Walker" et la consistance de "The Natural Bridge", abandonnant au passage les maladresses lo-fi pour une production plus élaborée. Stephen Malkmus réintègre le groupe qui est cette fois complété par les érudits Mike Fellows, Tim Barnes et Chris Stroffolino, de fins couteaux qui apportent un sens du détail très bénéfique à l'ensemble. Berman n'est pas en reste puisqu'il livre quelques-unes de ses plus belles chansons, comme l'exquise "Random Rules" qui ouvre l'album, une perle tendre et poignante qui mérite bien sa place dans tous les tops indés des années 90. À l'instar de "Starlite Walker", ce disque récupère un bel équilibre entre influences country, pop et rock et Malkmus s'y montre particulièrement à son avantage en tant que guitariste, délaissant les excentricités de son travail avec Pavement pour une approche plus linéaire qui préfigure les belles envolées mélodiques de sa future carrière solo. Le groupe atteint enfin une sorte d'apothéose entre ambitions littéraires et finesse musicale.






BRIGHT FLIGHT
2001
Les Silver Jews déménagent à Nashville et enregistrent "Bright Flight" sans Stephen Malkmus, peut-être trop occupé par ses propres ambitions musicales. Son absence se fait sentir sur cet album plus conventionnel mais Berman parvient à refaire le coup de "Natural Bridge" en rassemblant une dizaine de chansons intimes aux accents très country, sans pour autant revenir au son lo-fi des débuts ou abandonner les talentueux musiciens d'"American Water". Sa compagne Cassie Marrett rejoint le groupe en tant que bassiste et co-vocaliste sur quelques titres, une présence féminine qui renforce l'esthétique folk de la musique et apporte une certaine légèreté: "Tennessee", chanson aussi cucul qu'accrocheuse, représente bien cette évolution vers une écriture plus traditionnelle et évoque de grands duos country à la Gram Parsons/Emmylou Harris. On peut parfois déplorer des absences de rythme et de relief, mais "Bright Flight" est un disque chaleureux, très personnel et agréablement bavard qui révèle toutes ses qualités avec le temps. Hélas, son caractère moins spontané et l'inévitable comparaison avec "American Water" lui donnent des allures trompeuses de semi-échec.






TANGLEWOOD NUMBERS
2005  
Berman traverse une période difficile sur fond de dépression et de drogues (on parle même d'une tentative de suicide) mais contrairement à ce qu'on pourrait attendre cela n'affecte pas outre mesure les textes de "Tanglewood Numbers", un album en partie confessionnel qui propose un changement de son assez radical et une approche plus rock. La country des albums précédents est encore palpable mais la sensation d'intimité est gommée par une production plus musclée et des morceaux plus rapides et électriques. Le groupe prend des allures de collectif musical avec les retours de Malkmus et Nastanovitch, même s'ils restent plus discrets qu'auparavant, et l'on note également les participations de Will Oldham, Paz Lenchantin et de nombreux autres musiciens. Toujours secondé par sa femme Cassie Marrett au chant, le Silver Jew en chef se montre plus versatile qu'à l'accoutumée mais en dépit de ses efforts la placidité souveraine de son style vocal en prend un coup et la finesse de ses paroles est quelque peu submergée par les arrangements et le volume des instruments. Une nouvelle génération de fans et de critiques semble apprécier ces changements tandis que les nostalgiques se prennent à regretter l'ambiance plus douillette des premiers albums, sans pour autant se montrer excessivement déçus par ce disque bien équilibré.






LOOKOUT MOUNTAIN, LOOKOUT SEA
2009
Cet ultime album est sans doute l'un des meilleurs de la discographie des Silver Jews, une oeuvre à part qui illustre une évolution à la fois cohérente et inattendue par rapport aux origines et aux caractéristiques du groupe. La transition entamée avec "Tanglewood Numbers" vers un son ambitieux et des textures complexes est ici magnifiquement aboutie, d'une façon sous-entendue et délicate qui ne fait pas de "Lookout Mountain, Lookout Sea" le disque le plus immédiat de Berman mais certainement sa plus belle réussite en terme d'esthétisme musical. On y retrouve le sens de l'humour et le bavardage littéraire si représentatifs de son style, même si sa voix se fait plus distante dans le mix, comme pour mieux laisser respirer les nuances instrumentales du groupe (un nouvel assemblage de musiciens ayant tourné avec les Silver Jews depuis 2005, sans Malkmus et la pléthore d'invités du disque précédent). De bons parti pris qui permettent d'éviter la redite et qui emmènent la musique vers un territoire plus classique, quelque part entre les narratives ésotériques de Neil Young, la sensibilité de Leonard Cohen et la fantaisie de Bob Dylan (toutes proportions gardées). Certaines chansons comme "We Could Be Looking For The Same Thing" prennent même l'allure de vieux tubes country-rock oubliés, et pour la première fois les Silver Jews subliment leur pédigrée indé-DIY tout en conservant une certaine excentricité. Une belle façon de dire au revoir.






Personne n'a vraiment compris les raisons troublantes de David Berman à l'heure de mettre fin à ce groupe prometteur et en constante évolution, conclusion abrupte et confuse d'une carrière musicale de plus en plus plébiscitée. Nombreux sont les fans qui espèrent un éventuel retour des Silver Jews sous une forme ou une autre et l'on imagine sans peine que cet intérêt ne fera que grandir suite à un parcours aussi original et consistant.

Pour les plus curieux d'entre vous n'hésitez pas à chercher le documentaire retraçant une partie de l'histoire du groupe et les doutes existentiels de Berman, "Silver Jew", ou à visiter son excellent blog, un havre d'intelligence, de poésie et d'anecdotes musicales comme cet hilarant échange d'e-mails entre Stephen Malkmus et lui (le leader de Pavement tentait de trouver un titre pour son album de l'an dernier, "Mirror Traffic"). Plus récemment une compilation des tout premiers titres enregistrés par les Silver Jews, "Early Times",  est sortie sur le label Drag City... un disque réservé aux fans purs et durs, bien entendu:



    
Silver Jews - EARLY TIMES Promo from Drag City on Vimeo.



mercredi 28 novembre 2012

Dinosaur Jr : "Chocomel Daze"







Un petit mot sur cet enregistrement live disponible depuis peu chez Merge Records pour fêter le 25ème anniversaire du classique "You're Living All Over Me" de Dinosaur Jr. Le concert documenté sur ce disque a eu lieu en 1987 lors de la première tournée européenne du groupe dans une petite salle en Hollande, peu après la sortie de l'album.

Ma recherche de chroniques détaillées concernant "Chocomel Daze" sur le web n'a pas abouti à grand chose, si ce n'est à un lynchage absurde sur le toujours irritant site Pitchfork. L'auteur de la critique semble pour le moins déçu par la mauvaise qualité du son et trouve que le groupe ne jouait pas bien à ses débuts. Sa conclusion: mieux vaudrait sortir un live de la tournée en cours, maintenant que la technologie permet à JMascis, Barlow et Murph d'exhiber leur maturité musicale sur un enregistrement en haute-fidélité. On imagine le mec achevant sa chronique avec un petit air satisfait avant de s'en retourner tout guilleret à sa collection de vinyles de Radiohead.

Inutile de s'étendre davantage sur ces pitoyables arguments et laissons donc l'article de Pitchfork aux maniaques de la définition audio. Il est évident que le seul document live existant (tout du moins à l'heure actuelle) de l'époque de "You're Living All Over Me" rappelle davantage une vieille cassette pirate qu'un album live dernier cri. Sauf que ce petit groupe post-hardcore venait de pondre l'un des meilleurs albums de rock indé des années 80, et c'est là tout l'intérêt de "Chocomel Daze" (baptisé ainsi à cause de la passion du groupe pour une marque de chocolats hollandais).





    
En toute logique, on ne conseillera pas ce live à ceux qui n'ont pas encore découvert les premiers albums de Dinosaur Jr, plus particulièrement "Dinosaur" et "You're Living All Over Me", tous deux représentés ici. C'est d'ailleurs la timide "Severed Lips" de "Dinosaur" qui débute péniblement le set dans un brouhaha ne présageant rien de bon pour la suite. Mais au bout de quelques instants le son se stabilise, le public se fait moins audible et l'on entend enfin le groupe de façon tout à fait acceptable. Il s'agit certes d'une qualité sonore modeste, mais rien de bien choquant compte tenu des moyens limités du groupe en 1987. Certains se souviendront peut-être avec émotion d'un temps où l'on enregistrait sur cassette les versions live ou sessions exclusives passant dans des émissions radio spécialisées, il y a 20 ou 25 ans. Dans ces conditions, une écoute attentive au casque sera sans doute plus convaincante... mais encore une fois, arrêtons avec ces sottises. Les groupes indés, punk et post-hardcore des années 80 n'étaient pas spécialement réputés pour la qualité immaculée de leurs productions.

"Severed Lips" ne reçoit pas un très bon traitement de la part du groupe qui semble jouer la chanson pour se dégourdir, la tête un peu ailleurs et sans réel souci de soigner la mélodie: Murph alourdit le tempo, JMascis chante d'une voix éteinte et foire le premier solo, volontairement sans doute, et la fin du titre part dans une envolée noisy bordélique certainement destinée à prévenir l'assistance de ce qui va suivre. 

Si on aime ce groupe et qu'on est trop jeune pour l'avoir vu sur scène en 1987, difficile de ne pas tendre l'oreille pour récupérer un peu de la magie du moment. N'oublions pas que personne à cette époque n'employait le terme "grunge", et pourtant c'est bel et bien à la naissance de ce mouvement que les gens rassemblés dans cette petite salle étaient en train d'assister. Dès la deuxième chanson, "In A Jar", le doute n'est plus permis, les hostilités sont ouvertes et c'est un redoutable groupe de rock qui se dresse devant - on l'imagine - un public aux anges. Le reste du set n'est qu'une longue montée en puissance qui culmine avec un "Sludgefeast" définitif au moins aussi abrasif que sa version studio remasterisée... à condition bien-sûr de laisser ses vilains préjugés d'audiophile peigne-cul au placard et de remettre cet enregistrement dans le contexte underground auquel il appartient. Au final "Chocomel Daze" est une addition plus que bienvenue au catalogue de Dinosaur Jr, une rareté à ranger aux côtés des recommandables Peel Sessions du groupe, et évidemment destinée en priorité aux fans de longue date comme toutes les sorties de ce genre.  





samedi 24 novembre 2012

Tame Impala + Melody's Echo Chamber







Les sorties récentes des albums de Tame Impala et Melody's Echo Chamber, à un mois d'intervalle, m'incitent à faire un truc peu orthodoxe, c'est-à-dire à combiner deux chroniques en une seule. Non pas que les deux disques soient identiques en tout point mais on ne va pas couper les cheveux en quatre: si on a aimé "Lonerism" de Tame Impala (c'est mon cas) il n'y a aucune raison de ne pas apprécier "Melody's Echo Chamber", pour des raisons plus qu'évidentes.






Dans le cas de Tame Impala, groupe profondément ancré dans la vieille tradition psychédélique, "Lonerism" pourrait être injustement sous-estimé pour sa tendance à réciter le Revolver des Beatles et les classiques de la scène hippie californienne des années 60-70. Des critiques qui n'ont curieusement pas été faites à "Innerspeaker", un premier album naïvement rétro et parfois un peu trop porté sur du riff recyclé et des jams old-school. Avec ce nouveau disque le leader du groupe, Kevin Parker, démontre au contraire qu'il n'est pas seulement un élève appliqué mais un songwriter au talent considérable capable de sublimer les clichés du genre avec des mélodies et des arrangements d'une grande finesse. Les nappes de synthé, la restreinte des guitares et l'aspect déstructuré des morceaux sont peut-être déroutants au début mais c'est un excellent album de pop psychédélique qui se révèle au fil des écoutes. Un disque d'une dimension bien supérieure à la moyenne et sans aucun doute l'un des tout meilleurs de cette année 2012. Adieu aux fans de stoner qui n'auront qu'un maigre "Elephant" (jeu de mot non voulu) à se mettre sous la dent et bonjour aux amateurs de pop barrée et vintage. À l'heure où pas mal de groupes revendiquent leur psychédélisme à tout bout de champ sans vraiment le démontrer - ou alors de façon très superficielle (Kasabian, Noel Gallagher, c'est pour vous) - les australiens de Tame Impala font figure d'authentiques héritiers tout en apportant un son neuf et rafraîchissant.






Et voici qu'après la sortie remarquée de "Lonerism" débarque ce premier album de la française Melody Prochet, compagne de Kevin Parker selon certaines gazettes, même si ce n'est pas vraiment ce qui nous intéresse ici. Ce projet solo a de toute évidence bénéficié de la bienveillance de Parker tant la production et les arrangements sont semblables à ceux de Tame Impala.

Puisqu'il s'agit d'un début, pas facile de discerner la véritable personnalité musicale de Melody Prochet dans un environnement si particulier. Pour autant, ne cédons pas tout de suite au cynisme: dès l'épatant "I Follow You", joli titre pop qui n'a rien d'excessivement "impalien" si ce n'est son fabuleux solo de guitare, il paraît évident que cet album a plus à offrir qu'une simple resucée de "Lonerism". Là où l'album des australiens renvoie à un rock expérimental aussi vieux que le premier trip sous acide de John Lennon, la pop éthérée de "Melody's Echo Chamber" nous ramène plutôt au tout début des années 90, entre les Cocteau Twins et Slowdive, époque d'un shoegaze moins hallucinogène mais tout aussi évaporé. On peut dire que les deux disques ont en commun une sensibilité psyché et rêveuse, mais celui de Tame impala est bien plus abouti et jusqu'au boutiste, ou si vous préférez c'est une drogue plus dure et de meilleure qualité qui provoque davantage de dépendance. C'est d'ailleurs le principal défaut de "Melody...": la première moitié propose un bel équilibre entre efficacité pop et effets impressionnistes avant de se diluer dans un mélange d'influences contradictoires et brouillonnes, sans maintenir l'intensité mélodique du début.  Un bon trip qui prend fin trop vite, tandis que "Lonerism" ne se permet aucune baisse de régime et négocie soigneusement chaque transition.







Le premier titre chanté en français, au beau milieu de l'album, est aussi le premier faux pas de la protégée de Kevin Parker, un "Bisou Magique" incongru qui semble être là uniquement pour dire "oh and by the way, I'm french". La bien-nommée Melody se réinvente soudainement en Jane Birkin du début des années 70 pour une chanson exagérément kitsch qui décide de flirter avec une pop désuète déjà 1000 fois revisitée par Air. C'est d'autant plus décevant que l'anecdotique "Endless Shore" nous ramène ensuite au shoegaze anglais initial avant de déboucher sur un autre morceau en français moins cucul mais tout aussi dispensable que "Bisou Magique". La fin du disque est plus cohérente mais c'est un peu trop tard, le tout étant scindé en deux approches bien distinctes qui ne font pas forcément bon ménage. Était-il vraiment judicieux d'ajouter une touche "frenchy" aussi peu subtile et de se risquer au cliché? J'en doute.

Dommage, car Melody Prochet a du charme à revendre et le boulot de Parker est souvent sensationnel. Difficile évidemment de ne pas remarquer son tour de main dans les arrangements utilisés et les effets de production (la guitare planante de la très réussie "Crystallised", les synthés de "You Won't Be Missing That Part Of Me", le mixage de la voix sur "Some Time Alone, Alone"...) mais aussi dans la structure et l'écriture de certaines chansons. C'est en réalisant ceci que je me suis mis à penser au "Live Through This" de Hole, tant soupçonné d'être l'oeuvre de Cobain... mais plutôt que de m'embarquer dans une épuisante théorie je préfère tirer un trait sur ces considérations et abandonner toute forme de polémique: "Melody's Echo Chamber" est un disque plutôt séduisant qui devrait apporter une renommée méritée à Melody Prochet, en France comme ailleurs. Mais il convient de souligner que malgré ses évidentes qualités, ce premier album à la production expansive ne laisse pas assez de place à la spontanéité et l'innocence de la musicienne. Tout semble déjà trop pro, trop calculé, trop clinquant. Un album ingénu déguisé comme un arbre de Noël qui finit par se prendre les pieds dans les guirlandes. Manque de maturité ou ambition excessive, peu importe, on attend quand même la suite avec une curiosité bienveillante. 



jeudi 22 novembre 2012

Angel Olsen: "Half Way Home"







Pour commencer par un bon vieux cliché je dirais qu'Angel Olsen, c'est d'abord une voix. La jeune américaine de St Louis a ce don de captiver dès qu'elle se met à chanter et ce n'est pas une question de timbre ou de technique, même si le talent et la maîtrise de la demoiselle sont assez exceptionnels. Ce qui est immédiatement frappant, c'est la personnalité et la maturité du chant et cette envie évidente de raconter quelquechose. J'en profite pour citer les mots d'un prof, des mots qui m'ont marqué, il y a déjà pas mal d'années (et pourtant je détestais ce type): "Avec la technique on peut impressionner les gens, mais on ne peut pas forcément les toucher".






Alors que dire de ce second album "Half Way Home"? D'abord, que la musique d'Angel Olsen mérite bien un petit détour du côté de la tradition folk américaine. Le disque, sorti sur le label Bathetic, respire les grands airs champêtres et l'innocence flower power des années 60/70, avec un léger parfum indé-bucolique qui laisse deviner la présence de Bonnie 'Prince' Billy en coulisses. La belle Angel a beaucoup collaboré avec lui ces dernières années mais elle ne semble heureusement pas influencée outre mesure par les encombrantes tendances loufoques et pseudo-mystiques du personnage. Disons qu'elle s'en tient à une réalité personnelle plus simple et fleur bleue, sur une production sobre qui rappelle sans équivoque "I See a Darkness", album considéré à juste titre comme l'un des meilleurs du 'Prince'.

Pour Angel Olsen "Half Way Home" est un pas en avant considérable comparé au très lo-fi "Strange Cacti" de l'an dernier, mais l'ennui guette parfois malgré l'esthétique irréprochable de la musique, la faute à un minimalisme complaisant qui prive souvent les chansons de relief. Instinctivement, on attend de cette sublime voix qu'elle soit soudainement transportée par des harmonies, des choeurs, une section rythmique ou des arrangements soignés mais c'est le contraire qui se produit, et de façon trop systématique. La chanteuse est livrée à elle-même sur une bonne moitié du disque, seule avec sa guitare ou accompagnée de quelques rachitiques notes de basse, ce qui rend l'affaire un peu laborieuse sur la longueur. Pourtant, cette délicate artiste ne fait pas dans le misérabilisme, et les titres les plus "habillés" donnent une toute autre dimension à sa musique - comme par exemple "The Waiting":  







Un rien suffit à mettre en valeur la beauté classique de ces morceaux mais hélas, "Half Way Home" confond souvent ce "rien" avec des absences un peu trop radicales. On ne parle pas d'ajouter un orchestre symphonique ou des cuivres au moindre couplet, même si l'on soupçonne Angel Olsen de poser ici les bases de futurs albums beaucoup plus travaillés, mais on peut s'étonner des disparités entre un "Acrobat" tout en intensité qui dissimule de subtils arrangements et un "Always Half Strange" excessivement dépouillé, presque laissé pour compte.

Malgré tout, si l'on prend ce disque tel qu'il a été conçu, avec toutes ses caractéristiques de disque intime et profondément personnel, on ne peut nier la qualité qui s'en dégage. Les comparaisons avec d'autres artistes comme Cat Power ou Feist ne tarderont pas à fuser mais il faut d'ores-et-déjà souligner qu'il n'y a pas d'ambition pop à proprement parler chez Angel Olsen et aucun maniérisme mélodramatique susceptible de faire pleurer dans les chaumières. Le charme rétro de ses intonations et son goût immodéré pour un folk plus traditionnel annonce plutôt l'éclosion d'un talent brut, en dehors du temps, qui se démarque sans effort du tout-venant folk indé. Une belle découverte.







samedi 17 novembre 2012

Epic Soundtracks: "Wild Smile"







Epic Soundtracks est le curieux nom de scène de Kevin Paul Godfrey, co-fondateur du groupe post-punk anglais Swell Maps à la fin des années 70, puis batteur des Jacobites la décennie suivante aux côtés de son frère Nikki Sudden. Décédé dans des circonstances troubles en novembre 1997, Epic Soundtracks ne s'est pleinement révélé en tant que songwriter que cinq ans plus tôt avec un épatant premier album solo, "Rise Above", avant de sortir deux autres disques de très bonne tenue: "Sleeping Star" (1994) puis "Change My Life" (1996).

Si la reconversion de ce punk excentrique en compositeur-interprète de touchantes ballades en a surpris plus d'un en 1992, une génération entière de groupes lui vouait déjà une sorte de culte pour son passé musical. De Dinosaur Jr à Pavement en passant par Sonic Youth, nombreuses sont les stars de l'underground américain à avoir reconnu son influence, et l'on note d'ailleurs les apparitions de Kim Gordon et JMascis sur "Rise Above". Son amitié avec Evan Dando le conduira à donner quelques concerts avec ce dernier puis à co-écrire "C'mon Daddy" pour l'album "Car Button Cloth" des Lemonheads peu avant sa mort (des versions intéressantes de cette chanson sont présentes sur l'anthologie "Wild Smile", mais je reviendrais là-dessus tout à l'heure).



Evan Dando & Epic Soundtracks



Avant d'aborder cette nouvelle compilation il faut savoir que deux albums posthumes sont sortis en 1999 et 2006, composés d'inédits et raretés documentant l'inspiration débordante et la sensibilité à fleur de peau d'Epic Soundtracks. Je vous l'accorde, les sorties post-mortem sont en général connues pour leur contenu fourre-tout dispensable et inférieur aux "vrais" albums, mais certainement pas ici... surtout dans le cas de "Good Things", compilé par Nikki Sudden, un album tellement bon qu'il fait souvent penser à un chef d'oeuvre poignant et déglingué dans la veine du "Third" de Big Star, et je pèse mes mots:






"Wild Smile, An Anthology", paru il y a quelques semaines, pourrait faire figure de simple best of. En effet, le premier disque ne fait que rassembler dans un ordre aléatoire quelques-unes des meilleures chansons des cinq albums existants, avec d'évidentes omissions comme "She Sleeps Alone" de "Rise Above" (avec JMascis à la batterie), "Stealaway" de "Change My Life" ou encore "I Got To Be Free" de "Good Things". Rien de criminel, la compilation reste soignée et agréable à l'écoute, mais on ne fait qu'aborder assez superficiellement l'univers du songwriter en discernant çà et là ses influences majeures (John Cale, David Bowie, Brian Wilson, Alex Chilton, bref, des "classicistes" pop plutôt que des punks expérimentaux).

En revanche, le deuxième disque est une réussite absolue qui met en avant l'étendue du talent d'Epic Soundtracks en compilant de fort belle manière chutes de studio, enregistrements live et sessions radio, allant même jusqu'à repêcher une chanson enregistrée en 1981, "Jelly Babies", qui laisse entrevoir onze ans avant "Rise Above" la versatilité du musicien. Comme avec "Good Things", on oublie le côté potentiellement anecdotique et bordélique d'une telle entreprise dès les premières chansons pour se laisser émouvoir et... admirer, tout simplement. Je ne vais pas mentionner tous les titres qui m'ont fait vibrer, mais la version live-acoustique de "C'mon Daddy" en début de disque est fantastique (tout comme celle en duo avec Evan Dando, plus débraillée, qui conclut cette rétrospective), et le plus beau moment reste sans doute la découverte de "Teenage Heart", chanson restée inexplicablement absente de l'album "Sleeping Star" et des deux compilations posthumes.

Plus qu'une anthologie, "Wild Smile" s'avère être une excellente introduction pour les non-initiés et un superbe complément pour les vieux fans. Vue la consistance du répertoire d'Epic Soundtracks, aussi brillant de son vivant qu'après sa mort (phénomène rarissime), un coffret réunissant toute son oeuvre semble de plus en plus indispensable. On pourra toujours se consoler en revisitant les cinq albums (six en comptant "Wild Smile Disc 2") disponibles à ce jour, mais il reste certainement des inédits comme le prouve cette version inconnue de "C'mon Daddy" trouvée sur YouTube:







jeudi 15 novembre 2012

Reprise #2: "Don't Let It Bring You Down"








Je ne vais pas mentir, The Barr Brothers est un groupe qui m'est totalement inconnu donc je ne m'attarderais pas sur leur parcours, du moins pas encore car cette fabuleuse reprise donne sérieusement envie d'écouter leur premier album, sorti en 2011. Les canadiens brillent sur l'ensemble de la session dont est tirée cette version de "Don't Let It Bring You Down", une initiative de l'excellent blog I Am Fuel You Are Friends sur lequel on peut découvrir de très nombreux artistes et groupes à tendance folk qui n'ont pas toujours les faveurs de nos médias. Vivement recommandé.

Difficile de ne pas se laisser convaincre par l'esthétique du son des Barr Brothers sur cette chanson tirée du classique "After The Gold Rush" de Neil Young, un morceau d'anthologie qui a bien évidemment été repris des milliers de fois mais rarement avec autant de classe et de sensibilité. La délicatesse des harmonies emmène la mélodie vers un final somptueux et les arrangements ne sont pas dégueus non plus, avec en particulier cette harpe qui donne une belle lumière à l'ensemble. Je n'irais pas jusqu'à dire que cette version est meilleure que l'originale, un débat toujours un peu vain (surtout quand on parle d'une légende comme Neil Young), mais c'est incontestablement du très beau travail.


La version originale de Neil Young:





mercredi 14 novembre 2012

Swell: rétrospective






Cette troisième entrée dans la série "Discographies" est l'occasion de se pencher une fois de plus sur un groupe injustement condamné à l'obscurité, plus encore que Swervedriver et d'une façon certainement plus cruelle. Durant plus de vingt ans d'existence Swell a oeuvré dans l'ombre, sans le moindre tube radio et oublié de tous les "historiens" du rock alternatif des années 90. Une honte si l'on prend en compte leur dimension de pionniers, et un authentique scandale lorsque l'on contemple leur magnifique répertoire.

Si leur histoire vous intéresse n'hésitez pas à vous procurer pas moins de sept albums offerts généreusement par la tête pensante du groupe, David Freel (donations acceptées et amplement méritées). Trois albums de Swell (les deux premiers et le dernier en date), deux compilations de raretés et deux albums "solo" sortis en 2009 et 2010. De quoi se familiariser avec la musique du californien.





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SWELL
1990
Formé en 1989 à San Francisco, le groupe est d'abord constitué du noyau dur David Freel/Sean Kirkpatrick (chant et guitare/batterie). Le duo pose immédiatement les bases stylistiques de Swell, un rock alternatif séduisant, plutôt sombre et mélancolique dont le son âpre sera bientôt assimilé au mouvement lo-fi. À la différence d'autres figures bourgeonnantes de cette scène comme Pavement et Sebadoh, les débuts de Swell sont plutôt bien enregistrés et "propres" compte tenu du peu de moyens dont dispose le groupe en terme de production. On peut même dire que toutes leurs caractéristiques sont déjà présentes sur ce solide premier album, la batterie sèche et syncopée de Kirkpatrick soutenant à merveille le songwriting singulier de Freel qui alterne guitares acoustiques et électriques, rythmes épileptiques et envolées planantes, le tout bercé par un chant suave et détaché d'une grande élégance. Ce n'est sûrement pas un hasard si le groupe donne son premier concert en première partie des éthérés Mazzy Star.





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...WELL?
1992
Auto-produit comme son prédécesseur, "...Well?" ne trahit en rien l'identité musicale établie par Freel et Kirkpatrick malgré l'incorporation du bassiste Monte Vallier et d'un deuxième guitariste, John Dettman, qui ne fera pas long feu au sein de Swell. Le groupe profite néanmoins de ces recrutements et de l'expérience acquise lors des premières tournées pour se montrer un peu plus agressif, plus électrique, et nettement plus entreprenant en matière de composition et de production. Encore une fois, le travail sur les textures sonores et les ambiances est impressionnant en l'absence de vrai budget et de maison de disques ("Swell" et "...Well?" sont sortis sur le label créé par Freel lui-même pour l'occasion, PsychoSpecific). Ce deuxième tour de force vaut au groupe d'être signé par une major.






41
1993
Adoubés du titre très officieux de "next big thing" par un John Peel enthousiaste ("Nirvana is having tremendous success right now, and Pavement is the next big thing; but the next, next big thing might well be Swell"), les californiens sont reçus à bras ouverts par la critique qui couvre d'éloges leur excellent troisième album (sorti sur le label American de Rick Rubin). L'écriture de David Freel atteint une densité et une maîtrise remarquables, revenant à une base rythmique plus acoustique pour mieux mettre en relief les percussions de Kirkpatrick et l'impact tour à tour noisy et ambiant des guitares électriques. Le spleen tranquille du chanteur se démarque du pessimisme forcené de nombreux autres groupes de l'époque, et Swell trouve définitivement un équilibre assez unique entre stoner rock, post-punk et une touche folk omniprésente. Malheureusement, le succès commercial n'est pas au rendez-vous et American/Warner finit par lâcher le groupe alors qu'un nouvel album est déjà enregistré.






TOO MANY DAYS WITHOUT THINKING
1997
C'est après bien des mésaventures et quelques embrouilles légales que Swell réussit à sortir le successeur de "41" sur Beggars Banquet. "Too Many Days Without Thinking" représente une nouvelle progression dans la créativité et la maturité du groupe. À priori les californiens ne révolutionnent pas leur approche mais la production de Kurt Ralske offre un sens du détail, une profondeur et un son plus ambitieux qui sublime les compositions d'un David Freel en état de grâce. Monte Vallier et Sean Kirkpatrick ne sont pas en reste puisque l'un comme l'autre s'emploient à donner une assise rythmique implacable aux chansons, les lignes de basse élégantes et tortueuses de Vallier apportant un contrepoint intéressant aux frappes saccadées et chirurgicales de Kirkpatrick. Un superbe album qui oscille entre slacker pop ("Fuck Even Flow", "At Lennie's"), noirceur désabusée (le single "(I Know) The Trip") et de longues plages rêveuses et atmosphériques ("What I Always Wanted", "Sunshine Everyday").






FOR ALL THE BEAUTIFUL PEOPLE
1998
Peut-être lassé par le manque de succès, Kirkpatrick quitte le groupe. Il est remplacé par le non moins talentueux Rob Ellis qui parvient à imposer un style de jeu plus linéaire sans dénaturer le son de Swell. Son entente avec Monte Vallier, au sommet de sa forme sur cet album, et l'inspiration décidément inépuisable de David Freel font de "For All The Beautiful People" une nouvelle réussite. Si "Too Many Days Without Thinking" conclut brillamment un premier cycle en portant le son des débuts à son paroxysme, ce nouveau disque inaugure une étape plus sophistiquée et expérimentale où l'ambiance prend le pas sur l'écriture plus directe des albums précédents. Aucun titre ne ressort véritablement du lot à la manière de "What I Always Wanted", mais l'immersion dans l'univers désenchanté et pourtant apaisant de Freel est totale. La production, plus détaillée que jamais, utilise le digital à bon escient pour créer des textures inédites dans sa musique, qui prend des allures de plus en plus mystiques. Le groupe livre ainsi une oeuvre cohérente, aboutie, dense et variée. S'il ne fallait en garder qu'un...






EVERYBODY WANTS TO KNOW
2001
Après cinq albums consécutifs de plus en plus captivants la notoriété du groupe reste très limitée et c'est au tour de Monte Vallier de partir pendant l'enregistrement d'"Everybody Wants To Know", le disque le plus expérimental et très probablement le moins populaire de Swell. Désormais seul maître à bord, David Freel sort dans un premier temps un EP prometteur, "Feed", dans la lignée de "For All The Beautiful People", puis cet album décousu et inégal qui recycle la quasi-intégralité de "Feed" sans réellement bâtir quoi que ce soit autour des titres déjà connus. Rob Ellis est remplacé par Rey Washam à la batterie, mais la présence de ce dernier reste anecdotique puisqu'il est supplanté par une boîte à rythme sur plusieurs chansons. D'autre part, les belles interactions basse/batterie des albums précédents ont complètement disparu. Freel sauve les meubles grâce à quelques morceaux inspirés et habilement arrangés (ceux de "Feed", surtout) sans toutefois réussir à faire oublier les absences de Vallier, Ellis ou Kirkpatrick.






WHENEVER YOU'RE READY
2003
Contre toute attente, Sean Kirkpatrick réintègre Swell le temps d'enregistrer un album qui délaisse logiquement les tendances expérimentales des deux disques précédents pour revenir à un son organique plus proche de "41" et "Too Many Days Without Thinking". Le duo d'origine ne ménage pas ses efforts: "Whenever You're Ready" s'étale sur quinze titres, plus d'une heure de musique qui parvient fréquemment à se hisser au niveau des meilleures compositions du groupe. Freel et Kirkpatrick semblent s'amuser comme deux gosses qui explorent sans complexe tous les recoins de leur imagination, et c'est avec une certaine nonchalance qu'ils pondent l'album le plus accessible, mélodique et optimiste de la discographie de Swell. On peut leur reprocher quelques facilités et la présence de titres pas indispensables, mais l'ensemble n'est jamais pesant et représente un contrepied aussi nécessaire qu'inattendu dans l'histoire du groupe.





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SOUTH OF THE RAIN AND SNOW
2007
Le silence radio prolongé suite à la sortie de "Whenever You're Ready" laisse entendre que Swell n'est plus. C'est donc à la surprise générale qu'un nouvel album est annoncé fin 2007, auto-produit comme aux débuts du groupe. "South Of The Rain And Snow" est essentiellement l'affaire d'un seul homme, David Freel ne faisant appel qu'à un seul musicien pour la batterie (Nick Lucero, ex-Queens Of The Stone Age). Contrairement à l'ambitieux mais déséquilibré "Everybody Wants To Know" cet album ne souffre d'aucune maladresse et assume pleinement son caractère intime et personnel. De son propre aveu Freel enregistre selon le principe très lo-fi de ne "jamais superposer plus de trois instruments", une sobriété qui met en valeur la qualité de ces dix nouvelles chansons et rappelle s'il en était encore besoin son indéniable talent de songwriter. Plus folk que jamais, plus touchant qu'aucun autre, "South Of The Rain And Snow" est le classique épuré qui manquait au répertoire de Swell et qui conclut une discographie impressionnante.  






Aux dernières nouvelles, David Freel aurait en tête de continuer Swell. Reste à savoir sous quelle forme et avec quels musiciens. Depuis "South Of The Rain And Snow" on ne peut pas dire qu'il ait été inactif puisqu'il a sorti pas moins de deux albums, l'un sous le pseudo Be My Weapon, en 2009, et l'autre sous l'alias Wendell Davis un an plus tard. Tous deux excellents mais plutôt confidentiels et expérimentaux, moins immédiats que les disques de Swell. Affaire à suivre, donc.