Un petit mot sur cet enregistrement live disponible depuis peu chez Merge Records pour fêter le 25ème anniversaire du classique "You're Living All Over Me" de Dinosaur Jr. Le concert documenté sur ce disque a eu lieu en 1987 lors de la première tournée européenne du groupe dans une petite salle en Hollande, peu après la sortie de l'album.
Ma recherche de chroniques détaillées concernant "Chocomel Daze" sur le web n'a pas abouti à grand chose, si ce n'est à un lynchage absurde sur le toujours irritant site Pitchfork. L'auteur de la critique semble pour le moins déçu par la mauvaise qualité du son et trouve que le groupe ne jouait pas bien à ses débuts. Sa conclusion: mieux vaudrait sortir un live de la tournée en cours, maintenant que la technologie permet à JMascis, Barlow et Murph d'exhiber leur maturité musicale sur un enregistrement en haute-fidélité. On imagine le mec achevant sa chronique avec un petit air satisfait avant de s'en retourner tout guilleret à sa collection de vinyles de Radiohead.
Inutile de s'étendre davantage sur ces pitoyables arguments et laissons donc l'article de Pitchfork aux maniaques de la définition audio. Il est évident que le seul document live existant (tout du moins à l'heure actuelle) de l'époque de "You're Living All Over Me" rappelle davantage une vieille cassette pirate qu'un album live dernier cri. Sauf que ce petit groupe post-hardcore venait de pondre l'un des meilleurs albums de rock indé des années 80, et c'est là tout l'intérêt de "Chocomel Daze" (baptisé ainsi à cause de la passion du groupe pour une marque de chocolats hollandais).
En toute logique, on ne conseillera pas ce live à ceux qui n'ont pas encore découvert les premiers albums de Dinosaur Jr, plus particulièrement "Dinosaur" et "You're Living All Over Me", tous deux représentés ici. C'est d'ailleurs la timide "Severed Lips" de "Dinosaur" qui débute péniblement le set dans un brouhaha ne présageant rien de bon pour la suite. Mais au bout de quelques instants le son se stabilise, le public se fait moins audible et l'on entend enfin le groupe de façon tout à fait acceptable. Il s'agit certes d'une qualité sonore modeste, mais rien de bien choquant compte tenu des moyens limités du groupe en 1987. Certains se souviendront peut-être avec émotion d'un temps où l'on enregistrait sur cassette les versions live ou sessions exclusives passant dans des émissions radio spécialisées, il y a 20 ou 25 ans. Dans ces conditions, une écoute attentive au casque sera sans doute plus convaincante... mais encore une fois, arrêtons avec ces sottises. Les groupes indés, punk et post-hardcore des années 80 n'étaient pas spécialement réputés pour la qualité immaculée de leurs productions.
"Severed Lips" ne reçoit pas un très bon traitement de la part du groupe qui semble jouer la chanson pour se dégourdir, la tête un peu ailleurs et sans réel souci de soigner la mélodie: Murph alourdit le tempo, JMascis chante d'une voix éteinte et foire le premier solo, volontairement sans doute, et la fin du titre part dans une envolée noisy bordélique certainement destinée à prévenir l'assistance de ce qui va suivre.
Si on aime ce groupe et qu'on est trop jeune pour l'avoir vu sur scène en 1987, difficile de ne pas tendre l'oreille pour récupérer un peu de la magie du moment. N'oublions pas que personne à cette époque n'employait le terme "grunge", et pourtant c'est bel et bien à la naissance de ce mouvement que les gens rassemblés dans cette petite salle étaient en train d'assister. Dès la deuxième chanson, "In A Jar", le doute n'est plus permis, les hostilités sont ouvertes et c'est un redoutable groupe de rock qui se dresse devant - on l'imagine - un public aux anges. Le reste du set n'est qu'une longue montée en puissance qui culmine avec un "Sludgefeast" définitif au moins aussi abrasif que sa version studio remasterisée... à condition bien-sûr de laisser ses vilains préjugés d'audiophile peigne-cul au placard et de remettre cet enregistrement dans le contexte underground auquel il appartient. Au final "Chocomel Daze" est une addition plus que bienvenue au catalogue de Dinosaur Jr, une rareté à ranger aux côtés des recommandables Peel Sessions du groupe, et évidemment destinée en priorité aux fans de longue date comme toutes les sorties de ce genre.
Les sorties récentes des albums de Tame Impala et Melody's Echo Chamber, à un mois d'intervalle, m'incitent à faire un truc peu orthodoxe, c'est-à-dire à combiner deux chroniques en une seule. Non pas que les deux disques soient identiques en tout point mais on ne va pas couper les cheveux en quatre: si on a aimé "Lonerism" de Tame Impala (c'est mon cas) il n'y a aucune raison de ne pas apprécier "Melody's Echo Chamber", pour des raisons plus qu'évidentes.
Dans le cas de Tame Impala, groupe profondément ancré dans la vieille tradition psychédélique, "Lonerism" pourrait être injustement sous-estimé pour sa tendance à réciter le Revolver des Beatles et les classiques de la scène hippie californienne des années 60-70. Des critiques qui n'ont curieusement pas été faites à "Innerspeaker", un premier album naïvement rétro et parfois un peu trop porté sur du riff recyclé et des jams old-school. Avec ce nouveau disque le leader du groupe, Kevin Parker, démontre au contraire qu'il n'est pas seulement un élève appliqué mais un songwriter au talent considérable capable de sublimer les clichés du genre avec des mélodies et des arrangements d'une grande finesse. Les nappes de synthé, la restreinte des guitares et l'aspect déstructuré des morceaux sont peut-être déroutants au début mais c'est un excellent album de pop psychédélique qui se révèle au fil des écoutes. Un disque d'une dimension bien supérieure à la moyenne et sans aucun doute l'un des tout meilleurs de cette année 2012. Adieu aux fans de stoner qui n'auront qu'un maigre "Elephant" (jeu de mot non voulu) à se mettre sous la dent et bonjour aux amateurs de pop barrée et vintage. À l'heure où pas mal de groupes revendiquent leur psychédélisme à tout bout de champ sans vraiment le démontrer - ou alors de façon très superficielle (Kasabian, Noel Gallagher, c'est pour vous) - les australiens de Tame Impala font figure d'authentiques héritiers tout en apportant un son neuf et rafraîchissant.
Et voici qu'après la sortie remarquée de "Lonerism" débarque ce premier album de la française Melody Prochet, compagne de Kevin Parker selon certaines gazettes, même si ce n'est pas vraiment ce qui nous intéresse ici. Ce projet solo a de toute évidence bénéficié de la bienveillance de Parker tant la production et les arrangements sont semblables à ceux de Tame Impala.
Puisqu'il s'agit d'un début, pas facile de discerner la véritable personnalité musicale de Melody Prochet dans un environnement si particulier. Pour autant, ne cédons pas tout de suite au cynisme: dès l'épatant "I Follow You", joli titre pop qui n'a rien d'excessivement "impalien" si ce n'est son fabuleux solo de guitare, il paraît évident que cet album a plus à offrir qu'une simple resucée de "Lonerism". Là où l'album des australiens renvoie à un rock expérimental aussi vieux que le premier trip sous acide de John Lennon, la pop éthérée de "Melody's Echo Chamber" nous ramène plutôt au tout début des années 90, entre les Cocteau Twins et Slowdive, époque d'un shoegaze moins hallucinogène mais tout aussi évaporé. On peut dire que les deux disques ont en commun une sensibilité psyché et rêveuse, mais celui de Tame impala est bien plus abouti et jusqu'au boutiste, ou si vous préférez c'est une drogue plus dure et de meilleure qualité qui provoque davantage de dépendance. C'est d'ailleurs le principal défaut de "Melody...": la première moitié propose un bel équilibre entre efficacité pop et effets impressionnistes avant de se diluer dans un mélange d'influences contradictoires et brouillonnes, sans maintenir l'intensité mélodique du début. Un bon trip qui prend fin trop vite, tandis que "Lonerism" ne se permet aucune baisse de régime et négocie soigneusement chaque transition.
Le premier titre chanté en français, au beau milieu de l'album, est aussi le premier faux pas de la protégée de Kevin Parker, un "Bisou Magique" incongru qui semble être là uniquement pour dire "oh and by the way, I'm french". La bien-nommée Melody se réinvente soudainement en Jane Birkin du début des années 70 pour une chanson exagérément kitsch qui décide de flirter avec une pop désuète déjà 1000 fois revisitée par Air. C'est d'autant plus décevant que l'anecdotique "Endless Shore" nous ramène ensuite au shoegaze anglais initial avant de déboucher sur un autre morceau en français moins cucul mais tout aussi dispensable que "Bisou Magique". La fin du disque est plus cohérente mais c'est un peu trop tard, le tout étant scindé en deux approches bien distinctes qui ne font pas forcément bon ménage. Était-il vraiment judicieux d'ajouter une touche "frenchy" aussi peu subtile et de se risquer au cliché? J'en doute.
Dommage, car Melody Prochet a du charme à revendre et le boulot de Parker est souvent sensationnel. Difficile évidemment de ne pas remarquer son tour de main dans les arrangements utilisés et les effets de production (la guitare planante de la très réussie "Crystallised", les synthés de "You Won't Be Missing That Part Of Me", le mixage de la voix sur "Some Time Alone, Alone"...) mais aussi dans la structure et l'écriture de certaines chansons. C'est en réalisant ceci que je me suis mis à penser au "Live Through This" de Hole, tant soupçonné d'être l'oeuvre de Cobain... mais plutôt que de m'embarquer dans une épuisante théorie je préfère tirer un trait sur ces considérations et abandonner toute forme de polémique: "Melody's Echo Chamber" est un disque plutôt séduisant qui devrait apporter une renommée méritée à Melody Prochet, en France comme ailleurs. Mais il convient de souligner que malgré ses évidentes qualités, ce premier album à la production expansive ne laisse pas assez de place à la spontanéité et l'innocence de la musicienne. Tout semble déjà trop pro, trop calculé, trop clinquant. Un album ingénu déguisé comme un arbre de Noël qui finit par se prendre les pieds dans les guirlandes. Manque de maturité ou ambition excessive, peu importe, on attend quand même la suite avec une curiosité bienveillante.
Pour commencer par un bon vieux cliché je dirais qu'Angel Olsen, c'est d'abord une voix. La jeune américaine de St Louis a ce don de captiver dès qu'elle se met à chanter et ce n'est pas une question de timbre ou de technique, même si le talent et la maîtrise de la demoiselle sont assez exceptionnels. Ce qui est immédiatement frappant, c'est la personnalité et la maturité du chant et cette envie évidente de raconter quelquechose. J'en profite pour citer les mots d'un prof, des mots qui m'ont marqué, il y a déjà pas mal d'années (et pourtant je détestais ce type): "Avec la technique on peut impressionner les gens, mais on ne peut pas forcément les toucher".
Alors que dire de ce second album "Half Way Home"? D'abord, que la musique d'Angel Olsen mérite bien un petit détour du côté de la tradition folk américaine. Le disque, sorti sur le label Bathetic, respire les grands airs champêtres et l'innocence flower power des années 60/70, avec un léger parfum indé-bucolique qui laisse deviner la présence de Bonnie 'Prince' Billy en coulisses. La belle Angel a beaucoup collaboré avec lui ces dernières années mais elle ne semble heureusement pas influencée outre mesure par les encombrantes tendances loufoques et pseudo-mystiques du personnage. Disons qu'elle s'en tient à une réalité personnelle plus simple et fleur bleue, sur une production sobre qui rappelle sans équivoque "I See a Darkness", album considéré à juste titre comme l'un des meilleurs du 'Prince'.
Pour Angel Olsen "Half Way Home" est un pas en avant considérable comparé au très lo-fi "Strange Cacti" de l'an dernier, mais l'ennui guette parfois malgré l'esthétique irréprochable de la musique, la faute à un minimalisme complaisant qui prive souvent les chansons de relief. Instinctivement, on attend de cette sublime voix qu'elle soit soudainement transportée par des harmonies, des choeurs, une section rythmique ou des arrangements soignés mais c'est le contraire qui se produit, et de façon trop systématique. La chanteuse est livrée à elle-même sur une bonne moitié du disque, seule avec sa guitare ou accompagnée de quelques rachitiques notes de basse, ce qui rend l'affaire un peu laborieuse sur la longueur. Pourtant, cette délicate artiste ne fait pas dans le misérabilisme, et les titres les plus "habillés" donnent une toute autre dimension à sa musique - comme par exemple "The Waiting":
Un rien suffit à mettre en valeur la beauté classique de ces morceaux mais hélas, "Half Way Home" confond souvent ce "rien" avec des absences un peu trop radicales. On ne parle pas d'ajouter un orchestre symphonique ou des cuivres au moindre couplet, même si l'on soupçonne Angel Olsen de poser ici les bases de futurs albums beaucoup plus travaillés, mais on peut s'étonner des disparités entre un "Acrobat" tout en intensité qui dissimule de subtils arrangements et un "Always Half Strange" excessivement dépouillé, presque laissé pour compte.
Malgré tout, si l'on prend ce disque tel qu'il a été conçu, avec toutes ses caractéristiques de disque intime et profondément personnel, on ne peut nier la qualité qui s'en dégage. Les comparaisons avec d'autres artistes comme Cat Power ou Feist ne tarderont pas à fuser mais il faut d'ores-et-déjà souligner qu'il n'y a pas d'ambition pop à proprement parler chez Angel Olsen et aucun maniérisme mélodramatique susceptible de faire pleurer dans les chaumières. Le charme rétro de ses intonations et son goût immodéré pour un folk plus traditionnel annonce plutôt l'éclosion d'un talent brut, en dehors du temps, qui se démarque sans effort du tout-venant folk indé. Une belle découverte.
Epic Soundtracks est le curieux nom de scène de Kevin Paul Godfrey, co-fondateur du groupe post-punk anglais Swell Maps à la fin des années 70, puis batteur des Jacobites la décennie suivante aux côtés de son frère Nikki Sudden. Décédé dans des circonstances troubles en novembre 1997, Epic Soundtracks ne s'est pleinement révélé en tant que songwriter que cinq ans plus tôt avec un épatant premier album solo, "Rise Above", avant de sortir deux autres disques de très bonne tenue: "Sleeping Star" (1994) puis "Change My Life" (1996).
Si la reconversion de ce punk excentrique en compositeur-interprète de touchantes ballades en a surpris plus d'un en 1992, une génération entière de groupes lui vouait déjà une sorte de culte pour son passé musical. De Dinosaur Jr à Pavement en passant par Sonic Youth, nombreuses sont les stars de l'underground américain à avoir reconnu son influence, et l'on note d'ailleurs les apparitions de Kim Gordon et JMascis sur "Rise Above". Son amitié avec Evan Dando le conduira à donner quelques concerts avec ce dernier puis à co-écrire "C'mon Daddy" pour l'album "Car Button Cloth" des Lemonheads peu avant sa mort (des versions intéressantes de cette chanson sont présentes sur l'anthologie "Wild Smile", mais je reviendrais là-dessus tout à l'heure).
Avant d'aborder cette nouvelle compilation il faut savoir que deux albums posthumes sont sortis en 1999 et 2006, composés d'inédits et raretés documentant l'inspiration débordante et la sensibilité à fleur de peau d'Epic Soundtracks. Je vous l'accorde, les sorties post-mortem sont en général connues pour leur contenu fourre-tout dispensable et inférieur aux "vrais" albums, mais certainement pas ici... surtout dans le cas de "Good Things", compilé par Nikki Sudden, un album tellement bon qu'il fait souvent penser à un chef d'oeuvre poignant et déglingué dans la veine du "Third" de Big Star, et je pèse mes mots:
"Wild Smile, An Anthology", paru il y a quelques semaines, pourrait faire figure de simple best of. En effet, le premier disque ne fait que rassembler dans un ordre aléatoire quelques-unes des meilleures chansons des cinq albums existants, avec d'évidentes omissions comme "She Sleeps Alone" de "Rise Above" (avec JMascis à la batterie), "Stealaway" de "Change My Life" ou encore "I Got To Be Free" de "Good Things". Rien de criminel, la compilation reste soignée et agréable à l'écoute, mais on ne fait qu'aborder assez superficiellement l'univers du songwriter en discernant çà et là ses influences majeures (John Cale, David Bowie, Brian Wilson, Alex Chilton, bref, des "classicistes" pop plutôt que des punks expérimentaux).
En revanche, le deuxième disque est une réussite absolue qui met en avant l'étendue du talent d'Epic Soundtracks en compilant de fort belle manière chutes de studio, enregistrements live et sessions radio, allant même jusqu'à repêcher une chanson enregistrée en 1981, "Jelly Babies", qui laisse entrevoir onze ans avant "Rise Above" la versatilité du musicien. Comme avec "Good Things", on oublie le côté potentiellement anecdotique et bordélique d'une telle entreprise dès les premières chansons pour se laisser émouvoir et... admirer, tout simplement. Je ne vais pas mentionner tous les titres qui m'ont fait vibrer, mais la version live-acoustique de "C'mon Daddy" en début de disque est fantastique (tout comme celle en duo avec Evan Dando, plus débraillée, qui conclut cette rétrospective), et le plus beau moment reste sans doute la découverte de "Teenage Heart", chanson restée inexplicablement absente de l'album "Sleeping Star" et des deux compilations posthumes.
Plus qu'une anthologie, "Wild Smile" s'avère être une excellente introduction pour les non-initiés et un superbe complément pour les vieux fans. Vue la consistance du répertoire d'Epic Soundtracks, aussi brillant de son vivant qu'après sa mort (phénomène rarissime), un coffret réunissant toute son oeuvre semble de plus en plus indispensable. On pourra toujours se consoler en revisitant les cinq albums (six en comptant "Wild Smile Disc 2") disponibles à ce jour, mais il reste certainement des inédits comme le prouve cette version inconnue de "C'mon Daddy" trouvée sur YouTube:
Je ne vais pas mentir, The Barr Brothers est un groupe qui m'est totalement inconnu donc je ne m'attarderais pas sur leur parcours, du moins pas encore car cette fabuleuse reprise donne sérieusement envie d'écouter leur premier album, sorti en 2011. Les canadiens brillent sur l'ensemble de la session dont est tirée cette version de "Don't Let It Bring You Down", une initiative de l'excellent blog I Am Fuel You Are Friends sur lequel on peut découvrir de très nombreux artistes et groupes à tendance folk qui n'ont pas toujours les faveurs de nos médias. Vivement recommandé.
Difficile de ne pas se laisser convaincre par l'esthétique du son des Barr Brothers sur cette chanson tirée du classique "After The Gold Rush" de Neil Young, un morceau d'anthologie qui a bien évidemment été repris des milliers de fois mais rarement avec autant de classe et de sensibilité. La délicatesse des harmonies emmène la mélodie vers un final somptueux et les arrangements ne sont pas dégueus non plus, avec en particulier cette harpe qui donne une belle lumière à l'ensemble. Je n'irais pas jusqu'à dire que cette version est meilleure que l'originale, un débat toujours un peu vain (surtout quand on parle d'une légende comme Neil Young), mais c'est incontestablement du très beau travail.
Cette troisième entrée dans la série "Discographies" est l'occasion de se pencher une fois de plus sur un groupe injustement condamné à l'obscurité, plus encore que Swervedriver et d'une façon certainement plus cruelle. Durant plus de vingt ans d'existence Swell a oeuvré dans l'ombre, sans le moindre tube radio et oublié de tous les "historiens" du rock alternatif des années 90. Une honte si l'on prend en compte leur dimension de pionniers, et un authentique scandale lorsque l'on contemple leur magnifique répertoire.
Si leur histoire vous intéresse n'hésitez pas à vous procurer pas moins de sept albums offerts généreusement par la tête pensante du groupe, David Freel (donations acceptées et amplement méritées). Trois albums de Swell (les deux premiers et le dernier en date), deux compilations de raretés et deux albums "solo" sortis en 2009 et 2010. De quoi se familiariser avec la musique du californien.
SWELL
1990
Formé en 1989 à San Francisco, le groupe est d'abord constitué du noyau dur David Freel/Sean Kirkpatrick (chant et guitare/batterie). Le duo pose immédiatement les bases stylistiques de Swell, un rock alternatif séduisant, plutôt sombre et mélancolique dont le son âpre sera bientôt assimilé au mouvement lo-fi. À la différence d'autres figures bourgeonnantes de cette scène comme Pavement et Sebadoh, les débuts de Swell sont plutôt bien enregistrés et "propres" compte tenu du peu de moyens dont dispose le groupe en terme de production. On peut même dire que toutes leurs caractéristiques sont déjà présentes sur ce solide premier album, la batterie sèche et syncopée de Kirkpatrick soutenant à merveille le songwriting singulier de Freel qui alterne guitares acoustiques et électriques, rythmes épileptiques et envolées planantes, le tout bercé par un chant suave et détaché d'une grande élégance. Ce n'est sûrement pas un hasard si le groupe donne son premier concert en première partie des éthérés Mazzy Star.
...WELL?
1992
Auto-produit comme son prédécesseur, "...Well?" ne trahit en rien l'identité musicale établie par Freel et Kirkpatrick malgré l'incorporation du bassiste Monte Vallier et d'un deuxième guitariste, John Dettman, qui ne fera pas long feu au sein de Swell. Le groupe profite néanmoins de ces recrutements et de l'expérience acquise lors des premières tournées pour se montrer un peu plus agressif, plus électrique, et nettement plus entreprenant en matière de composition et de production. Encore une fois, le travail sur les textures sonores et les ambiances est impressionnant en l'absence de vrai budget et de maison de disques ("Swell" et "...Well?" sont sortis sur le label créé par Freel lui-même pour l'occasion, PsychoSpecific). Ce deuxième tour de force vaut au groupe d'être signé par une major.
41
1993
Adoubés du titre très officieux de "next big thing" par un John Peel enthousiaste ("Nirvana is having tremendous success right now, and Pavement is the next big thing; but the next, next big thing might well be Swell"), les californiens sont reçus à bras ouverts par la critique qui couvre d'éloges leur excellent troisième album (sorti sur le label American de Rick Rubin). L'écriture de David Freel atteint une densité et une maîtrise remarquables, revenant à une base rythmique plus acoustique pour mieux mettre en relief les percussions de Kirkpatrick et l'impact tour à tour noisy et ambiant des guitares électriques. Le spleen tranquille du chanteur se démarque du pessimisme forcené de nombreux autres groupes de l'époque, et Swell trouve définitivement un équilibre assez unique entre stoner rock, post-punk et une touche folk omniprésente. Malheureusement, le succès commercial n'est pas au rendez-vous et American/Warner finit par lâcher le groupe alors qu'un nouvel album est déjà enregistré.
TOO MANY DAYS WITHOUT THINKING
1997
C'est après bien des mésaventures et quelques embrouilles légales que Swell réussit à sortir le successeur de "41" sur Beggars Banquet. "Too Many Days Without Thinking" représente une nouvelle progression dans la créativité et la maturité du groupe. À priori les californiens ne révolutionnent pas leur approche mais la production de Kurt Ralske offre un sens du détail, une profondeur et un son plus ambitieux qui sublime les compositions d'un David Freel en état de grâce. Monte Vallier et Sean Kirkpatrick ne sont pas en reste puisque l'un comme l'autre s'emploient à donner une assise rythmique implacable aux chansons, les lignes de basse élégantes et tortueuses de Vallier apportant un contrepoint intéressant aux frappes saccadées et chirurgicales de Kirkpatrick. Un superbe album qui oscille entre slacker pop ("Fuck Even Flow", "At Lennie's"), noirceur désabusée (le single "(I Know) The Trip") et de longues plages rêveuses et atmosphériques ("What I Always Wanted", "Sunshine Everyday").
FOR ALL THE BEAUTIFUL PEOPLE
1998
Peut-être lassé par le manque de succès, Kirkpatrick quitte le groupe. Il est remplacé par le non moins talentueux Rob Ellis qui parvient à imposer un style de jeu plus linéaire sans dénaturer le son de Swell. Son entente avec Monte Vallier, au sommet de sa forme sur cet album, et l'inspiration décidément inépuisable de David Freel font de "For All The Beautiful People" une nouvelle réussite. Si "Too Many Days Without Thinking" conclut brillamment un premier cycle en portant le son des débuts à son paroxysme, ce nouveau disque inaugure une étape plus sophistiquée et expérimentale où l'ambiance prend le pas sur l'écriture plus directe des albums précédents. Aucun titre ne ressort véritablement du lot à la manière de "What I Always Wanted", mais l'immersion dans l'univers désenchanté et pourtant apaisant de Freel est totale. La production, plus détaillée que jamais, utilise le digital à bon escient pour créer des textures inédites dans sa musique, qui prend des allures de plus en plus mystiques. Le groupe livre ainsi une oeuvre cohérente, aboutie, dense et variée. S'il ne fallait en garder qu'un...
EVERYBODY WANTS TO KNOW
2001
Après cinq albums consécutifs de plus en plus captivants la notoriété du groupe reste très limitée et c'est au tour de Monte Vallier de partir pendant l'enregistrement d'"Everybody Wants To Know", le disque le plus expérimental et très probablement le moins populaire de Swell. Désormais seul maître à bord, David Freel sort dans un premier temps un EP prometteur, "Feed", dans la lignée de "For All The Beautiful People", puis cet album décousu et inégal qui recycle la quasi-intégralité de "Feed" sans réellement bâtir quoi que ce soit autour des titres déjà connus. Rob Ellis est remplacé par Rey Washam à la batterie, mais la présence de ce dernier reste anecdotique puisqu'il est supplanté par une boîte à rythme sur plusieurs chansons. D'autre part, les belles interactions basse/batterie des albums précédents ont complètement disparu. Freel sauve les meubles grâce à quelques morceaux inspirés et habilement arrangés (ceux de "Feed", surtout) sans toutefois réussir à faire oublier les absences de Vallier, Ellis ou Kirkpatrick.
WHENEVER YOU'RE READY
2003
Contre toute attente, Sean Kirkpatrick réintègre Swell le temps d'enregistrer un album qui délaisse logiquement les tendances expérimentales des deux disques précédents pour revenir à un son organique plus proche de "41" et "Too Many Days Without Thinking". Le duo d'origine ne ménage pas ses efforts: "Whenever You're Ready" s'étale sur quinze titres, plus d'une heure de musique qui parvient fréquemment à se hisser au niveau des meilleures compositions du groupe. Freel et Kirkpatrick semblent s'amuser comme deux gosses qui explorent sans complexe tous les recoins de leur imagination, et c'est avec une certaine nonchalance qu'ils pondent l'album le plus accessible, mélodique et optimiste de la discographie de Swell. On peut leur reprocher quelques facilités et la présence de titres pas indispensables, mais l'ensemble n'est jamais pesant et représente un contrepied aussi nécessaire qu'inattendu dans l'histoire du groupe.
SOUTH OF THE RAIN AND SNOW
2007
Le silence radio prolongé suite à la sortie de "Whenever You're Ready" laisse entendre que Swell n'est plus. C'est donc à la surprise générale qu'un nouvel album est annoncé fin 2007, auto-produit comme aux débuts du groupe. "South Of The Rain And Snow" est essentiellement l'affaire d'un seul homme, David Freel ne faisant appel qu'à un seul musicien pour la batterie (Nick Lucero, ex-Queens Of The Stone Age). Contrairement à l'ambitieux mais déséquilibré "Everybody Wants To Know" cet album ne souffre d'aucune maladresse et assume pleinement son caractère intime et personnel. De son propre aveu Freel enregistre selon le principe très lo-fi de ne "jamais superposer plus de trois instruments", une sobriété qui met en valeur la qualité de ces dix nouvelles chansons et rappelle s'il en était encore besoin son indéniable talent de songwriter. Plus folk que jamais, plus touchant qu'aucun autre, "South Of The Rain And Snow" est le classique épuré qui manquait au répertoire de Swell et qui conclut une discographie impressionnante.
Aux dernières nouvelles, David Freel aurait en tête de continuer Swell. Reste à savoir sous quelle forme et avec quels musiciens. Depuis "South Of The Rain And Snow" on ne peut pas dire qu'il ait été inactif puisqu'il a sorti pas moins de deux albums, l'un sous le pseudo Be My Weapon, en 2009, et l'autre sous l'alias Wendell Davis un an plus tard. Tous deux excellents mais plutôt confidentiels et expérimentaux, moins immédiats que les disques de Swell. Affaire à suivre, donc.
Dans la grande tradition de la série "Tubes oubliés" voici un tube qui n'en fut pas vraiment un mais qui fait partie d'une longue liste de classiques personnels. En ce qui concerne le premier single de Chavez on peut néanmoins parler de titre "culte" puisqu'il captiva pas mal de monde à l'époque de sa sortie, en 1994, et qu'il continue presque vingt ans plus tard d'électriser de nouveaux publics chaque fois que le groupe se produit sur scène.
Les premières mesures de "Repeat The Ending" ne laissent planer aucun doute sur ce qui attend l'auditeur tout au long des 5 minutes qui vont suivre: le riff strident et oblique de Matt Sweeney annonce de but en blanc une prise de tête monumentale bien dans l'esprit des groupes post-grunge des années 90. Sans surprise, le premier couplet se développe autour de ce premier motif musical minimaliste, lancinant et claustrophobe, rappelant sans équivoque l'aridité des productions de Steve Albini et l'intellectualisation pesante de précurseurs comme Slint. Des influences confirmées dès la première charge de noise rock sur le refrain, et c'est à ce moment là que le morceau prend son envol: le mémorable "Whaaaaat could I dooooo?" de Sweeney, rageur et plaintif, convertit un exercice de style ardu et plutôt rebutant en une sorte d'hymne désespéré particulièrement accrocheur malgré le côté expérimental de l'affaire. On peut même parler d'écriture à tiroirs dans la façon dont le groupe se plaît à déstructurer la mélodie dans la deuxième partie de la chanson.
Pour ceux qui ne sont pas allergiques à cette forme de rock "mathématique", assez proche du fameux loud/quiet/loud des Pixies et de Nirvana, "Repeat The Ending" réalise toutes les figures imposées avec un certain brio et pas mal de personnalité, à l'image de cette ultime minute en apesanteur qui est autant une coda qu'une reprise tordue du couplet initial. La boucle est bouclée et la fin est donc, heu, répétée. L'ensemble est plutôt sinistre mais contrairement à beaucoup d'enregistrements de la même époque la chanson n'a pas pris une ride, en partie grâce à son esthétique "albinienne" qui lui donne un côté intemporel. On voit d'ailleurs de plus en plus de groupes américains revenir vers un style similaire sans apporter de changements majeurs en terme de son, et malheureusement sans toujours faire preuve de l'inspiration nécessaire pour composer des titres de ce calibre.
Mercredi soir j'ai enfin pu assister à un concert des Walkmen après des années d'attente et de rendez-vous manqués (ne serait-ce qu'en juin dernier au Primavera Sound). Un bon moment pour découvrir le quintette de New York sur scène puisque leur album "Heaven", sorti cette année, fait partie du haut du panier dans leur discographie et s'inscrit parmi les plus belles réussites de ces derniers mois. Après avoir guetté anxieusement le Twitter du groupe, redoutant un éventuel problème, c'est avec un certain soulagement et un sourire de bienheureux que je me suis engouffré dans l'étrange tunnel qui sert d'entrée au Bikini, une boîte vaguement branchée de la capitale catalane.
Le Bikini, comme son nom peu original l'indique, est un lieu aseptisé et sans aucune personnalité en bordure de la très chic avenue Diagonal, encastré dans un immense centre commercial dans lequel j'évite à tout prix de mettre les pieds en temps normal. Le problème c'est que je vis avec une fille qui trouve toujours le moyen de nous y emmener...
En ce qui concerne le Bikini, deux précédents seulement: une virée nocturne bien arrosée il y a déjà longtemps et un concert d'Evan Dando il y a une éternité, en 2003. J'aurais du me souvenir que l'acoustique de l'endroit ne se prête pas trop à un concert de rock, sans parler des dimensions bizarres de la salle: petite, presque plus large que profonde, avec tout de même deux bars imposants (un de chaque côté de la pièce) et une scène exagérément surélevée. Une sorte de podium pour gogo-dancers en somme.
À 21h30 précises The Walkmen ont entamé leur concert devant une petite foule, 200 personnes maximum, et la joie de voir apparaître un groupe estimé depuis longtemps s'est rapidement évaporée devant cette terrible évidence: le son n'allait pas être à la hauteur. Ceux qui connaissent le répertoire du groupe savent que les arrangements délicats et les textures sonores complexes sont monnaie courante chez les Walkmen. Les dissonances sont soigneusement calculées et les changements d'intensité, assez fréquents et souvent abruptes, demandent parfois une oreille fine même dans les meilleures conditions. Tout cela fait partie de la personnalité et de la vision singulière d'Hamilton Leithauser et de ses musiciens, mais tout cela fut massacré dans les grandes largeurs ce mercredi.
Le groupe n'est pas à blâmer. Ce n'est pas de leur faute si une guitare semblait dire "merde" à l'autre, si l'orgue bavait dans tous les sens, si la musique se perdait dans une insupportable résonance, car les mecs jouaient carré et avec du feeling (le test du bouchage de tympan ne ment jamais). Ils ont même réussi à rétablir un équilibre fragile et touchant sur leurs compositions les plus intimistes, parfois même sur des titres plus vigoureux. Pas sans échapper quelques grimaces ici et là, quelques petits gestes de frustration, tout en gardant une allure sereine et vraiment classe. Mais si l'émotion et l'évidence mélodique ont refait surface tout au long du concert ce ne fut qu'en pointillé et le morceau le plus attendu de la soirée, l'inusable et vibrant "The Rat", fut un fiasco total.
C'est dans un étrange climat de semi-déception que les lumières se sont rallumées après un rappel plutôt réussi, vues les circonstances, le groupe ressuscitant un excellent "Wake Up" pour l'occasion ainsi qu'une digne ballade d'adieux, la langoureuse "Another One Goes By". Une setlist parfaite sur le papier qui aurait du convier bien plus de chaleur et d'entrain de la part d'un public poli mais quelque peu amorphe. Les Walkmen s'en sortent malgré tout avec les honneurs, car même abîmée de la sorte leur musique riche en atmosphères vaporeuses et pleine de sincérité n'a pas manqué de laisser un arrière-goût savoureux et l'envie de les revoir. Autre certitude: le numéro 547 de l'avenue Diagonal reste un lieu sans âme, à éviter autant que possible.
Une bonne partie de la scène alternative américaine semble doucement revenir vers une certaine forme d'existentialisme "grunge" sans passer par la case "Black Hole Sun", c'est-à-dire en zappant complètement les dérives grandiloquentes et métalliques du genre pour mieux s'intéresser au son dépouillé popularisé par le producteur Steve Albini dans les années 90. C'est déjà une preuve de bon goût de savoir discerner des influences éclectiques au sein d'un mouvement qui s'est généralisé, voire bâtardisé, par l'utilisation récurrente de gros refrains radio-friendly, de guitares bodybuildées et d'énormes percussions sur fond de colère et de pessimisme. Il y a du "teenage angst" à foison sur cet album de Pile, comme il y en avait sur celui des Cloud Nothings en début d'année, mais le son assez cru et les structures peu conventionnelles de ces disques rendent un bel hommage à l'agressivité calculée de Slint, Chavez et autres légendes du rock alternatif expérimental des années 90, avec tout de même un sens mélodique à la fois subtil et immédiat qui évoque tour à tour Nirvana, les Pixies ou même Weezer. On peut regretter le caractère excessivement plombant de "Dripping" sur la longueur, le post-hardcore un tantinet morose de Pile conviant au final plus de frustration que de rage libératrice ou euphorisante, mais le groupe est indéniablement talentueux et prometteur.
Voici une autre rétrospective issue de mon blog sur Visual Music. Swervedriver mérite bien sa place ici, puisque "Maelstrom" est le titre d'une de leurs chansons. Une sorte d'hymne officiel de cette page dirons-nous. Ne reste plus qu'à présenter ce groupe des années 90 fort méconnu dans nos contrées, sorte de chaînon manquant entre le grunge et la britpop.
RAISE
1991
Les chevelus d'Oxford démarrent en trombe avec un premier album de très bonne facture incluant les excellents premiers singles du groupe, "Son Of Mustang Ford", "Rave Down" et "Sandblasted", hymnes routiers invitant à mettre le pied au plancher et foncer vers l'horizon dans un nuage de vapeurs toxiques (un thème récurrent sur leurs deux premiers albums). Adam Franklin et sa bande combinent habilement de superbes riffs aux relents grunge avec un son hypnotique dans la plus grande tradition shoegaze. On ne sait pas trop à quoi s'en tenir: les mélodies planantes et le chant de branleur de Franklin pourraient placer Swervedriver dans la catégorie dream-pop des neurasthéniques My Bloody Valentine, Chapterhouse ou Slowdive, mais la frénésie des guitares et de la section rythmique évoquent davantage un rock alternatif hybride qui lorgne du côté de la scène slacker américaine, partageant avec cette dernière un amour évident pour les Stooges (fans de Dinosaur Jr, par ici s'il vous plaît).
MEZCAL HEAD
1993
Malgré l'étiquette shoegaze estampillée à la va vite par la presse musicale (sans doute influencée par la signature sur le label Creation aux côtés de Ride), le groupe attire l'attention du jeune public grunge US qui accueille "Raise" et "Mezcal Head" avec enthousiasme. Swervedriver tourne outre-atlantique en compagnie de grosses pointures comme les Smashing Pumpkins et Soundgarden, confirmant rapidement une réputation de valeur sûre en concert. Ce second album bénéficie de la classe du nouveau batteur Jez Hindmarsh et d'une production plus détaillée. Adam Franklin affine ses compos et livre quelques-uns de ses meilleurs titres, dont le monumental et hypnotique single "Duel" qui reste la carte de visite du groupe. "Mezcal Head" est régulièrement cité un peu partout comme l'un des plus beaux trésors de l'ère grunge, car à l'écoute de ce titanesque album c'est bien d'une sorte de grunge qu'il s'agit, mâtiné d'un subtil groove anglais et d'une sensibilité mélodique qui ne demande qu'à être exploitée.
EJECTOR SEAT RESERVATION
1995
L'album maudit: deux ans après "Mezcal Head" le shoegaze n'est plus qu'un lointain souvenir, la scène grunge bat de l'aile et tous les regards sont désormais tournés vers la britpop. Du côté d'Oxford on ne parle plus que de Supergrass et de Radiohead, tandis que les kids américains s'amourachent de la nerd-attitude de Weezer et Green Day. Les démodés Swervedriver poursuivent leur progression vers un rock plus direct et mélodique mais rien n'y fait: le brusque changement de contexte musical joue en défaveur du groupe qui se fait lâcher par Creation une semaine seulement après la sortie d'"Ejector Seat Reservation", titre prophétique s'il en est. Quasiment aucune promo n'est faite pour l'album qui sera même privé d'une sortie américaine jusqu'en... 2003! Difficile aujourd'hui encore de se procurer ce disque fantôme, jamais sorti en France (pourtant réédité en 2009 en compagnie de "Raise" et "Mezcal Head"). Une grande injustice pour cet album envoûtant et ses nombreuses perles: "The Other Jesus", "How Does It Feel To Look Like Candy?" ou "The Birds", entre autres. Swervedriver passe du statut de "next big thing" au club peu enviable des groupes les plus sous-estimés de l'époque.
99th DREAM
1998
Après le cuisant échec d'"Ejector Seat Reservation" Adam Franklin rebondit vite et signe dès 1996 chez le mastodonte américain Geffen. "99th Dream" est pourtant enregistré dans la douleur, la maison de disques exigeant un son plus commercial selon des critères douteux. Le mix final fait d'ailleurs souvent penser à un mélange opportun entre les premiers disques d'Oasis et The Bends de Radiohead, ce qui n'empêche pas le groupe d'imposer sa personnalité sur quelques très bons morceaux (la chanson-titre, "Up From The Sea", "She Weaves a Tender Trap", "These Times"...). Néanmoins l'ensemble un peu bridé ne peut que décevoir en comparaison des exaltés "Mezcal Head" et "Ejector Seat Reservation". Comble de la poisse, Geffen entame une restructuration du personnel et vire le représentant de Swervedriver en pleine promo du disque. "99th Dream" ne sortira finalement que deux ans plus tard, trop de contretemps et de problèmes financiers pour un groupe au bout du rouleau qui se sépare discrètement en décembre 98.
Suite à la séparation du groupe Adam Franklin entame une carrière solo, dans un premier temps sous le pseudo Toshack Highway, puis sous son propre nom. On reconnaît aisément le style d'écriture et le son de guitare si caractéristiques de Swervedriver sur les quelques albums parus à ce jour, sans pour autant y retrouver toute la magie et l'ambition du groupe. Le syndrome "solo" habituel, pour résumer, même si le talent et la coolitude du songwriter n'ont pas pris une ride (contrairement à l'allure du bonhomme).
Le statut de groupe culte de Swervedriver a provoqué plusieurs reformations ponctuelles ces dernières années, uniquement pour quelques concerts et apparitions lors de gros festivals américains comme Coachella. Un nouvel album serait prévu pour 2013 donc n'hésitez pas à prendre les devants si vous n'avez pas encore jeté une oreille sur la discographie de ces cavaliers de l'ombre. Peu de groupes peuvent se targuer d'avoir fait vibrer une génération entière des deux côtés de l'Atlantique et d'avoir laissé en seulement quelques années, sans tubes majeurs et à l'ombre du mainstream, une oeuvre qui a influencé un bataillon de hipsters du nouveau millénaire tels que Black Rebel Motorcycle Club, Interpol et de nombreux autres.
L'autre jour j'ai eu le rare plaisir (ben oui, ça devient rare) de faire une compilation à la demande de quelqu'un. Pour la petite histoire cette requête est venue d'une prof soucieuse de familiariser ses élèves avec certaines nuances musicales et plus particulièrement avec le son d'un vieil instrument, le célesta, souvent utilisé en tant que discret complément dans une composition, que ce soit dans une pièce classique, un morceau de jazz ou une chanson pop.
Mon devoir était donc de rassembler un maximum de titres pop, rock ou autre avec du célesta (en évitant le classique autant que possible). Je me suis attelé à la tâche à la fois enthousiaste et quelque peu décontenancé en m'apercevant de mon ignorance, moi qui avais toujours confondu le son de ce petit piano hybride avec un glockenspiel, une boîte à musique ou un truc à clochettes, sans trop me poser de questions. Tout en étant familier avec le nom et le son de l'instrument je n'avais jamais appris à identifier le célesta et à comprendre son importance et son caractère tout à fait unique.
En me penchant sur le sujet, c'est-à-dire une fois identifiée la "chose" et me creusant les méninges pour composer une liste, je me suis rendu compte que le célesta est partout. Si l'on remonte aux années 50-60, difficile de ne pas trouver une multitude de "celesta songs" archi-connues (l'incontournable "Mr. Sandman" des Chordettes par exemple) dans un peu tous les genres. Avec une constante pourtant: que l'on écoute Buddy Holly ou les Beatles (on a même droit à un solo de célesta à la fin de "Baby It's You") l'instrument est utilisé pour son côté rêveur et mignon sans une once d'ironie ou la moindre arrière-pensée. Il faut attendre la fin des 60's pour le retrouver dans des contextes déjà plus ambigus...
... puis carrément utilisé à contre-emploi dans les 70's...
.... et ainsi de suite jusqu'à notre époque. Le célesta n'est jamais tombé en désuétude, et l'on pourrait même dire que c'est devenu un instrument branché, exploité à fond par les plus grands producteurs, stars de la pop (Bjork, Amy Winehouse, Beck, Sigur Ros entre de très nombreux autres) et compositeurs de tout poil. Une arme subtile dont le son apparemment innocent et angélique peut aussi convier des émotions très contradictoires (menace, mystère, tristesse, etc...) et altérer complètement le rendu d'une chanson, ce qui explique sans doute sa présence dans des styles musicaux très différents.
La compil' n'a donc pas été un casse-tête, et certainement pas une perte de temps. Je veux un célesta pour Noël.
En bonus voici trois autres titres qui font aimer cet instrument...
Histoire d'étoffer un peu ces colonnes je me permets de recopier un article que j'ai posté récemment dans la section "blogs" du site Visual Music à l'occasion de la sortie du nouvel album de Dinosaur Jr. Il s'agit d'un petit résumé de la discographie du groupe pour ceux qui voudraient se pencher sur la carrière de ces authentiques pionniers et héros de la scène grunge (pas le grunge métal d'Alice In Chains, Soundgarden ou Stone Temple Pilots mais bel et bien le "vrai" grunge de descendance punk/hardcore qui a inspiré Nirvana).
DINOSAUR
1985
Les débuts brouillons et timides du jeune trio de Boston, qui devra ajouter le suffixe "Jr." à son nom suite à des problèmes légaux (un autre groupe était propriétaire du nom Dinosaur). La vision singulière et les talents de Jmascis, Barlow et Murph sont déjà évidents, mais le tout manque de cohésion et la production maigrelette ne rend pas justice à la puissance de leur son. Néanmoins, plusieurs titres bien torchés font tourner les têtes de toute la scène indé américaine.
YOU'RE LIVING ALL OVER ME
1987
La claque. Plus court, plus musclé et plus direct que son prédécesseur cet album expose au grand jour tout ce qui fait le sel de Dinosaur Jr: une voix plaintive et flemmarde perdue dans un mur de distorsion, de riffs surexcités et de percussions bordéliques. La production reste crade et amateur à souhait mais ne peut contenir la flamboyance d'un groupe qui inaugure un son, un style et presque une philosophie. Une sorte de "Fun House" des années 80 pour la génération slacker, un classique à la fois mélodique et outrageusement noisy qui frôle la perfection de bout en bout.
BUG
1989
Le début officiel de la dictature de JMascis. Lou Barlow, l'écorché vif du groupe, n'écrit plus aucune chanson et se contente d'assurer le service minimum à la basse, ce qui n'empêche pourtant pas "Bug" d'être accueilli comme un nouveau chef d'oeuvre. C'est un Dinosaur Jr un poil moins hardcore que l'on découvre avec cet ultime disque pour le légendaire label indé SST, truffé d'excellentes chansons qui flirtent davantage avec la pop et le folk. JMascis prend de plus en plus confiance en ses qualités de songwriter et de guitariste.
GREEN MIND
1991
Le grand saut de Dinosaur Jr sur une major s'effectue après l'éviction de Lou Barlow, dont le groupe Sebadoh deviendra l'un des piliers de la scène lo-fi des années 90. JMascis continue dans la voie plus ouvertement pop tracée par "Bug", et un sympathique EP dans la même veine ("Whatever's Cool With Me") sortira peu après "Green Mind" pour enfoncer le clou. Sans abandonner les dissonances et les distorsions qui font la réputation du groupe, ce disque bénéficie d'une production plus fine dont le son fait souvent penser aux Pixies. Évidemment, pas de loud/quiet/loud ici puisqu'il est désormais établi que tout ou presque est "loud" chez Dinosaur Jr. Encore un très bon album.
WHERE YOU BEEN
1993
Si "Green Mind" restreignait légèrement la démesure noisy du groupe, le meilleur disque de l'ère post-Barlow remet les pendules à l'heure et les amplis à 11 (ok, 12 ou 13 dans le cas de JMascis) grâce à
une production résolument métallique. Des riffs dévastateurs et autres solos de guitare épiques se succèdent sur des titres plus mélodiques que jamais. On note aussi l'apparition de plusieurs compositions mid-tempo influencées par Neil Young, des presque-ballades déjà tentées sur les albums précédents qui prennent ici une dimension bien supérieure, portées par la maturité du groupe et l'excellent travail de Murph à la batterie. Le virage noise-pop est consommé et Dinosaur Jr bascule définitivement dans la légende.
WITHOUT A SOUND
1994
Difficile pour moi de noter cet album puisque c'est celui qui m'a fait découvrir et aimer le groupe, mais en toute objectivité cet étrange "Where You Been II" est un point de cassure dans la discographie de Dinosaur Jr. JMascis vire Murph et opte pour une approche grunge FM qui fera de "Without a Sound" son plus gros succès commercial sur le dos du tube très pixien "Feel The Pain". L'ensemble est satisfaisant, parfois brillant, mais quelque peu plombé par certains titres anecdotiques et la sensation d'épuisement mental lié à l'alcoolisme de JMascis.
HAND IT OVER
1997
Un JMascis sobre et prêt à en découdre livre un album de power-pop qui n'a dans le fond plus grand chose à voir avec l'énergie punk maintenue jusqu'à "Where You Been". Tous les ingrédients soniques propres à Dinosaur Jr semblent pourtant réunis sur ce disque sophistiqué qui se permet d'ajouter des arrangements délicats à la recette (un piccolo par-ci, un banjo par-là), et notre guitar hero se fend même de quelques-unes de ses plus belles envolées sur le haut du manche. Une manoeuvre qui pourrait s'avérer payante chez d'autres groupes, mais "Hand it Over" ne parvient pas à rallumer la flamme et sent l'album solo à plein nez malgré une première moitié inspirée. Fin d'une étape.
BEYOND
2007
Suite à l'heureuse reformation des trois membres originaux, le toujours dangereux test du "comeback album" est plus que convaincant. Si l'âge du groupe se fait sentir dans l'ambiance très classic rock qui se dégage de "Beyond" on y retrouve en revanche tout le mordant qui faisait défaut au Dinosaur Jr lessivé de "Without a Sound" et "Hand it Over". JMascis reprend les choses où il les avait laissées avec "Where You Been", cette fois accompagné de ses deux meilleurs lieutenants. Lou Barlow contribue même deux superbes chansons qui montrent à quel point son retour est bénéfique, sans parler de son jeu de basse viscéralement dinosaurien. Un album qui résume bien toutes les qualités du groupe tout en appuyant fermement sur le bouton reset.
FARM
2009
Le succès de "Beyond" encourage JMascis, Barlow et Murph à lui donner une suite, avec presque autant de réussite. "Farm" est un disque qui fleure bon la confiance retrouvée lors des nombreuses tournées ayant suivi la reformation. Le groupe a retrouvé son mojo sur scène et en profite pour pondre un album épique dont le son plus brutasse et plus uniforme se rapproche de ce que l'on peut entendre en concert. Les arrangements soignés et contrastés de "Beyond" sont donc remplacés par un mur de guitares presque assourdissant du toujours mégalo JMascis, bouffant la basse de Barlow comme au bon vieux temps de "Bug". Du bon gros rock dans ta face qui a néanmoins ravi les amateurs grâce à la très bonne tenue des chansons.
I BET ON SKY
2012
Le vieux Dino n'a plus grand chose de Junior mais ne montre aucun signe de fatigue sur ce dixième album. Il suffit d'écouter les deux premières chansons du disque, magistrales, pour s'apercevoir que le groupe continue de s'amuser à explorer tranquillement les possibilités et les nuances d'un son façonné il y a plus d'un quart de siècle, en des temps reculés où un certain Kurt encore inconnu se précipitait à leurs concerts. "I Bet On Sky" délaisse l'agressivité et les jams à rallonge de "Farm" au profit d'une approche plus pop et enjouée, voire "funky" comme l'a indiqué un JMascis toujours aussi peu loquace en interview. Lou Barlow s'affirme davantage, tant à la basse que dans la qualité de ses chansons, tandis que Murph fait du Murph, c'est-à-dire du très bon boulot. Un disque de rock à la fois cool et plein de métier comme on en entend trop peu de nos jours de la part des survivants et autres ressuscités de l'ère grunge.
Sans être particulièrement fan de Ben Lee j'ai toujours trouvé le personnage sympathique et doué. Comme chez d'autres musiciens j'apprécie sa façon de convier chaleureusement et sans effort des émotions à la fois ordinaires et universelles, le plus souvent avec seulement quelques accords, un brin de voix et des arrangements sobres. Un peu de restreinte fait du bien parfois.
"Brand New Love" est une vieille chanson de Lou Barlow très appréciée, d'abord enregistrée en catimini à la fin des années 80, seul à la guitare, puis ressortie quelques temps après en mode "full band" avec Sebadoh (influencé ou non par la reprise de Superchunk, premier groupe à avoir revisité et aidé à faire connaître le titre). La version de Ben Lee n'a rien de très original en soi puisque le morceau a été repris de nombreuses fois à toutes les sauces. Cette vidéo est néanmoins une belle manière de rendre hommage à un classique du lo-fi, et la nonchalance de Ben Lee sonne juste. Le caractère sentimental de la chanson en pousserait plus d'un à mettre beaucoup trop d'emphase dans l'interprétation vocale, mais "Brand New Love" est une perle délicate qui n'a pas besoin de cabotinage pour séduire. Le ménestrel australien l'a bien compris.