jeudi 14 février 2013

My Bloody Valentine: "m b v"







Quoi de plus légitime que d'honorer la St Valentin avec quelques réflexions sur le nouveau disque du groupe de Kevin Shields? Le raz-de-marée critique et populaire provoqué par le retour de My Bloody Valentine a pris une telle ampleur ces derniers jours qu'il semble désormais criminel d'ignorer l'importance historique des anglais. Et dire qu'il y a quelques jours encore l'annonce de ce retour ne récoltait qu'un enthousiasme très relatif... Que s'est-il passé entre-temps et que peut bien receler ce disque de si extraordinaire?

Les vingt-deux ans de silence séparant "Loveless" de "mbv" ont certes grandement contribué à façonner la légende de My Bloody Valentine et à mettre le petit monde sensible des amateurs de pop indé sous pression. L'irruption de l'album sur internet la nuit du samedi 4 février a déclenché une excitation bien compréhensible (oui, je fais aussi partie des très nombreux ringards à s'être empressés de télécharger le truc dès sa mise en ligne, en vain), mais cela n'explique pas entièrement l'accueil dithyrambique de la part de certains médias et le soudain "coming out" d'une telle armée de fans extrémistes (pas de liens, il suffit de se promener sur le gratin des webzines musicaux pour s'en rendre compte).

Loin de moi l'envie de jouer les pisse-froids mais sans me plonger dans une étude ultra-détaillée de "mbv" le contenu du disque n'est pas plus enthousiasmant que celui de "Loveless", et si la vision de Kevin Shields reste unique et souvent fascinante on retrouve également les inégalités et autres complaisances auxquelles le groupe nous avait habitué sur ses deux premiers albums. Évidemment, cela n'enlève rien au caractère "révolutionnaire" de la discographie du groupe, et il faut reconnaître qu'après s'être farci pendant vingt ans des influences "shoegaze" plus ou moins hasardeuses à toutes les sauces une simple écoute de ce nouvel album réaffirme Shields comme un visionnaire qui ne se contente pas de régurgiter une formule toute faite (espérons que les M83 et autres starlettes du genre prendront note et sauront réévaluer leur approche).

En 2013, My Bloody Valentine n'est donc pas une disgrâce ou un anachronisme: c'est déjà une réussite, mais cela ne semble pas satisfaire l'avidité du hipster de base et nous devons nous confronter à une idée reçue qui voudrait nous faire croire que la révolution continue, que Shields est revenu pour tout faire péter. Pire, les deux derniers titres de l'album sont fréquemment désignés comme le point culminant de "mbv", une porte ouverte sur l'avenir et le début d'une nouvelle ère... On parle bien de l'instrumental vaguement tribal "Nothing Is" de 3 minutes et des poussières et de "Wonder 2", morceau expérimental particulièrement noisy et bordélique qui reste noisy et bordélique à l'oreille même après des dizaines d'écoutes. Pour avoir chéri et écouté religieusement les débordements les plus extrêmes de groupes comme le Velvet Underground, les Stooges, Hüsker Dü ou Dinosaur Jr -pour ne citer que ceux-là- j'ai quand même du mal à donner un tel crédit à ces deux titres, et ce malgré toute ma bonne volonté. Et je me demande pourquoi personne n'a crié au génie lorsque Shields a composé et enregistré le titre "More Light" avec JMascis en 2000 pour l'album solo du même nom:







Suis-je en train de parler de l'album ou de l'effet qu'il produit sur un certain public? Voici ma petite théorie, qui vaut ce qu'elle vaut: en-dehors de ses indéniables charmes (la noise-pop tordue et majestueuse de "She Found Now", "Only Tomorrow" et "Who Sees You", les envoûtants détours new-wave de "New You" et "In Another Way"), cet album tant attendu propose essentiellement un son authentique et une conviction artistique inébranlable à une époque où les normes de production tendent vers un perfectionnisme cache-misère, un recours parfois outrancier à la technologie, une mise en forme toujours plus sophistiquée et uniforme. Tout le monde "sonne" un peu pareil de nos jours et l'on distingue de moins en moins un groupe d'un autre entre tous ces Foals-Klaxons-Friendly Fires-Bloc Party, un phénomène qui ne date pas d'hier mais qui tend à s'accentuer. Pour toute une génération habituée à entendre du shoegaze et de la saturation en haute définition, le son analogue et provocateur de "mbv" est une véritable claque. Pour les plus vieux ou les plus érudits c'est une sorte de madeleine de Proust, un parfum rassurant, un disque barré mais organique qui remet les contours flous et une certaine idée du romantisme au goût du jour. Est-ce que "mbv" sonne rétro ou est-ce que "Loveless" a subitement pris un coup de jeune? Optons pour la deuxième réponse. Les fans et critiques transis qui encensent actuellement My Bloody Valentine semblent souvent plus amoureux du concept que de la musique.

Non, My Bloody Valentine n'a pas réinventé l'eau chaude avec cet album, mais c'est justement le refus de livrer un produit fini selon les critères esthétiques modernes qui rend ces morceaux si singuliers dans le contexte actuel et qui permet au groupe de surclasser tous ses imitateurs, comme on a pu l'observer avec la fascination pour d'autres disques mythiques aux productions sous-développées tels que le "Machina II" des Smashing Pumpkins. D'un côté, les suiveurs à l'apparence cartoonesque et de l'autre, les originaux. Les purs et durs.

Malgré le côté parfois irritant du personnage, on ne peut que se réjouir du choix de Kevin Shields d'avoir sorti "mbv" en autonome et d'être resté intransigeant jusqu'au bout. Vous me direz que Radiohead ceci et machin-chose cela, mais Shields ne nous vend pas une réinvention bidon ou une version 2.0 du son de My Bloody Valentine et il s'en sort avec la satisfaction de donner une suite cohérente aux lointains "Isn't Anything" et "Loveless". Il n'est évidemment (et heureusement) pas le seul musicien à poursuivre un idéal de cette sorte, mais ce retour tant anticipé donne une répercussion inhabituelle à sa démarche. Si les gens s'intéressent à une oeuvre aussi radicale et que l'industrie du disque s'en trouve un tant soit peu bouleversée, tant mieux après tout (ok, je rêve). En fin de compte, l'engouement actuel pour ce groupe tient plus à sa personnalité et à ce qu'il représente - une continuité passé-présent crédible et le respect d'une vision - qu'à la qualité de son nouvel album, pas dégueu au demeurant. Maintenant, on attend l'album des La's.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire