mercredi 5 décembre 2012

Silver Jews: rétrospective







Fondés en 1989 par David Berman, Stephen Malkmus et Bob Nastanovitch, les Silver Jews ont dans un premier temps vécu dans l'ombre de Pavement, l'illustre groupe indé de Malkmus formé plus tard mais très vite arrivé à une certaine notoriété. Berman s'est peu à peu affranchi de l'image de leader de "l'autre groupe de Malkmus" en affirmant un style musical très personnel basé sur son talent de parolier.






Pour résumer, Berman, Malkmus et Nastanovitch se produisent d'abord sous le nom Ectoslavia, un groupe déconneur et peu ambitieux qui fréquente l'Université de Virginie, avant d'emménager ensemble dans un appartement de New York où le projet sera rebaptisé Silver Jews. Pavement connaît alors un succès aussi inattendu que mérité et Nastanovitch rejoint bientôt le groupe de Malkmus pour remplacer l'alcoolique Gary Young à la batterie (pour l'anecdote un autre ami batteur, Steve West, est également présent dans les deux groupes à cette période). Les Silver Jews passent à un second plan mais persévèrent sous l'impulsion et la créativité de David Berman (chant et guitare) et sortent deux EPs en 1993 sur le label Drag City, "Dime Map Of The Reef" puis "The Arizona Record", tous deux extrêmement lo-fi. Malkmus et Nastanovitch ne sont alors crédités que sous des alias pour éviter toute comparaison avec Pavement, en vain...






STARLITE WALKER
1994
C'est après de nombreux contretemps que ce premier album voit enfin le jour. "Starlite Walker" est heureusement enregistré dans de bonnes conditions et sans aucun complexe par le trio d'origine. David Berman impose son chant laconique et ses textes singuliers sur un mélange de country et de rock indé peu semblable à l'univers de Pavement si ce n'est par le charme désinvolte qui s'en dégage, sans parler de l'évidente présence de Malkmus en tant que guitariste et co-vocaliste occasionnel. Un début un peu déglingué mais captivant qui affirme la personnalité de Berman tout en conviant une certaine chaleur et un côté "disque entre potes" très sympathique.






THE NATURAL BRIDGE
1996
Sans doute encouragé par de prometteuses études littéraires, la publication remarquée de ses poèmes et la réception positive du premier album, David Berman montre davantage de confiance et d'ambition personnelle sur "The Natural Bridge". La production est paradoxalement plus acoustique et lo-fi que celle de "Starlite Walker", et les vieux compères Malkmus et Nastanovitch sont même poliment priés de quitter le groupe après des sessions peu concluantes (remplacés pour l'occasion par des membres des Radiant Storm Kings et le producteur Rian Murphy). Le résultat est un album d'une profondeur surprenante, où l'humour de Berman se fait plus cynique et ses chansons plus sombres. Musicalement la country prend nettement le pas sur les influences rock mais "The Natural Bridge" est indéniablement l'oeuvre d'un songwriter décidé à donner une dimension supérieure à sa musique, ce qu'il parvient à faire avec des textes très riches et des atmosphères travaillées. "How To Rent a Room", "Black And Brown Blues" ou encore l'étonnante incursion post-punk "The Frontier Index" font partie des moments forts d'un disque moins accessible mais certainement plus abouti que son prédécesseur.






AMERICAN WATER
1998
Assez logiquement considéré comme le meilleur album du groupe, "American Water" représente une symbiose parfaite entre la nonchalance de "Starlite Walker" et la consistance de "The Natural Bridge", abandonnant au passage les maladresses lo-fi pour une production plus élaborée. Stephen Malkmus réintègre le groupe qui est cette fois complété par les érudits Mike Fellows, Tim Barnes et Chris Stroffolino, de fins couteaux qui apportent un sens du détail très bénéfique à l'ensemble. Berman n'est pas en reste puisqu'il livre quelques-unes de ses plus belles chansons, comme l'exquise "Random Rules" qui ouvre l'album, une perle tendre et poignante qui mérite bien sa place dans tous les tops indés des années 90. À l'instar de "Starlite Walker", ce disque récupère un bel équilibre entre influences country, pop et rock et Malkmus s'y montre particulièrement à son avantage en tant que guitariste, délaissant les excentricités de son travail avec Pavement pour une approche plus linéaire qui préfigure les belles envolées mélodiques de sa future carrière solo. Le groupe atteint enfin une sorte d'apothéose entre ambitions littéraires et finesse musicale.






BRIGHT FLIGHT
2001
Les Silver Jews déménagent à Nashville et enregistrent "Bright Flight" sans Stephen Malkmus, peut-être trop occupé par ses propres ambitions musicales. Son absence se fait sentir sur cet album plus conventionnel mais Berman parvient à refaire le coup de "Natural Bridge" en rassemblant une dizaine de chansons intimes aux accents très country, sans pour autant revenir au son lo-fi des débuts ou abandonner les talentueux musiciens d'"American Water". Sa compagne Cassie Marrett rejoint le groupe en tant que bassiste et co-vocaliste sur quelques titres, une présence féminine qui renforce l'esthétique folk de la musique et apporte une certaine légèreté: "Tennessee", chanson aussi cucul qu'accrocheuse, représente bien cette évolution vers une écriture plus traditionnelle et évoque de grands duos country à la Gram Parsons/Emmylou Harris. On peut parfois déplorer des absences de rythme et de relief, mais "Bright Flight" est un disque chaleureux, très personnel et agréablement bavard qui révèle toutes ses qualités avec le temps. Hélas, son caractère moins spontané et l'inévitable comparaison avec "American Water" lui donnent des allures trompeuses de semi-échec.






TANGLEWOOD NUMBERS
2005  
Berman traverse une période difficile sur fond de dépression et de drogues (on parle même d'une tentative de suicide) mais contrairement à ce qu'on pourrait attendre cela n'affecte pas outre mesure les textes de "Tanglewood Numbers", un album en partie confessionnel qui propose un changement de son assez radical et une approche plus rock. La country des albums précédents est encore palpable mais la sensation d'intimité est gommée par une production plus musclée et des morceaux plus rapides et électriques. Le groupe prend des allures de collectif musical avec les retours de Malkmus et Nastanovitch, même s'ils restent plus discrets qu'auparavant, et l'on note également les participations de Will Oldham, Paz Lenchantin et de nombreux autres musiciens. Toujours secondé par sa femme Cassie Marrett au chant, le Silver Jew en chef se montre plus versatile qu'à l'accoutumée mais en dépit de ses efforts la placidité souveraine de son style vocal en prend un coup et la finesse de ses paroles est quelque peu submergée par les arrangements et le volume des instruments. Une nouvelle génération de fans et de critiques semble apprécier ces changements tandis que les nostalgiques se prennent à regretter l'ambiance plus douillette des premiers albums, sans pour autant se montrer excessivement déçus par ce disque bien équilibré.






LOOKOUT MOUNTAIN, LOOKOUT SEA
2009
Cet ultime album est sans doute l'un des meilleurs de la discographie des Silver Jews, une oeuvre à part qui illustre une évolution à la fois cohérente et inattendue par rapport aux origines et aux caractéristiques du groupe. La transition entamée avec "Tanglewood Numbers" vers un son ambitieux et des textures complexes est ici magnifiquement aboutie, d'une façon sous-entendue et délicate qui ne fait pas de "Lookout Mountain, Lookout Sea" le disque le plus immédiat de Berman mais certainement sa plus belle réussite en terme d'esthétisme musical. On y retrouve le sens de l'humour et le bavardage littéraire si représentatifs de son style, même si sa voix se fait plus distante dans le mix, comme pour mieux laisser respirer les nuances instrumentales du groupe (un nouvel assemblage de musiciens ayant tourné avec les Silver Jews depuis 2005, sans Malkmus et la pléthore d'invités du disque précédent). De bons parti pris qui permettent d'éviter la redite et qui emmènent la musique vers un territoire plus classique, quelque part entre les narratives ésotériques de Neil Young, la sensibilité de Leonard Cohen et la fantaisie de Bob Dylan (toutes proportions gardées). Certaines chansons comme "We Could Be Looking For The Same Thing" prennent même l'allure de vieux tubes country-rock oubliés, et pour la première fois les Silver Jews subliment leur pédigrée indé-DIY tout en conservant une certaine excentricité. Une belle façon de dire au revoir.






Personne n'a vraiment compris les raisons troublantes de David Berman à l'heure de mettre fin à ce groupe prometteur et en constante évolution, conclusion abrupte et confuse d'une carrière musicale de plus en plus plébiscitée. Nombreux sont les fans qui espèrent un éventuel retour des Silver Jews sous une forme ou une autre et l'on imagine sans peine que cet intérêt ne fera que grandir suite à un parcours aussi original et consistant.

Pour les plus curieux d'entre vous n'hésitez pas à chercher le documentaire retraçant une partie de l'histoire du groupe et les doutes existentiels de Berman, "Silver Jew", ou à visiter son excellent blog, un havre d'intelligence, de poésie et d'anecdotes musicales comme cet hilarant échange d'e-mails entre Stephen Malkmus et lui (le leader de Pavement tentait de trouver un titre pour son album de l'an dernier, "Mirror Traffic"). Plus récemment une compilation des tout premiers titres enregistrés par les Silver Jews, "Early Times",  est sortie sur le label Drag City... un disque réservé aux fans purs et durs, bien entendu:



    
Silver Jews - EARLY TIMES Promo from Drag City on Vimeo.



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