Ladies and gentlemen, 2012 touche à sa fin et il est temps de vous proposer le top Maelstrom de l'année tout en vous souhaitant un agréable réveillon et une excellente nouvelle année. J'aurais bien voulu épiloguer sur le bel apport musical de ces douze derniers mois mais une deuxième bouteille de Veuve Clicquot ouverte prématurément en aura décidé autrement (pas de souci, il nous reste du Vranken et du Cava catalan à foison). Voici donc mes albums préférés du cru 2012, une quinzaine de disques voués à la postérité et donc chaudement recommandés.
15. THE LIMIÑANAS - CRYSTAL ANIS
"Crystal Anis" consolide l'identité des Limiñanas après des débuts remarqués, et le charme fou de titres en technicolor tels que "Salvation" ou "Belmondo" justifie tout l'intérêt que l'on peut porter à ce groupe perpignanais déjà culte outre-Atlantique. Un étonnant brassage d'influences éclectiques exécuté avec une certaine dose d'humour et de personnalité, entre garage rock et second degré pop évoquant le Gainsbourg de la fin des années 60. De l'alternatif frenchy excentrique et cultivé comme on aimerait en entendre plus souvent.
14. TY SEGALL - TWINS
Voilà un p'tit gars qui rocke comme on aime, tout débraillé et avec un sens de la mélodie facile, apparemment ravi que ses disques soient tous sous-produits et bordéliques. Le prochain sonnera sans doute pareil et rien que cette année il y en a eu trois, ce "Twins" angélique et son jumeau diabolique, "Slaughterhouse", ainsi que "Hair" sorti sur Drag City. L'influence de Jay Reatard peut paraître évidente mais il serait plus judicieux de parler d'influences communes. On trouve aussi des parallèles avec les premiers disques des White Stripes ou des Vines et un côté Beatle de poche qui serait presque irritant si le morveux n'était pas aussi fichtrement doué. Le genre de petite tuerie à écouter à plein volume.
13. THE SOFT PACK - STRAPPED
En 2010 les Muslims avaient troqué leur nom controversé mais plutôt cool pour The Soft Pack, et leur premier/deuxième album (un vrai bordel du coup) illustrait bien ce changement vers une apparence plus polie: le garage rock vicelard et plein d'attitude des débuts est devenu sympathique et bien produit, plus proche de la gentillesse des Modern Lovers que du cynisme des Stooges. Un disque suffisamment bon pour ne pas trop décevoir mais qui nous présentait un groupe en-dessous de son potentiel. "Strapped" confirme que l'on ne retrouvera probablement jamais ces adorables petites teignes de Muslims mais cette fois on ne s'en plaindra pas puisqu'ils réussissent à altérer leur son et varier leurs influences de façon très convaincante. Les californiens ont de toute évidence bossé d'arrache-pied pour intégrer des éléments plus 70's, voire post-punk à leur musique, et si Matt Lamkin n'est pas la petite frappe subversive qu'on pensait tenir il y a quelques années (une espèce décidément en voie de disparition dans le rock), la coolitude de son style vocal et sa capacité à pondre de bons petits tubes demeurent intactes.
12. BOB DYLAN - TEMPEST
Placer Dylan dans ce genre de classement est une manoeuvre toujours délicate. Le simple fait de juxtaposer son nom à ceux de petits jeunots en début de carrière, aussi talentueux soient-ils, paraît à la fois dénué de sens et un peu cruel pour lui. Ça fait bien vingt ans que le mec n'arrive plus vraiment à chanter, qu'il persiste comme une vieille mule à nous resservir un rhythm and blues dérivatif pas toujours très inspiré, et "Tempest" ne fait rien pour changer la donne. Pourtant il y a bel et bien un charme particulier qui se dégage de la période "troisième âge" de Dylan, [insérez ici une belle métaphore sur la vieillesse et l'expérience]. Pas le temps de disserter sur la richesse des textes et les qualités de son groupe mais on retrouve un Bob en très grande forme ("it's soon after midnight/and the day has just begun") et aucune panne d'essence musicale n'est à signaler jusque vers la fin de l'album, un enchainement un peu balourd de titres fleuves de 8,10 et 14 minutes (ça marchait il y a 45 ans avec "Sad Eyed Lady Of The Lowlands" ou même en 1998 avec "Highlands" mais là...). Pour le reste rien à redire, Dylan tient son rang de songwriter de haut vol avec un charisme et une profondeur qui n'appartiennent qu'à lui, même déconfit. S'il avait su conserver l'intensité des premiers titres au lieu de se retrancher dans des rêveries littéraires pas désagréables mais peu captivantes, "Tempest" serait aux premières places de ce top. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le bonhomme est coriace.
11. TIM ROGERS - ROGERS SINGS ROGERSTEIN
Cet album solo du leader de l'excellentissime groupe de rock You Am I n'a rien d'inaccessible mais il est évident que sa nature introvertie et mélancolique, plus roots musicalement parlant (on oscille entre folk et blues) prend une saveur particulière si l'on sait apprécier la versatilité de l'auteur. Inspiré par des beuveries nocturnes avec son pote Rogerstein, Tim Rogers nous offre une tournée supplémentaire pour nous parler de tout ça à sa manière sur un disque remarquable qui n'est pas sans rappeler la période où les Stones fricotaient avec la country sensible de Gram Parsons. Un type qui gagne à être connu.
10. FIELD MUSIC - PLUMB
La musique des frères Brewis ne sera peut-être pas du goût de tout le monde mais "Plumb" représente une certaine idée de l'avant-gardisme pop dans toute sa splendeur. La preuve irréfutable que l'on peut intellectualiser sans emmerder et émouvoir avec retenue, sans nécessairement utiliser des harmonies vocales en permanence (l'influence Beach Boys a bon dos mais elle nous a quand même valu une génération entière de chanteurs abominablement chiants). Les anglais de Field Music ont mûri et savent enfin recycler de vieux schémas pop de façon brillante en évitant de se complaire dans le bizarre ou la démonstration technique - cet album est presque un exercice de style en la matière - et si "Plumb" prend du galon avec les écoutes il n'en demeure pas moins immédiat, presque trop concis même (plusieurs titres mélodiquement imparables sont avortés au bout d'une ou deux minutes), avec en prime une très belle narrative qui relie le tout sans tomber dans un concept encombrant. Je n'ai pas entendu de plus beaux arrangements en 2012.
9. GAZ COOMBES - HERE COME THE BOMBS
L'absence de Supergrass dans le panorama musical actuel fait partie de ces petites disgrâces que tout amateur de bonne pop indé made in England se doit de surmonter avec dignité. C'est dire si les "bombs" de Mr. Coombes auront eu un effet revigorant sur les fans du groupe cette année, d'autant plus que le disque évite l'auto-parodie et propose beaucoup plus qu'une simple tentative de resservir du Supergrass en mode solo. Un album passé un peu inaperçu mais plein de caractère, à la fois familier de par l'identité de son auteur et rafraichissant si l'on considère les différentes directions prises, pop, rock ou electro, avec toujours la même vitalité et un imperturbable savoir-faire.
8. TINDERSTICKS - THE SOMETHING RAIN
Les Tindersticks, c'est la classe. Classe dans le sens "raffiné", mais aussi dans le sens "pudique". Les illustres vétérans anglais vivent et enregistrent pépères au fin fond de la pampa en Creuse (dans mon Limousin natal) et balancent de superbes disques en toute discrétion. "The Something Rain" séduit au détour d'influences jazz, de narratives complexes et de développements mélodiques subtils, avec comme toujours la voix élégante de Stuart Staples en point d'orgue (sauf sur le premier titre marathon, excellent au demeurant). De la musique adulte, même si l'expression est un peu moche, ou si vous préférez un disque de pop ambiante qui n'insulte pas l'intelligence.
7. BEST COAST - THE ONLY PLACE
Le deuxième album du groupe de Bethany Cosentino fait partie des invités surprise de ce top, "The Only Place" ne m'ayant laissé à première écoute qu'une impression plutôt agréable, sans plus, avant de s'imposer peu à peu comme l'un des grands plaisirs pop de l'année. Un disque tout en rondeurs (comme celles de la charmante Bethany), moins rock n'roll que son prédécesseur mais tout aussi savoureux grâce à ses mélodies douce-amères superbement produites par un Jon Brion décidément très habile. Oubliez les tendances ramoniennes de "Crazy For You", le petit chef d'oeuvre limite lo-fi d'il y a deux ans, et émerveillez-vous devant cette évolution aussi inattendue que réussie vers une écriture plus dense et ambitieuse. Avec deux albums aussi bien foutus sous le coude le futur est prometteur pour Best Coast. Il faut souligner que la demoiselle s'affirme comme une chanteuse exceptionnelle sur cet album, peut-être moins fine que Cat Power ou la grande concurrente hype de l'année, Sharon Van Etten, mais bien plus éloquente dans sa manière de balancer un refrain et surtout bien plus excitante.
6. DINOSAUR JR. - I BET ON SKY
Déjà chroniqué dans ces colonnes, "I Bet On Sky" démontre une fois de plus que l'âge n'est pas forcément une fatalité pour un groupe de rock, à condition bien-sûr de ne pas prendre son public pour des cons et de ne pas essayer de "faire son jeune" quand on a une gueule de revenant. Le fait que Dinosaur Jr n'ait jamais été un groupe glamour joue sans doute en sa faveur à l'heure actuelle mais c'est surtout musicalement que les vétérans donnent la fessée à la concurrence, qu'elle soit encore imberbe (Cloud Nothings) ou rafistolée au botox (Soundgarden). JMascis et ses acolytes assument leurs années sans abandonner les principes qui ont fait d'eux des légendes du grunge et livrent un album à la fois décontracté et très pro, plus ouvertement pop qu'à l'accoutumée mais avec juste ce qu'il faut de sauvagerie à la six-cordes et de jams endiablés pour se réaffirmer comme un groupe bien vivant. Ce n'est pas leur meilleur disque depuis la reformation de 2006 mais il n'en faut pas plus pour leur assurer une digne place dans ce classement.
5. THE SMASHING PUMPKINS - OCEANIA
Il y a plein de choses à dire sur ce monstre marin, mais l'entreprise est épineuse sans une connaissance approfondie de l'histoire des Pumpkins (que je n'ai pas malgré mes cours de rattrapage). J'avais un peu suivi les débuts du groupe mais lorsque "Mellon Collie" a explosé le phénomène m'a complètement échappé en-dehors de ses excellents singles, préoccupé que j'étais par de vieux trucs des 60's ou le punk, mon seul vrai rapport avec le mainstream passant par Oasis et la britpop. Ça ne m'a pas empêché de bien kiffer "Adore" trois ans plus tard mais c'est déjà une autre histoire, et ensuite toute chance de nouer une relation passionnelle avec le groupe a disparu quand "Machina" est sorti, décevant à mes yeux, en tout cas à l'époque. Ce qui fait que je n'ai eu aucun complexe à l'heure d'aborder "Oceania" comme un authentique album des Smashing Pumpkins, me sentant peu concerné par les histoires de line-up et le parcours chaotique des dix dernières années. "Oceania" renoue avec le versant pop dévastateur du groupe, et s'il n'y a pas de "tube" à proprement parler l'ensemble est d'une envergure et d'une qualité mélodique qui casse bien des culs sur la scène actuelle. Corgan, en excellente voix, fait aussi des choix intelligents en terme de production et l'album reste aérien de bout en bout grâce à des textures très fines et détaillées qui donnent envie de revenir vers "Oceania" encore et encore. Petit bémol pour "Quasar" qui démarre l'album d'une façon un peu gauche pas très représentative du reste, mais sinon c'est un album qui envoûte autant sinon plus qu'"Adore", et personnellement je ne peux pas faire de plus beau compliment à ce disque.
4. TAME IMPALA . LONERISM
Ancré dans la vieille tradition psychédélique, "Lonerism" pourrait être injustement critiqué pour sa tendance à recycler le penchant expérimental des Beatles et les classiques de la scène hippie californienne des années 60-70. Des remarques qui n'ont pourtant pas été faites à l'époque d'"Innerspeaker", le premier album naïvement rétro de Tame Impala, un peu trop porté sur du vieux riff et des jams old-school. Avec ce nouveau disque Kevin Parker démontre au contraire qu'il n'est pas seulement un élève appliqué mais un songwriter au talent considérable capable de sublimer les clichés du genre avec des mélodies et des arrangements d'une grande intelligence. Il l'a d'ailleurs également prouvé en produisant la française Melody Prochet sur le très remarqué "Melody's Echo Chamber". "Lonerism" fait ses adieux aux fans de stoner qui n'auront qu'un maigre "Elephant" à se mettre sous la dent et lance un grand bonjour aux amateurs de pop barrée et vintage. À l'heure où pas mal de groupes revendiquent leur psychédélisme à tout bout de champ sans vraiment le démontrer, ou alors de façon très superficielle (Kasabian, Noel Gallagher, c'est pour vous), les australiens de Tame Impala font figure d'authentiques héritiers.
3. JACK WHITE - BLUNDERBUSS
On aimerait bien tourner la page sur le cas Jack White une fois pour toutes, pour différentes raisons que l'on n'énumèrera pas ici puisqu'il faut à nouveau se rendre à l'évidence et le féliciter pour son inspiration. Ex-White Stripes, demi-Raconteur tuant le temps chez les Dead Weather, on ne s'attendait pas forcément à une master-class avec ce premier album solo et pourtant c'est un "Blunderbuss" d'une consistance remarquable qu'il nous a offert, et le pire c'est qu'il n'a même pas l'air de forcer son talent... et pourquoi devrait-il? Tout ce qui nous a toujours séduit chez ce guitariste hors-pair et songwriter chevronné (et bête de scène pour ne rien gâcher) est représenté sur ce disque qui se paie même le luxe de surclasser "Get Behind Me Satan" et le répertoire entier des Raconteurs, pourtant pas spécialement pauvre en grands moments. Du rock n'roll à l'ancienne, certes, mais ça n'enlève rien à l'habileté impressionnante du gaillard, avec en bonus une pointe de maturité émotionnelle qui commence à prendre forme et promet de bien belles choses à venir. Ça devient pénible de devoir encenser Jack White chaque fois qu'il branche un micro mais que voulez-vous...
2. DR. JOHN - LOCKED DOWN
Les vieux sont à l'honneur cette année, mais quand on parle de disques du calibre de Locked Down il est évident que ce retour des anciens dans les classements de 2012 doit plus à la qualité de leur musique qu'à l'envie de leur rendre un hommage hypocrite. Dans le cas du vénérable docteur on pourrait même lâcher des mots comme "résurrection" ou "miracle" tant cet album nous renvoie aux meilleures oeuvres du gourou de la Nouvelle Orléans (mon préféré: "In The Right Place", 1973), un orfèvre du blues et des nombreux autres styles brassés dans la capitale de la Louisiane, pot pourri festif de funk, rock, jazz et R n'B. Ses derniers albums n'étaient pas disgracieux mais il faut reconnaître que la tête pensante des Black Keys, Dan Auerbach, a su donner un tour de main beaucoup plus actuel à la musique de Dr. John, un peu dans l'esprit de ce qu'avait fait Rick Rubin pour Johnny Cash dans la fameuse série des American Recordings. La production rappelle bien-sûr les Black Keys puisqu'Auerbach joue également de la guitare sur les dix titres de l'album, mais sans jamais dénaturer l'univers du montre sacré qui en retour se montre très en forme vocalement et à l'aise comme un poisson dans l'eau dans ce nouvel environnement. Résultat: une petite bombe à la bonne humeur communicative et l'un des disques les mieux torchés de 2012. Qui l'eut cru?
1. THE WALKMEN - HEAVEN
Ben voilà. Gros coup de coeur de l'année et meilleur disque de la carrière d'un groupe déjà responsable d'incroyables démonstrations de talent sur tous ses albums précédents, enfin capable d'exploiter son potentiel émotionnel sur 13 titres consécutifs sans donner des envies de suicide. "Heaven" pour les intimes. Pour les non-initiés il vaut mieux commencer par "The Rat" (2004), l'une des meilleures chansons rock des dix dernières années, l'oeuvre dérangée d'un Bono raté et ivre mort qui hurle sa frustration dans les chiottes d'un bar à putes à quatre heures du matin. Mais ça, c'était avant. Ça n'a sans doute pas plu à tout le monde mais les Walkmen se sont assagis, ont trouvé l'amour et fait des gosses puis écrit de belles chansons romantiques pour raconter tout ça. "Heaven". Sauf qu'on n'est pas des chiffes molles chez les Walkmen, parce que même dans la joie et la plénitude on sait préserver un climat incertain, un sens du doute bien légitime dans cette VDM. Du coup les plus belles déclarations se font douloureuses ("I sing myself sick about you") et tout sentiment reste aléatoire ("tell me again how you love all the men you were after", "baby it's the love you love, not me", "I left you a million times/the irony ain't lost on me"...). Mais tout cela ne vaudrait rien sans de bonnes chansons pour valider le message et c'est évidemment là que le groupe d'Hamilton Leithauser tape très fort: "We Can't Be Beat", "Heartbreaker", "Song For Leigh", "The Love You Love" et "Heaven" font toutes partie du gratin musical de l'année, et le reste est loin d'être dégueu. Entre cet aboutissement artistique et les habituelles influences velvetiennes, l'approche punk sous-jacente et le pédigrée garage new-yorkais (n'oublions pas que trois membres sont issus de Jonathan Fire*Eater, les Strokes avant l'heure), on ne va pas cracher dans la soupe. C'est rock, c'est beau, c'est touchant et ça se chante sous la douche en prenant des poses à la Elvis. Le paradis, quoi.