mercredi 14 novembre 2012

Swell: rétrospective






Cette troisième entrée dans la série "Discographies" est l'occasion de se pencher une fois de plus sur un groupe injustement condamné à l'obscurité, plus encore que Swervedriver et d'une façon certainement plus cruelle. Durant plus de vingt ans d'existence Swell a oeuvré dans l'ombre, sans le moindre tube radio et oublié de tous les "historiens" du rock alternatif des années 90. Une honte si l'on prend en compte leur dimension de pionniers, et un authentique scandale lorsque l'on contemple leur magnifique répertoire.

Si leur histoire vous intéresse n'hésitez pas à vous procurer pas moins de sept albums offerts généreusement par la tête pensante du groupe, David Freel (donations acceptées et amplement méritées). Trois albums de Swell (les deux premiers et le dernier en date), deux compilations de raretés et deux albums "solo" sortis en 2009 et 2010. De quoi se familiariser avec la musique du californien.





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SWELL
1990
Formé en 1989 à San Francisco, le groupe est d'abord constitué du noyau dur David Freel/Sean Kirkpatrick (chant et guitare/batterie). Le duo pose immédiatement les bases stylistiques de Swell, un rock alternatif séduisant, plutôt sombre et mélancolique dont le son âpre sera bientôt assimilé au mouvement lo-fi. À la différence d'autres figures bourgeonnantes de cette scène comme Pavement et Sebadoh, les débuts de Swell sont plutôt bien enregistrés et "propres" compte tenu du peu de moyens dont dispose le groupe en terme de production. On peut même dire que toutes leurs caractéristiques sont déjà présentes sur ce solide premier album, la batterie sèche et syncopée de Kirkpatrick soutenant à merveille le songwriting singulier de Freel qui alterne guitares acoustiques et électriques, rythmes épileptiques et envolées planantes, le tout bercé par un chant suave et détaché d'une grande élégance. Ce n'est sûrement pas un hasard si le groupe donne son premier concert en première partie des éthérés Mazzy Star.





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...WELL?
1992
Auto-produit comme son prédécesseur, "...Well?" ne trahit en rien l'identité musicale établie par Freel et Kirkpatrick malgré l'incorporation du bassiste Monte Vallier et d'un deuxième guitariste, John Dettman, qui ne fera pas long feu au sein de Swell. Le groupe profite néanmoins de ces recrutements et de l'expérience acquise lors des premières tournées pour se montrer un peu plus agressif, plus électrique, et nettement plus entreprenant en matière de composition et de production. Encore une fois, le travail sur les textures sonores et les ambiances est impressionnant en l'absence de vrai budget et de maison de disques ("Swell" et "...Well?" sont sortis sur le label créé par Freel lui-même pour l'occasion, PsychoSpecific). Ce deuxième tour de force vaut au groupe d'être signé par une major.






41
1993
Adoubés du titre très officieux de "next big thing" par un John Peel enthousiaste ("Nirvana is having tremendous success right now, and Pavement is the next big thing; but the next, next big thing might well be Swell"), les californiens sont reçus à bras ouverts par la critique qui couvre d'éloges leur excellent troisième album (sorti sur le label American de Rick Rubin). L'écriture de David Freel atteint une densité et une maîtrise remarquables, revenant à une base rythmique plus acoustique pour mieux mettre en relief les percussions de Kirkpatrick et l'impact tour à tour noisy et ambiant des guitares électriques. Le spleen tranquille du chanteur se démarque du pessimisme forcené de nombreux autres groupes de l'époque, et Swell trouve définitivement un équilibre assez unique entre stoner rock, post-punk et une touche folk omniprésente. Malheureusement, le succès commercial n'est pas au rendez-vous et American/Warner finit par lâcher le groupe alors qu'un nouvel album est déjà enregistré.






TOO MANY DAYS WITHOUT THINKING
1997
C'est après bien des mésaventures et quelques embrouilles légales que Swell réussit à sortir le successeur de "41" sur Beggars Banquet. "Too Many Days Without Thinking" représente une nouvelle progression dans la créativité et la maturité du groupe. À priori les californiens ne révolutionnent pas leur approche mais la production de Kurt Ralske offre un sens du détail, une profondeur et un son plus ambitieux qui sublime les compositions d'un David Freel en état de grâce. Monte Vallier et Sean Kirkpatrick ne sont pas en reste puisque l'un comme l'autre s'emploient à donner une assise rythmique implacable aux chansons, les lignes de basse élégantes et tortueuses de Vallier apportant un contrepoint intéressant aux frappes saccadées et chirurgicales de Kirkpatrick. Un superbe album qui oscille entre slacker pop ("Fuck Even Flow", "At Lennie's"), noirceur désabusée (le single "(I Know) The Trip") et de longues plages rêveuses et atmosphériques ("What I Always Wanted", "Sunshine Everyday").






FOR ALL THE BEAUTIFUL PEOPLE
1998
Peut-être lassé par le manque de succès, Kirkpatrick quitte le groupe. Il est remplacé par le non moins talentueux Rob Ellis qui parvient à imposer un style de jeu plus linéaire sans dénaturer le son de Swell. Son entente avec Monte Vallier, au sommet de sa forme sur cet album, et l'inspiration décidément inépuisable de David Freel font de "For All The Beautiful People" une nouvelle réussite. Si "Too Many Days Without Thinking" conclut brillamment un premier cycle en portant le son des débuts à son paroxysme, ce nouveau disque inaugure une étape plus sophistiquée et expérimentale où l'ambiance prend le pas sur l'écriture plus directe des albums précédents. Aucun titre ne ressort véritablement du lot à la manière de "What I Always Wanted", mais l'immersion dans l'univers désenchanté et pourtant apaisant de Freel est totale. La production, plus détaillée que jamais, utilise le digital à bon escient pour créer des textures inédites dans sa musique, qui prend des allures de plus en plus mystiques. Le groupe livre ainsi une oeuvre cohérente, aboutie, dense et variée. S'il ne fallait en garder qu'un...






EVERYBODY WANTS TO KNOW
2001
Après cinq albums consécutifs de plus en plus captivants la notoriété du groupe reste très limitée et c'est au tour de Monte Vallier de partir pendant l'enregistrement d'"Everybody Wants To Know", le disque le plus expérimental et très probablement le moins populaire de Swell. Désormais seul maître à bord, David Freel sort dans un premier temps un EP prometteur, "Feed", dans la lignée de "For All The Beautiful People", puis cet album décousu et inégal qui recycle la quasi-intégralité de "Feed" sans réellement bâtir quoi que ce soit autour des titres déjà connus. Rob Ellis est remplacé par Rey Washam à la batterie, mais la présence de ce dernier reste anecdotique puisqu'il est supplanté par une boîte à rythme sur plusieurs chansons. D'autre part, les belles interactions basse/batterie des albums précédents ont complètement disparu. Freel sauve les meubles grâce à quelques morceaux inspirés et habilement arrangés (ceux de "Feed", surtout) sans toutefois réussir à faire oublier les absences de Vallier, Ellis ou Kirkpatrick.






WHENEVER YOU'RE READY
2003
Contre toute attente, Sean Kirkpatrick réintègre Swell le temps d'enregistrer un album qui délaisse logiquement les tendances expérimentales des deux disques précédents pour revenir à un son organique plus proche de "41" et "Too Many Days Without Thinking". Le duo d'origine ne ménage pas ses efforts: "Whenever You're Ready" s'étale sur quinze titres, plus d'une heure de musique qui parvient fréquemment à se hisser au niveau des meilleures compositions du groupe. Freel et Kirkpatrick semblent s'amuser comme deux gosses qui explorent sans complexe tous les recoins de leur imagination, et c'est avec une certaine nonchalance qu'ils pondent l'album le plus accessible, mélodique et optimiste de la discographie de Swell. On peut leur reprocher quelques facilités et la présence de titres pas indispensables, mais l'ensemble n'est jamais pesant et représente un contrepied aussi nécessaire qu'inattendu dans l'histoire du groupe.





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SOUTH OF THE RAIN AND SNOW
2007
Le silence radio prolongé suite à la sortie de "Whenever You're Ready" laisse entendre que Swell n'est plus. C'est donc à la surprise générale qu'un nouvel album est annoncé fin 2007, auto-produit comme aux débuts du groupe. "South Of The Rain And Snow" est essentiellement l'affaire d'un seul homme, David Freel ne faisant appel qu'à un seul musicien pour la batterie (Nick Lucero, ex-Queens Of The Stone Age). Contrairement à l'ambitieux mais déséquilibré "Everybody Wants To Know" cet album ne souffre d'aucune maladresse et assume pleinement son caractère intime et personnel. De son propre aveu Freel enregistre selon le principe très lo-fi de ne "jamais superposer plus de trois instruments", une sobriété qui met en valeur la qualité de ces dix nouvelles chansons et rappelle s'il en était encore besoin son indéniable talent de songwriter. Plus folk que jamais, plus touchant qu'aucun autre, "South Of The Rain And Snow" est le classique épuré qui manquait au répertoire de Swell et qui conclut une discographie impressionnante.  






Aux dernières nouvelles, David Freel aurait en tête de continuer Swell. Reste à savoir sous quelle forme et avec quels musiciens. Depuis "South Of The Rain And Snow" on ne peut pas dire qu'il ait été inactif puisqu'il a sorti pas moins de deux albums, l'un sous le pseudo Be My Weapon, en 2009, et l'autre sous l'alias Wendell Davis un an plus tard. Tous deux excellents mais plutôt confidentiels et expérimentaux, moins immédiats que les disques de Swell. Affaire à suivre, donc.






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