lundi 28 janvier 2013

Reprise #3: "Severed Lips"








En attendant la sortie de l'album solo de Tom Morgan, le 4 février, et un éventuel retour discographique d'Evan Dando (restons patients), c'est une petite joie de constater que les deux musiciens se sont retrouvés en Australie comme au bon vieux temps de la genèse des albums "It's a Shame About Ray" (1991) et "Come On Feel" (1993). De façon tout à fait hasardeuse je m'avancerais même à dire que ce retour aux sources du leader des Lemonheads s'inscrit dans la continuité des récentes tournées avec Juliana Hatfield et de ses retrouvailles sporadiques avec d'anciens membres du groupe tels que Ben Deily et Johm Strohm... N'y aurait-il pas derrière tout cela une volonté de sa part de puiser de l'inspiration dans sa propre histoire musicale en vue d'un nouveau disque des Lemonheads? L'hypothèse me semble crédible, même en tenant compte de la personnalité imprévisible de l'artiste.

C'est d'ailleurs un autre ex-Lemonheads, Bill Gibson, qui nous propose cette reprise de "Severed Lips" filmée un peu à l'arrache le 18 janvier dernier. Tom Morgan, assis dans l'ombre avec sa guitare, accompagne discrètement cette version dépouillée et semi-improvisée d'une des toutes premières chansons de Dinosaur Jr, très populaire parmi les fans du groupe. Il s'agit d'une ode romantique timide et désespérée, une remarquable "break-up song" qui reste sans doute l'une des compositions les plus délicates et sensibles dans le répertoire de JMascis. Dando est un interprète idéal pour mettre en valeur ce petit classique, comme toujours très à l'aise et particulièrement captivant dans l'intimité, rendant ainsi un hommage de plus à l'un des groupes les plus marquants de sa génération en compagnie d'un vieil ami.

Pour rester dans la grande famille des groupes et artistes intimement liés au parcours des Lemonheads, n'hésitez pas à écouter la fabuleuse reprise de "Severed Lips" des Blake Babies, une superbe version studio où la sensibilité de Juliana Hatfield fait des merveilles.


La version originale de Dinosaur Jr:






Severed Lips (J. Mascis) 


I wanna help you. 
I sense you're riding pretty low 
I got the feeling 
When your hair hits the ceiling 
And there's something babe 
You oughta know 
I won't cry if you won't buy 
But if were both kinda stumbling 
Maybe I'll say "Hi" 
That's my best 
I never try that much 
'Cos I'm scared of feeling that healing touch 
You gotta get through my maze, and passively test 
'Cos I'm choosing one love to 
Tattoo across my chest 

You know, the time has come 
I ain't gonna fester no more 
Let the world be free of my disease 
I never knew a rubber doll 
Would be so hard to please 
Now I'm reachin out 
One last burst before I retract 
No one will know until I finally let go 
Of the one thing I ain't gonna never get back 

I wanna help you 
Baby, can't you see? 
You're better than my pillow 
'Cos you don't stain so easily, oh no 
You know it's hard just to finally let go 
And leave all the pictures behind 
Hope I brought you some happiness 
I believe I just had to get on 
It just wasn't the world I was hoping to find... 


vendredi 18 janvier 2013

Bonjour Machines: "EP"







Le premier EP des israéliens Bonjour Machines est une belle petite découverte en ce début d'année, un véritable uppercut tout en énergie punk old-school et mélodies dissonantes. Le groupe se démarque du tout venant emo et post-hardcore grâce à un son sec et percutant fort convaincant qui évite les surenchères pas toujours très heureuses des productions actuelles. Le chant désarticulé d'Ilai Ashdot peut surprendre ou rebuter dans un premier temps, sa voix d'écorché vif se situant à mi-chemin entre les vociférations de Johnny Rotten et le fameux "scream" de Kurt Cobain, mais cette approche finit par payer et devenir le principal signe d'identité d'un groupe qui ne laisse pas indifférent. Prometteur, et téléchargeable gratuitement ou pour une modique somme ici.



jeudi 17 janvier 2013

Christopher Owens: "Lysandre"







Les "singer-songwriters" ont toujours fait partie du panorama musical sans que l'appellation veuille dire grand chose (mis à part "auteur-interprète", bien entendu). Dans l'inconscient collectif, le terme ne désigne rien de concret si ce n'est le vague concept d'"artiste solo", avec toutes les idées reçues et faux semblants que cela implique. Lou Reed est-il devenu un authentique singer-songwriter quand il a quitté le Velvet Underground? Peut-on considérer Dylan comme le prototype de la catégorie juste parce qu'il portait sa guitare en bandoulière et se fringuait à sa guise tandis que Lennon et McCartney jouaient encore en uniforme?... 

Voici donc "Lysandre", premier album solo et début officiel de la phase "singer-songwriter" de l'ex-leader de Girls, excellent groupe séparé en juin 2012 après deux albums et un EP largement salués comme le travail d'altruistes du rock alternatif. Comme le veut le cliché, le penchant rock de Girls disparaît presque entièrement et laisse la part belle au côté plus intimiste d'Owens, plus fantaisiste et libre que jamais du reste, mais cet album est à peu près aussi légitime dans son évolution que l'était le "Transformer" de Lou Reed suite au "Loaded" du Velvet Underground. Deux façons distinctes d'être brillant tout en restant soi-même, ou comment survivre artistiquement à un groupe déjà très versatile sans tourner en rond. Rien de bien compliqué pour un singer-songwriter aguerri, en principe, mais on ne compte plus les échecs cuisants ou les fausses réinventions. Parfois le statut de "singer-songwriter" s'avère lourd à porter (en plus de la guitare en bandoulière).

Plus qu'une rupture ou une réinvention, "Lysandre" s'impose comme une évolution naturelle à défaut d'établir une direction claire pour les futures créations de son auteur. C'est aussi la confirmation de ce qu'on soupçonnait de plus en plus: Owens régnait presque sans partage sur son ex-groupe, qui n'a jamais réussi à se consolider autour de membres permanents en-dehors de son acolyte JR White. Si l'on était inconsolable lorsque Girls s'est séparé, il y a peut-être de quoi se réjouir aujourd'hui en réalisant qu'un "vrai" singer-songwriter tenait la baraque à lui tout seul. Mais revenons-en au disque. Owens est du genre à surprendre tout en restant cohérent, et ses choix sont ici à la fois farfelus et exécutés avec intelligence, comme ce leitmotiv musical joué à la flûte en introduction, à la manière d'un ménestrel, puis repris à outrance tout au long de l'album et interprété par différents instruments selon les variantes stylistiques des chansons. On a beau se faire à l'idée, chaque nouvelle intervention du thème est aussi saugrenue qu'évidente et nous replace dans la narrative du disque. En effet, "Lysandre" propose une histoire continue que l'on pourra qualifier d'autobiographique, comme à peu près tout ce que nous a chanté Owens jusqu'à présent. C'est en tout cas l'inévitable impression que nous laisse la sensibilité à fleur de peau du chanteur.

Le développement de ce conte moderne semble retracer les débuts de Girls et une histoire d'amour en parallèle, mais cette approche ne se fait aucunement pesante puisque les dix titres et deux ou trois interludes ne dépassent pas la demi-heure. D'un point de vue musical on reste fermement dans un éventail d'influences légères entre pop et folk, une touche latine sur "Riviera Rock" en prime. Le caractère sincère et désuet de l'ensemble fait souvent penser aux confessions romantiques d'un jeune Leonard Cohen ou à Jonathan Richman, autre grand sentimental, tandis que le groove et les cuivres de titres comme "New York City" et "Here We Go Again" sont indéniablement dans la lignée du "Rock n' Roll Heart" de Lou Reed, la causticité en moins. Autant s'arrêter là dans le jeu des références, car Owens se montre comme à son habitude particulièrement dégourdi et malin à l'heure d'intégrer une multitude d'éléments éclectiques et disparates dans ses compositions. Retenons simplement que le tout baigne dans une humeur douce-amère qui tourne le dos aux tendances maniaco-dépressives du dernier disque de Girls "Father, Son, Holy Ghost": pas de "Vomit", et encore moins de "Die" en vue.  

"What if I'm just a bad songwriter and everything I say has been said before?" se demande-t-il sur "Love is in the Ear of the Listener", le genre de jolie petite ritournelle typiquement Owensienne qui ferait passer n'importe quel autre interprète pour un comique, volontaire ou non. Le charme de "Lysandre" réside justement en grande partie dans cet équilibre fragile et dans la capacité de son auteur à convier en toute franchise les émotions les plus simples sans craindre le ridicule, une mise à nue déjà mille fois observée du temps de Girls mais qui continue de porter ses fruits. Cette petite demi-heure de musique s'avère peut-être un poil trop succinte et semble peu consistante suite au plus robuste "Father, Son, Holy Ghost" (même l'EP "Broken Dreams Club" de 2010 est plus long) mais cette critique paraît bien futile devant la vitalité de l'artiste et de ses chansons. Pour un premier album solo l'assurance d'Owens est bluffante et "Lysandre" est un vrai plaisir pour les oreilles, arrangé avec goût et élégamment produit. Autrement dit c'est le travail d'un singer-songwriter dans le sens noble du terme, l'un des meilleurs du moment, ou du moins l'un des plus candides et originaux.


      



lundi 14 janvier 2013

Tube oublié #3: "Everything Flows"







Ce petit hommage à "Everything Flows", tube plus mineur que réellement oublié, est d'abord l'occasion de signaler qu'un nouvel album de Teenage Fanclub est à prévoir pour 2013, année décidément riche en promesses musicales. Puisque nous reviendrons bientôt sur la musique et la carrière du groupe, inutile de s'étendre trop longtemps sur une analyse de ce tout premier single sorti en 1990 peu avant l'explosion du grunge et tout à fait dans la tendance indé de l'époque, entre démesure noisy à la My Bloody Valentine et évidence mélodique préfigurant l'épopée britpop des années 90.

Les écossais se sont peu à peu fait connaître pour la finesse de leur power pop, influencée en grande partie par Big Star, mais leur premier album ne laissait pas forcément deviner cette évolution: en effet, "Everything Flows" est le titre le plus accessible sur "A Catholic Education", disque dont le ton pessimiste et les relents métal et grunge sont assez loin de l'idée qu'on peut se faire de Teenage Fanclub aujourd'hui. Pas d'harmonies délicates, peu de refrains mémorables et un son uniformément lourd et crade rappelant davantage la scène indé américaine de l'époque que le rock alternatif sautillant des Stone Roses, Happy Mondays ou Primal Scream.

Autant dire qu'"Everything Flows" est un véritable rayon de soleil sur ce disque, un tour de force qui mérite encore largement sa place sur n'importe quel best of du groupe (ou des années 90 d'ailleurs, je ne crois pas exagérer). Le thème est bâti autour d'une somptueuse suite d'accords répétée inlassablement tout au long des 5 minutes de la chanson, qui finit bien évidemment par prendre des dimensions épiques. Pour l'essentiel, c'est un impeccable exercice de roue libre qui trahit l'influence de Neil Young et nous renvoie donc directement à son disciple grunge JMascis, autre grand spécialiste des envolées de ce genre (il a d'ailleurs repris "Everything Flows" de nombreuses fois avec un évident savoir-faire).

Ce premier single est étrangement isolé dans la discographie des écossais qui ne sont ensuite plus jamais revenu vers ce type de composition, même s'ils ont encore flirté avec le son grunge le temps d'un second album, le classique "Bandwagonesque", marquant par ailleurs le début de l'influence des Byrds et de Big Star sur leur musique. Aujourd'hui encore certains groupes tentent de pondre des petits chefs d'oeuvre de cet acabit album après album, en vain. Teenage Fanclub en a réussi un du premier coup et s'en est allé vers d'autres horizons, ce qui ne fait qu'ajouter au charme de ce morceau d'anthologie.


samedi 5 janvier 2013

What the Beck are you doing?







Attention: ceci n'est pas une chronique. Beck nous a certes présenté il y a quelques semaines un recueil de nouvelles chansons plus de quatre ans après son dernier disque, le très digne "Modern Guilt", sous la forme d'un album livret très élégant. L'objet propose un "artwork" soigné ainsi que les paroles et partitions complètes de chaque chanson, mais pas de musique... ou si vous préférez, aucun moyen d'écouter les chansons interprétées et jouées par Beck. Pas de téléchargement ou de "vrai" album à venir, et c'est là tout le concept: profitez de cette occasion inespérée pour donner vie vous-même à ces nouvelles oeuvres, et vous aurez même droit à un petit quart d'heure de gloire si vous postez votre démo sur le web.

Vous ne savez pas lire la musique et n'avez jamais joué d'un instrument? "Dommage pour vous" semble dire un Beck hautain à ses fans... oui, Beck Hansen, l'apôtre des losers. De quoi s'agacer s'il décide de commercialiser ses propres versions à l'avenir, car jusqu'à aujourd'hui les musiciens sortaient d'abord un disque et seulement ensuite un livre de partitions pour les mordus ou les musiciens en herbe. Aurait-on affaire à un petit malin tentant d'inverser ce schéma tout en passant pour un esprit novateur?...

Qu'une chose soit claire: j'ai toujours adoré la musique de Beck, depuis ses débuts lo-fi foutraques jusqu'aux développements plus prétentieux de ces dix dernières années, et les histoires de scientologie autour du personnage m'ont toujours laissé de marbre. Cela ne nous... regarde pas, comme dirait l'autre. Idem pour les ambitions de plus en plus avant-gardistes de l'artiste, qui a enchaîné une décennie spontanée et vivante avec une deuxième décennie plus calculée et taciturne, mais pas dépourvue d'intérêt. Peut-être avait-il en tête de continuer à surprendre?... En tout cas, le doute persiste.

Quoi qu'il en soit, et à première vue, le site songreader.net semble confirmer qu'une multitude de pèlerins est déjà venue se jeter aux pieds de l'idole à l'aube de sa troisième décennie de créativité, nouvelle étape de sublimation artistique. Oui, beaucoup de gens ont relevé le noble défi lancé par Beck, et étant moi-même un musicien raté, artiste warholien et star du rock dans une vie parallèle j'ai écouté avec une certaine curiosité l'ensemble des contributions apportées à ce jour, histoire d'entendre les nouvelles chansons mais aussi dans le but secret de me marrer un peu. Comme prévu, il y a vraiment beaucoup de daube, quelques trucs qui font pitié, des pertes de temps, et même des grecs. Autant dire que les quelques dizaines de candidats font souvent figure d'âmes perdues venues chercher un échantillon de gloire au rabais sur un programme télé de seconde zone (on dirait une vieille chanson de Beck, tiens).

Parmi cette masse informe de liens Soundcloud et de vidéos anecdotiques sur YouTube, il y a tout de même des versions qui valent le coup. Si comme moi vous avez encore un semblant de curiosité pour l'oeuvre de Beck n'hésitez pas à jeter une oreille sur le stream intégral de "Song Reader" interprété par le compétent mais très mièvre Portland Cello Project. Dans l'ensemble, on peut dire que "Song Reader" s'appuie sur le penchant folk de Beck et les compositions rappellent essentiellement la période "Mutations" et sa cousine dépressive "Sea Change".

La chanson la plus reprise sur le site "songreader" est de loin "Old Shangaï", dont même les versions les plus douteuses laissent un arrière-goût agréable (avec un minimum d'imagination, évidemment). Plusieurs autres titres bien écrits laissent penser que Beck aurait pu se contenter de sortir un album dans le plus simple appareil, c'est-à-dire en interprétant lui-même, Johnny Cash-style, ce qui semble être une jolie collection de chansons: "Don't Act Like Your Heart Isn't Hard", "Saint Dude", "Do We? We Do", "Just Noise", "Please Leave a Light On When You Go" ou encore "Title Of This Song", indices que toute flamme n'est pas morte chez ce songwriter. Bien au contraire.



Petite sélection de versions intéressantes qui rendent la "désincarnation" de Beck plus que frustrante:
















jeudi 3 janvier 2013

Sleeping Bag: "Women Of Your Life"







On le sait, une liste d'albums n'est jamais définitive et comme tous les ans il faudra revenir plus d'une fois sur des "petits" disques sortis en catimini et découverts en retard qui auraient peut-être mérité une mention dans les tops de l'année précédente, ou du moins un peu plus d'exposition.

Le deuxième album de Sleeping Bag, trio originaire de l'Indiana, a vu le jour il y a un peu plus d'un mois sur le label Joyful Noise et propose un sympathique rock alternatif entre esthétique garage et attitude "slacker" à la Pavement. Ce serait dommage de laisser passer un tel groupe (on l'avait déjà ignoré en 2011 à l'époque d'un recommandable premier disque), surtout si l'on garde une certaine tendresse pour l'épopée indé lo-fi des années 90 et la résurgence garage de la décennie suivante, deux mouvements très similaires dans l'esprit. Dave Segedy et ses acolytes combinent avec aisance l'un et l'autre, mais il faudra sans doute surmonter l'impression initiale d'être en train d'écouter un groupe paresseux et peu ambitieux qui se contente de ressasser de vieux schémas éculés.

Passé ce cap, "Women Of Your Life" a largement de quoi séduire, de la même façon que le premier Best Coast ou plus récemment Yuck avaient réussi à nous arracher des sourires et s'installer fermement sur nos platines. Sans atteindre les sommets d'originalité d'un "Crooked Rain, Crooked Rain" ou évoquer la coolitude branchée d'un "Is This It" (tant mieux car c'est là tout le charme indolent et hirsute du trio) les bien-nommés Sleeping Bag nous livrent une dizaine de chansons pour lève-tard débraillés, toujours pas rasés ou douchés à cinq heures de l'après-midi mais qui finissent malgré tout par imposer une belle efficacité pop sur une bonne partie de cet album.

Si Dave Segedy chante d'une voix amorphe sur l'ensemble des titres (il se contente même de siffloter sur les couplets du charmant "Walk Home"), les compositions font souvent mouche et sont exécutées avec un certain aplomb grâce à des guitares bien senties, une solide assise rythmique et quelques harmonies ensoleillées ("Soccer Ball" représente bien le mélange d'adresse et de nonchalance du groupe, entre autres chansons tout aussi réussies). En somme, plus on écoute "Women Of Your Life" et plus le brouillard se dissipe: non, ce n'est pas l'album de nos vies mais on aurait tort de le sous-estimer juste parce que les mecs de Sleeping Bag ne cherchent pas à impressionner et ont des gueules qui ne nous reviennent pas. Glander est tout un art après tout, et ce trio s'y emploie de fort belle manière.